Il pleut. Les gouttes de pluie lui tombent sur le visage, perlant le long de ses joues, de son cou. Et il a froid. Il sent contre lui ses vêtements trempés lui coller à la peau en formant des plis désagréables. Il sent la boue sous son dos lui offrir un coussin aussi moelleux qu'inconfortable. La boue pèse, ses glisse dans ses cheveux, l'emprisonne pour mieux le garder contre lui. Et il saigne. Beaucoup. Le sang s'échappe d'une plaie sous les côtes, tintant sa chemise blanche grise de pluie d'une fleur pourpre. Un quinte de toux lui arrache brutalement les poumons. C'est le premier son qui déchire le silence pesant, jusque là uniquement entrecoupé par les bruits humides des gouttes de pluie. Une seconde salve le rejette sur le côté et lui arrache un gémissement de douleur. Il porte une main glacée à ses yeux tandis que ses paupières papillonnent. Un ciel gris de pluie domine l'immense pelouse, elle-même cernée de bâtiments gigantesques. Et lui est seul, couché au centre de cet immense complexe désert. À l'horizon, le Soleil se couche tranquillement, disparaissant en douceur derrière l'immensité des buildings. Des voitures passent à toute allure, se pressent les unes derrière les autres en priant pour passer avant que le feu ne vire au rouge. Des gens marchent à pas rapides, se bousculant parfois, tous dissimulés sous une armée de parapluies multicolores. Enfin multicolores… Sous la pluie, qu'ils soient rouges, bleus, rose, ou noirs, ils affichent tous le même air sinistre. Il se redresse lentement dans l'herbe en position assise, s’essuie ses mains pleines de terre sur son pantalon.

« Tu pourrais recommencer à zéro... » Cette phrase lui tourne inlassablement dans la tête, pourtant il sait parfaitement que ce n'est pas la sienne. Il n'a pas un ton aussi doux ni aussi tranquille, ses mots ne sont pas empreints de cette dose de tentation. Il n'est pas manipulateur. D'où il le sort, il n'en a aucune idée parce qu'il… Sa respiration se bloque brutalement, déclenchant une nouvelle salve de toux douloureuse. Rien. Excepté cette voix et ces quelques mots, rien ne lui vient. Il sent qu'il se souvient, qu'il sait, que tout est là… Mais non, rien. Rien ne remonte à la surface, rien n'effleure ses pensées. Il est seul, et il est vide.

Il pousse la première porte venue et heurte aussitôt un type, un gars assez jeune. « Oh, pardon... » C'est clair qu'il peut s'excuser pour la tenue parfaite et l'allure élégante, lui qui n'est qu'un tas de boue ambulant.

Un mois s'était écoulé depuis sa rencontre avec la fille des neiges. Oui, il avait décidé de la surnommer comme ça à cause de leur première rencontre. Il était rentré dans une chambre recouverte d'un manteau blanc avant de se faire poursuivre par son chef d'étage qui était en réalité un monstre terrifiant. Et ça, le jeune garçon avait tout simplement voulu oublier. Il n'avait pas cessé de rêver de ces enfants en tee shirt orange pour autant, la situation s'était même empiré. Suite à l'incident qu'il avait provoqué avec la jeune femme, on l'avait assigné à l’accueil pendant une semaine, soit le boulot le plus insupportable qu'il soit à ses yeux. On lui avait aussi donné la charge de la cliente la plus ingrate de tout l’hôtel, abonné depuis dix ans à la même chambre. La terrible madame Clever. Madame Clever voulait qu'il aplatisse ses cheveux. Madame Clever n'aimait pas ses tatouage. Madame Clever trouvait son anneau dans le nez vulgaire. Il emmerdait Madame Clever. Son stupide petit chien à moitié chauve elle pouvait se le mettre où il le pensait. Et aujourd'hui, ce claver était enfin achevé. Aujourd'hui serait un jour nouveau, aujourd'hui serait...

PAF.

