Gaspard étouffait.  Il n’en pouvait plus. Il ne supportait plus cette vie de rat, terré à la colonie sans pouvoir rentrer chez lui, à New York. Voilà deux ans qu’il était résident permanent. Deux putains d’années. La colonie était pour lui une prison, une prison dorée certes, mais une prison tout de même.

Tous ces gamins, tout ce bruit, toute cette agitation lui donnait le vertige. A New York ce n’était pas pareil, l’agitation lui était familière, comme une vielle amie avec qui il aurait grandi. Ici, il était dénué de repères et même après deux ans, il se perdait encore. Non, vraiment, il ne s’habituera jamais  à sa nouvelle vie. Il avait tant de fois rêvé à partir, à prendre le premier train pour la ville. Mais il  savait qu’il n’y arriverait pas. Malgré tout l’amour qu’il portait à cette ville, elle le terrorisait. C’était encore trop douloureux. Et puis, même si il réussissait par je ne sais quel miracle à rentrer, ou pourrait-il bien aller ? Il ne se voyait pas retourner chez sa mère, qui ne s’était peut-être même pas rendu compte qu’il était parti et il n’avait pas de quoi se payer un hôtel.
Gaspard marchait sans but, mains dans les poches et cigarette à la bouche. Il n’avait cœur à rien, même pas d’aller voir Luke. C’était un jour sans, un jour ou il semblait encore plus mélancolique que d’habitude. Les gamins autour de lui s’amusaient, riaient. Ils étaient insouciants, heureux. Deux sentiments qui lui était inconnus désormais. Il n’avait parlé à personne aujourd’hui, trouvant à chaque fois un prétexte pour éviter la conversation. D’un autre côté, ce n’était pas comme si il était très sollicité par les autres sangs mêlés, au contraire, on pouvait compter sur les doigts de la main, ceux qui osait lui parler. Gaspard n’était pas le mec le plus sympa du camp, c’était le moins qu’on puisse dire.

Toujours est-il que le fils de Dionysos avait besoin de calme, de sérénité. Sans trop savoir pourquoi, il décida d’aller à la plage. Elle se trouvait en bordure du camp, dans la foret, c'était un endroit paisible ou il savait qu'on ne viendrait pas l'emmerder. Il aimait bien la plage. Le doux bruit de l'eau avait le don de l’apaiser. Pourtant, il n’avait découvert la mer que depuis son arrivée à la colonie. Gaspard avait toujours  vécu à New York, il n’avait jamais quitté la ville. Enfin si, il était allé à Paris une fois, pour aller voir ses grands-parents. Mais il n’en gardait pas un bon souvenir …

Il était à présent seul face à l’étendue d’eau salée. Le vent le décoiffait légèrement ;les rayons du soleil lui caressait le visage et il respirait l’odeur si particulière de l’air marin. Comment avait-il passé 17 ans sans connaitre ce bonheur ? Le franco-américain avait enlevé ses vielles converses et était pieds nus dans le sable. Il était apaisé. Il tira une taffe de sa clope. Bon, ce n’était pas la meilleure chose à faire à la plage. Fumer alors qu’il faudrait emplir ses poumons d’air marin, c’était même assez débile. Il s’en rendit compte mais n’éteignit pas sa cigarette  pour autant. Gaspard marchait, les yeux à demi clos, profitant de cet instant de quiétude rare. Si seulement Charlie était là, il aurait adoré cet endroit. Il se serait jeté dans l’eau, le sourire aux lèvres ; éclaboussant tout sur son passage. Gaspard aurait pesté mais il serait allé le rejoindre. Si seulement…

Il s’était assis par terre. Du sable lui rentrait dans le jean, mais il s’en foutait. Son moment de paix était passé, ses fantômes revenait le hanter. Il soupira.
« C’était donc trop vous demandé de pouvoir profiter, ne serait-ce qu’un instant d’un moment de tranquillité ? »

Il y avait de l’amertume dans sa voix. Il ne savait pas trop à qui il s’était adressé, à n’importe quel dieu qui l’écoutait en fait. De toute façon, ce n’était pas comme si on allait lui répondre. Les dieux n’avait jamais rien fait pour l’aider, lui, sa mère ou Charlie. Il les détestait presque. Alors qu’il était plongé dans ses pensées, il se rendit compte qu’il n’était plus seul. En effet, quelqu’un semblait venir à sa rencontre. Le soleil l’aveuglant un peu, Gaspard plissa les yeux pour mieux distinguer. C’était une jeune femme, d’à peu près son âge, un peu plus vielle peut-être. Elle tenait dans ses bras un bébé. Gaspard était interloqué : les bébés c’était pas vraiment courant à la colonie! L’effet de surprise passé, il fit semblant de ne pas voir l’inconnue, espérant vainement que comme ça, elle ne viendrait pas lui parler .Fait chier.
Son instant de tranquillité était définitivement terminé