Je me souviens de l’arrivée d’Onei comme si c’était hier. Ce matin là, j’étais partie de bonne heure pour acheter le pain pour le petit déjeuné des enfants, quand, devant la porte, j’ai découvert ce bébé, confortablement installé dans son panier, en train de mâchouiller un bracelet en poussant des cris joyeux. Dès qu’il m’a vu, il a ouvert grand les bras, lachant son bracelet, en riant aux éclats. Je n’avais pas vu d’enfant pareil depuis des années, en fait, je n’ai jamais vu de bébé avant lui. De véritable bébé, je veux dire, du moins, à l’orphelinat. Tous arrivaient après, agé de deux, peut-être trois, pour les plus jeunes : enlevés à leurs parents, orphelins suite à un accident… Moi qui pensait que les abandons devant les orphelinats étaient terminés, je n’aurais jamais crû que ça m’arriverait un jour. C’est horrible, de laisser son enfant, un nouveau né, seul, dans le froid. Surtout par ce mois de Janvier. Mais l’enfant n’avait pas l’air frigorifié, au contraire, il était même chaud, dès que je l’ai pris dans mes bras. En parfaite santé et invraisemblablement chaud, pour ce matin enneigé. Je l’ai tout de suite ramené à l’intérieur et confié la responsabilité d’aller chercher le pain à une aide qui venait de temps en temps pour s’occuper des enfants durant mon absence. Je n’avais aucune envie de laisser le petit nouveau alors que je l’avais à peine retrouvé, même s’il serait entre les bonnes mains de Lucy. En vidant son panier, pour y trouver des informations sur lui, je suis tombé sur le bracelet qu’il mâchouillait, les minutes précédentes. Dessus, il était gravé un mot en grec, seulement, je n’avais aucune idée de ce qu’il signifiait. Όνειρο. J’avais d’anciennes notions de grec, alors avait réussi à me souvenir de la connotation de ce nom. J’en ai déduit que c’était son prénom. Pour lui facilité la vie lors de son enfance, je lui ai toujours dit de l’écrire avec l’alphabet latin, plutôt qu’en grec. Oneiro. Plus tard, j’ai découvert une enveloppe dans son panier en osier. Je l’ai ouverte, pour en découvrir d’une écriture soignée un autre mot, en grec ancien. Ὕπνος. Et cette fois, même mes quelques connaissances en grec ne purent m’aider à en savoir plus. J’ai redisposé la lettre dans le panier, puis ai conduit l’enfant à une chambre vide de l’orphelinat, qui serait la sienne.

Quelqu’un tambourine contre ma porte, fermée à clef. Je regarde mon dessin. Il lui manque quelque chose. Mais je ne sais pas quoi… Ah, si ! Les grosses dents ! Je m’empresse de reprendre mon crayon de papier, pour dessiner rapidement les grosses dents du bébé chien à deux têtes que j’avais vu se balader ce matin avec la femme avec une jambe de biquette. En fait, je les ai vus dehors, mais moi, j’étais à l’intérieur. C’est bizarre, d’ailleurs, parce que la madame elle a levée la tête et m’a regardé dans les yeux. Elle a sourit. Et elle avait des canines pointues ! Mais elle avait l’air gentille, et drôle aussi, sauf que ça doit pas être marrant d’avoir une jambe de biquette, toute poilue. Je me redresse, en regardant mon dessin, le levant devant moi. Fier. Je me retourne pour aller l’accrocher au dessus de mon lit, avec les autres dessins : il y avait un monsieur avec un corp de cheval que j’avais vu l’an dernier, je crois, un autre monsieur, très gros, avec des jambes de chèvre, lui aussi, mais pas une seule, les deux ! Et une fois, dans la forêt, j’avais vu une fille qui sortait d’un arbre, toute verte. Alors je l’ai dessiné, en rentrant. Elle était jolie, en plus.
Dans l’orphelinat, les gens disent que je suis bizarre. Ils ne m’aiment pas. Ils disent que mon prénom est moche, mais moi, je le trouve bien, non ? Puis il y a cette nouvelle tutrice, elle non plus, elle ne m’aime pas. Elle dit que je ne suis pas normal, que je devrais me réveiller, et arrêter de rêver… Alors je lui ai pas dit.
Je lui ai pas dit que la dernière fois, j’ai vu le rêve de Spencer. Spencer, c’est une fille de l’orphelinat, elle aussi, c’est une Jones. C’est un nom qu’on nous donne, parce qu’aucune famille ne nous a jamais adopté, alors on a pas pris leur nom de famille. Jones, c’est très courant, en Amérique, alors ils nous le donnent. Comme ça on a un nom. Et Spencer, c’est l’une des seules qui est gentille, avec Anna, la tutrice qui m’a trouvé, il y a sept ans.
En tout cas, j’ai vu le rêve de Spencer. Elle rêvait de quelque chose qui faisait peur. Un homme, sans visage, derrière une capuche, avec un couteau. Je sais pas si c’est parce que quand elle était petite, ses parents se sont fait tuer, ou si c’est juste un rêve, mais elle avait très peur, dans son rêve. Alors, j’ai voulu que le méchant monsieur il se fasse taper dessus avec une casserole. Et il y a quelqu’un qui est arrivé et qui lui a abattu une casserole sur la tête. C’était drôle, parce que là, on aurait dit qu’on était dans un dessin animé. Il y a eu des étoiles qui tournaient en cercle, au dessus de sa tête.