Un golem venait de lui rentrer dedans. Bon, il n'était pas réellement un golem mais sur le coup, c'est que Louis cru voir. L'homme s'excuse et Louis baissa les yeux sur sa chemise blanche et son pantalons noire, sortant à peine du service de laverie de l’hôtel. « Oh c'pas vrai... » Mais c'était peut-être un client. Il fallait être gentil. Ou pas, il n'avait pas la tronche des gens qui venaient ici.

- Ce n'est rien, marmonna t-il.

En réalité il lui en voulait un peu, mais il avait l'air complètement perdu. Sonné même. Louis se recula d'un pas, et l'invita à s'avancer.

- Vous... Vous allez bien ? Vous voulez une chambre ?

Il baissa les yeux et vit le sang sur son habit. Se retenant toute réflexions débiles du genre « oh mon dieu vous êtes blessé ! » il se contenta d'ouvrir de grand yeux. Il espérait ne pas être tombé sur un de ces malfrats en fuite et mal en point. Son boss lui avait demandé de ne plus faire de vague.

- Venez, je vais vous conduire à l'infirmerie...

Strictement réservé aux clients de l'hôtel et ou aux employés mais Louis n'avait jamais eu un mauvais fond alors il décida que c'était la meilleure idée. Il lui attrapa le bras et l'entraîna vers l'infirmerie.

- Votre nom, c'est quoi ?

Il pouvait fondre en larme ou s'excuser, entre les deux son cœur balançait. « Je, euh… Je... » Il avait envie de parler, de crier même, mais les mots se bousculaient, aucun de convenait, Il n'avaient rien à dire et rien à penser, il mourrait de peur. Il avait l'air complètement perdu le pauvre garçon, avec ses vêtements trempés de pluie et de sang et les cheveux humides goûtant sur les beaux tapis de l'hôtel, complètement paumé, comme un gosse égaré. Il emboîta le pas de l'employé sans se faire prier, incapable de toute façon de résister, et se laissa conduire. Ses pensées tournaient à plein régime mais à vide, avec pour seuls mots pourquoi ? Et quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Il se mit à trembler comme s'il avait passé des heures sous l'averse glacée. « Euh, je m'ap-appelle... » Et ce ne fut qu'un blanc qui répondit à l'appel de ses souvenirs. Il savait comment il s'appelait, simplement ça ne lui revenait pas. C'était là, mais invisible, comme lorsque l'on a un mot sur le bout de la langue, bien présent mais incapable d'apparaître clairement. Il se racla la gorge et reprit d'une voix plus ferme. « Je m'appelle... » Il ne le savait pas, voilà tout. Ils parvinrent devant une jolie porte et lui se retint au mur, laissant une trace boueuse sur la tapisserie. « Je m'appelle... » Ça ne lui revenait pas et d'ailleurs, il se sentait faible à présent. Il était gelé, il tremblait de tous ses membres,et un vertige féroce s'empara de lui. « J-je me sens pas très b-bien... » Normal parce que pendant qu'ils marchaient et qu'il cherchait désespérément son nom, rien que son stupide nom, il continuait à pisser le sang et à repeindre le beau sol de l'hôtel. Il continuait à mourir à petit feu dans un hôtel de luxe, lui, sa mémoire disparue et ses habits dégueulasse.

Il se sentait dériver et se laissa glisser contre le mur, son front déjà mouillé recouvert d'une pellicule de sueur. « J'suis blessé. » Comment, il n'en avait aucune idée mais ça restait une évidence. « Et j'ai aucune idée de mon nom. » Cette affirmation établie, il laissa échapper un vague rire presque hystérique. Ça n'avait rien de drôle bien sûr, mais c'était nerveux, parce qu'il avait peur et froid, qu'il était perdu et blessé. Et qu'il trouvait le moyen de clamser dans un hôtel richissime il ne savait où, sans savoir ni pourquoi ni qui il était. Ridicule. Une idée plus idiote encore lui traversa l'esprit et il jeta un coup d’œil au type bien habillé. « Et vous ? » Et vous, vous êtes qui ? Vous faites quoi ? Vous allez faire quelque chose ? Il aurait pu poursuivre longtemps ses questions mais il sentait ses forces lui dirent bye bye à vitesse grand V. D'ailleurs, l'autre n'eut sans doute même pas le temps d'esquisser une réponse que lui tombait dans les pommes pour de bon.

On ne l'avait pas formé à ce genre de cas, ça non. On lui avait dit comment être patient avec des personnes complètements bourrés, déchirés... et même somnambule ! Mais en état de choc qui en se souvenait même pas de son propre prénom, non. Et lui ? Non mais qu'est ce que...

- Monsieur !

Il s'écroula contre le mur et Louis le rattrapa de justesse. Super. Il l'avait perdu. Avec peine il le traîna dans l'infirmerie et l'installa comme il pouvait sur un lit (maudissant une fois de plus le peu de muscle qu'il avait dans les bras bien qu'à force de monter des valises, ça commençait à venir). Il sortit du linge de l'armoire de secours et se pencha sur le client en soupirant. Il lui tapota la joue, tentant de le réveiller. Il regarda sa blessure sans comprendre. Mais bon sang qu'avait-il fait ? Sans ménagement il lui arracha sa chemise et examina de plus près.

- Ouh ouh... Mister ? Monsieur ? Hé ooh...

Technique ultime, après les petites claques, il lui souffla dans l’oreille. Il avait souvenir de ses frères aînés qui faisaient tous ça pour l’embêter alors qu'il parvenait à peine à s'endormir. Bon, pas de réponse. Il continua de soigner comme il pouvait le pauvre malheureux tout en priant pour que personne ne rentre dans la pièce à ce moment là. Anxieux il se grignota les ongles, terminant d'enlever le reste de son vernis de la semaine dernière. À propos de ça, il fallait qu'il arrête de dire oui à la gosse de la chambre 101, à ce rythme là elle n'allait plus seulement lui faire les ongles pour rigoler mais lui peindre tout le visage. Il ouvrit enfin les yeux et Louis se jeta sur lui.

- Louis, je me nomme Louis. Je travaille dans cet hôtel, et alors que je vous proposais une chambre, vous êtes tombé dans les poire, homme sans nom. Enfin, dans les pommes.

Pour les expressions on repassera, pourquoi celle là avait toujours eu du mal à rentrer ? Il lui tendit une chemise propre en souriant.

- Ah oui j'ai heu... pour votre blessure je me suis permis d'ôter votre vêtement sale et je... bref, celui là fera l'affaire. C'est une super grande taille, on en a trop de toute façon.

Non pas que l'homme en face de lui était gros mais de toute façon, il n'avait que ça sous la main. Tout en parlant il tenait de décrypter tout ce qu'il pouvait de cet étonnent individus. Il parlait la langue anglaise, c'était déjà ça, il était sûrement du pays, au moins il n'avait pas à faire à un ressortissant étrange complètement paumé.

Sonné, il papillonna des paupières et finit par poser les yeux sur un gars… celui de l'hôtel, ça lui revenait à présent. Si sa mémoire avait disparu avant une certaine date, il n'avait visiblement aucun problème à mémoriser de nouvelles choses et ce constat le rassura légèrement. « « O-ok, ok. » L'autre parlait pas spécialement fort mais sa voix lui résonnait dans les oreilles, lui donnant l'impression qu'on lui hurlait dessus. Il se redressa avec un grognement, comme si pousser sur ses bras nécessitait un courage et une dose d'énergie sans nom, et prit le t-shirt à l'effigie de l'hôtel que lui tendait le groom et l'enfila en grimaçant, retenant un soupir de douleur. « Merci. Merci Louis. » Il s'accrochait à ce nom comme un noyé à une bouée, savourant brièvement la sensation d'avoir quelqu'un à côté… et un habit propre sur le dos. Il ne faisait pas froid dans l'infirmerie et ses tremblements incessants s'étaient calmés. (Au moins ne ressemblait-il plus à une espèce de junkie en manque…) « Merci pour… ça aussi. » Le jeune homme désigna le bandage propre d'un geste vague et esquissa un sourire un peu tordu. « Pardon. » Il se leva, manqua de s'étaler en se rattrapant de justesse à Louis, et atteignit le lavabo qui ornait un coin de la pièce. Bon sang, il était assoiffé. Le froid avait laissé place à une soif et une faim immense. Il se jeta sur l'eau tiède comme s'il n'avait pas vu une goutte d'eau depuis des siècles, se soucient assez eu de l'image qu'il pouvait bien donner. Au point où il en était de toute façon, il pouvait s'estimer heureux que Louis n'ait pas déjà décroché un téléphone et appelé la police.