Ce gosse est vraiment une enflure. Oui, je suis sérieuse. Derière ses aires de petit ange blond avec ses grands yeux bleus, c’est vraiment un monstre. Il est sans arrêt, à dire qu’il a vu les choses qu’il dessine, et ce, depuis que je suis arrivé à l’orphelinat. Il mérite d’être interné dans un hôpital pour les fous. Et puis c’est quoi, ces imbécilités d’abord ? Les chiens à deux têtes, ça n’existe que dans les contes. Je ne sais même plus dans lesquels ils existent. Et puis il est là, à bourrer la tête de tous ces pauvres orphelins. Et après, c’est lui qui dit qu’il est embêté ? En plus d’être un fou, c’est un menteur né. Je ne comprends même pas pourquoi Anna s’obstine à le garder. Elle devrait le refiler à une maison d’accueil, ou le mettre dans un internat. Il nous ficherait la paix, comme ça.

Aujourd’hui, c’était mon premier jour au collège. J’ai encore vu des choses. Un homme avec un seul œil, hyper grand, qui m’a sourit d’un sourire carnassier, une femme bizarre qui se promenait avec des serpents en laisse…
J’en parle encore à Anna. Plus à la vieille femme qui ne m’aime pas. Elle, je l’évite. Elle veut me virer de l’orphelinat, alors elle guette jusqu’à ce que je fasse une bêtise. Anna, elle, dès que je lui en parle, elle me regarde avec ses grands yeux verts, puis elle acquiesce, en me caressant les cheveux.
Aujourd’hui, à l’école, il y a une fille qui a fait une crise de quelque chose. Elle avait peur du monde qu’il y avait, et elle était juste à côté de moi. Alors, machinalement, je lui ai pris la main, puis tout de suite, elle s’est calmée. C’était très bizarre, parce que c’était comme si je prenais son angoisse, vu qu’après j’ai ressenti ce qu’elle a dû ressentir à ce moment.

« Bah alors Onei ? T’arrive à lire ? » me demande une voix, mesquine. Je lève la tête de mon journal avant de le regarder, un petit sourire discret aux lèvres « Oui, merci, tu veux lire ? » Il rit. Et son rire puissant, est suivit de celui de ses compagnons, d’autres orphelins, tous ligués contre moi. « T’es vraiment un imbécile, Oneiro. Pas croyable ! » et il tourne les talons. Je le regarde partir, inexpressif, avant de me remettre à ma lecture. J’entends quelqu’un qui s’assied à côté de moi. « ça va, Onei ? » C’est la voix douce de Spencer. Je la regarde avant de sourire, et tandis qu’elle me rend mon sourire, lui répond avec entrain « Oh oui, super bien. Les articles sont très intéressants, même s’il n’y a aucune photos  » elle me regarde, un sourire en coin, une expression triste sur le visage, puis s’avance vers moi pour me chuchoter « Tu comprends ce qu’il y a marqué ? » je la regarde, les sourcils froncés cette fois. « Bien sûr ! C’est très simple. » Elle se mord la lèvre inférieure « Mais… Onei… C’est du grec ! » Je fais une moue « Je sais. Mais c’est simple. Si tu veux, je t’apprends ? » Puis elle ferme les yeux, avant de s’en aller, sous le ricanement des garçons de tout à l’heure.