Le jeune homme resta penché sur le lavabo encore un peu, son attention toute concentrée sur l'eau qui emportait de la boue ensanglanté. « Merci... » Il l'avait déjà dit mais il n'avait pas l'impression de… Il était encore perdu en fait. Il se tritura les doigts avec détresse et fixa l'employé de façon presque gênante. « Je… Vous auriez quelque chose à manger ? » Tomber de nouveau dans les pommes ne faisait pas partie de ses priorités, il jugeait s'être déjà beaucoup donné en spectacle et d'ailleurs… Un sanglot lui échappa avant qu'il n'ait eu le temps de vraiment se reprendre. « Désolé, je... » Rien. Il était paumé, largué, effrayé, mort de peur même, et il ne savait même pas où il était. Ni son propre nom. Ni d'où il venait. Ni…

- À manger ? Oui oui bien sûr allons... heu...

Il chercha des yeux un paquet de biscuit ou une briquette de jus de fruit et en vint à fouiller dans les placards. Il mit la main sur une barre de fruits secs. Pas terrible, mais au moins il allait pouvoir manger un bout. Il la le lui tendit en souriant et l'incita se calmer, lui tapotant le dos gentiment. Il l'invita à s'asseoir à ses côtés et à se poser.

- Bon, alors. Pas-de-nom. Je vais pas continuer à t’appeler comme ça, pour des raisons pratique on va t’appeler heu...

Il jeta un rapide coup d’œil au calendrier qui était posé sur la table de chevet, à la date du jour. Le pauvre il avait tout gagné. Louis et les idées de prénoms ce n'était pas encore ça. Il fallait tout de même rappeler qu'il avait donné à son fils son second prénom en temps que prénom.

- Toussaint. Ça sera plus pratique comme ça, te va ?

En attendant de trouver qui il était vraiment. D'ailleurs, le coup de l'homme amnésique lui rappelait tellement de scénario de film qu’il avait soudain du mal à contenir son excitation.

- T'es comme Jason Bourne en fait !

Bon d'accord il n'avait peut être pas en face de lui un agent secret (ou alors, il était vraiment mal en point et venait de planter sa mission) mais pour Louis, c'était tout comme. Il se pencha attrapa d'autres barres de fruits secs (au cas où) et au moment où il leva la tête vers son hôte, quelque chose au dessus de la tête de ce dernier captura toute son attention.

- Qu'est-ce que...

Non, il savait parfaitement ce que c'était. Ça, il l'avait déjà vue en rêve. Exactement ce signe (un arc s'il ne se trompait), et il savait pertinemment ce que cela voulait dire. Non... c'était juste impossible, pas ici, pas lui... D'abord il y avait eu cette fille qui faisait de la neige et ensuite, lui ? Il avait bien fait de venir au États Unis, il savait que sa quête n'était pas voué à l'échec !

- Toi aussi ? Tu es spécial, c'est ça ? C'est quoi le tient, Éros ? Ça ressemble à Éros.

Du moins, s'il se fiait à ses rêves. Mais jusqu'à présent, ils ne l'avaient jamais trompés. Il devait bien au moins se souvenir de ça, non ? Il avait la chance d'en avoir un deuxième sous la main, en à peine quelque mois. C'était un signe, il en était persuadé. Comment cela pouvait-il être possible autrement ?