Quand le petit n’est pas revenu, après l’école, je me suis d’abord dit qu’il devait être chez un ami, ou était resté au parc, avec des camarades. Mais Onei n’avait pas d’amis, mise à part Spencer. Elle était la seule dotée d’une patience surhumaine avec lui, mise à part moi. Puis j’ai commencée à m’inquiéter. J’ai appelé la police, les services compétant, et tout ceux qui pourraient m’aider… Puis Elizabeth m’a dit que c’était bon débarras. Qu’il avait dû fugué, qu’il s’était rendu compte de sa folie, qu’il s’était éloigné de nous nous pour nous épargner ses futurs excès de folie. Mais je n’y croyais pas… Cet enfant était tellement seul, tellement solitaire, tellement… dans son univers. Il lui était arrivé quelque chose. Et pourtant, à côté, il avait eu une belle enfance. Il n’avait jamais fait attention aux paroles des autres, qui ne l’atteignaient jamais. Il me parlait d’eux comme si c’était eux qui ne comprenaient pas, et bizarrement, je le croyais. Il pouvait se débrouiller. Il avait toujours été débrouillard. Il saurait où aller.

« Comment es-tu entré ? » demande le grand homme-cheval en fronçant les sourcils « J’ai monté la colline, puis j’ai passé l’arbre, et le dragon et… » je commence, d’une voix monotone, avant qu’un homme en chemise hawaïenne et en jogging m’interrompe, impatient « Comment as-tu trouvé le camp ?! » j’ouvre la bouche avant de sourire « Oh, je le trouve très beau il… » l’homme-cheval et l’homme soupirent en même temps, comme s’ils ne faisaient qu’un, avant que l’homme cheval reprenne « Comment es-tu arrivé jusqu’ici ? Comment as-tu sû où le camp se trouvais ? » Je le regarde, d’abord sans comprendre, avant de sourire de nouveau « Oh, en fait, je ne cherchait pas le camp. C’est les chevaux ailés, que j’ai vu dans le ciel, en ayant l’impression qu’ils voulaient que je les suivent. Alors c’est ce que j’ai fait, et je suis arrivé jusqu’ici. D’ailleurs, où sommes-nous ? » les deux hommes se regardent les yeux ronds.
Ils m’expliquent que je suis un enfant de dieu, tandis que je les regarde en souriant. Les dieux ? Les dieux grecques ? Et mon nom, Oneiro, c’est grecque ? Alors ça expliquerait beaucoup de choses ! Je les écoute, avec attention. L’homme cheval s’apelle Chiron, et c’est un centaure. Il est l’entraineur des héros. L’homme avec la chemise hawaïenne, qui a l’air en colère, c’est Dionysos, le dieu du vin, qui s’est fait punir par Zeus, son père, et est donc obligé de « se coltiner des imbéciles heureux comme vous tous » comme il dit. Je leur explique que j’ai vu d’autres créatures, avant les chevaux ailés –qui sont des pégases-. Je regrette d’ailleurs d’avoir laissé mes dessins, j’aurais pu leur montrer ma collection.
Je regarde mon bracelet,  Όνειρο. Les lettres se transforment devant mes yeux, comme lorsque je lis mes magazines en grec. « Rêve ». Je sourit a Chiron et Dionysos, silencieux, en train de me scruter. Chiron dit alors « Nous allons te mettre dans le bungalow d’Hermès, le temps que le dieu qui t’a engendré te reconnaisse. Suis-moi. » Je me lève, avant de toucher la poche arrière de mon jean. Soudain, je relève la tête « Ὕπνος ! » Chiron se retourne, surpris, les yeux ronds. Je reprends, en sortant l’enveloppe que je garde toujours sur moi et la tend à Chiron « C’est Hypnos, non ? »

Sois le bienvenu sur Filiorum Ex Deorum, Oneiro ! Te voilà donc validé ! Ta fiche était super fluide et très agréable à lire ! J'espère qu'on en apprendra davantage sur Onei dans tes RP, comme les raisons de son abandon, des étapes de son voyages jusqu'à la Colonie, etc. En tout cas, bon jeu sur FED avec ce petit personnage !.

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