Attirée par la lumière, je m’élance en direction du faible rayon lumineux que j’aperçois à travers l’obscurité profonde et terrifiante de la nuit qui malgré tous ces essais, n’a pas réussi à me paralyser. Mais c’est pourtant la peur au ventre que je m’aventure sur le sol dur et glacé de l’appartement, sans que la présence de mon père ne puisse me réconforter ni me donner le courage d’affronter ce qui va suivre. Un cri rauque survient alors. Etait-ce le mien ? Je n’en ai aucune idée. Mes mains sont moites et mon cœur bat la chamade. Je m’entaille profondément le bras. Du sang se met doucement à couler et je le regarde tomber sans me rendre compte de ce qu’il se passe vraiment. Je suis dans un état de transe que je connais trop bien, dans un sommeil profond qui me torture de l’intérieur et me force à rester inconsciente dans le froid, à la merci des ténèbres. « Calmes-toi, respires. Il n’y a rien, tout va bien se passer ». Je ferme les yeux mais un hurlement me fait les ouvrir de surprise. Je me colle contre la porte de ma chambre et me laisse tomber, ma chemise de nuit collant à ma peau, trempée de sueur. « Distingue le réel de l’irréel. Distingues le avant que l’obscurité ne t’emporte.  Distingues le et tout va s’effacer. Tout va changer. »

- Проснись. Теперь , je murmure.

Il faut que je me réveille. Immédiatement. Ou sinon je sens que je vais rester bloqué. Des larmes coulent de long de mes joues et mes cheveux décoiffés sont mouillés. Mon cœur cogne de toutes ses forces comme si il cherchait à s’échapper de mon thorax. Mon regard est fixe, en direction du vide. Du néant qui m’envahit peu à peu.

Soudain, un sifflement anormal parvient à mes oreilles, comme si il venait de l’extérieur de mon esprit. Et c’est lorsque la lumière du jour apparaît que je comprends ce qu’il se passe réellement. Mon réveil sonne. Je lâche un cri euphorique et bondit de mon lit avant d’ouvrir la fenêtre et de regarder le temps qu’il fait. Un sourire m’échappe lorsque je vois que le temps est parfait pour aller courir. Je saisis mes baskets et des vêtements de sport au hasard dans mon armoire puis les enfile rapidement avant de prendre mon téléphone où de la musique se met à résonner. Mon père n’est pas encore réveillé, de ce fait je descends les escaliers à tâtons et lorsque je suis arrivée dehors, pars en trombe en direction de Central Park.

« Respires calmement. Inspire. Expire. Encore. » Je repète l’opération plusieurs fois tout en restant en mouvement, avançant au rythme de la musique.  Courir m’aide à réfléchir. Je ne sais pas ce qui cloche chez moi en ce moment mais je ne cesse de passer des nuits étranges. Je sens que je fais des cauchemars mais à chaque fois que je me lève, j’oublis et seules des bribes indéchiffrables me restent en mémoire. Comme si en quelques secondes quelqu’un avait réussi à les effacer pour me protéger ou me tenir dans l’ignorance. Je secoue la tête, mes pensées me surprenant plus qu’autre chose. Je deviens folle avec toutes ses histoires. Je me concentre alors sur la course.

Le décor défile autour de moi. Je finis par oublier tout ce qu’il y a, et le paysage devient flou et inanimé. Je me vide la tête de pensées négatives, de questions insensées et d’images incompréhensibles. J’éclate de rire, pour la première fois depuis ce qu’il me semble une décennie et laisse mon esprit vagabonder où bon lui semble dans mon imaginaire, dans une vie meilleure où je n’ai pas à supporter l’absence de ma mère et la tristesse permanente de mon père. Je m’imagine dans les bras de celle qui m’a mis au monde, de son corps chaud collé contre le mien, de son cœur battant près de moi et de son sourire illuminant la Terre. Je m'imagine en Russie, mon pays natal auprès de ma famille réunie et épanouie autour d'une table. Je m'imagine entourée des gens que j'aime, dans un monde qui fait de moi une personne meilleure que je le suis aujourd'hui. Je m'imagine ailleurs qu'ici.

Soudain, me téléphone se met à vibrer, me tirant de ma rêverie. J'écarquille les yeux en voyant qui m'appelle.
- Allo?
- Spency? Tu es où? demande mon père d'un ton inquiet.
- Au parc, comme d'habitude pourquoi?
- Rentres tout de suite à la maison!
- Quoi? Pourquoi?
- Parce que c'est tout!

Je hausse les sourcils de surprise puis les fronce mais il ne peut pas me voir. Je m'apprête à couper la conversation et je tourne la tête. Mais le spectacle qui me fait face m'horrifie plus qu'autre chose et je lâche un cri, faisant tomber le téléphone par la même occasion qui s'écrase et se brise par terre. Je me pince le bras plusieurs fois pour m'assurer que c'est bien réél mais je ne rêve pas.

Je suis bel et bien face à un minotaure.

La peur me saisit avant même que je ne réalise réellement ce qui est en train de se produire. Ce n'est pas possible. Mes soupçons se confirment, je suis complètement cinglée. Sans quitter la bête des yeux, je recule doucement en direction d'une sortie. Je jette un oeil aux alentours mais évidemment il n'y a personne. Pourtant d'habitude ce parc grouille de monde. La créature me jauge du regard puis renifle dans ma direction. Je pue ou quoi? Je la regarde intensément et mon coeur manque un battement. Il mesure au moins deux mètres, je dirais même plus et possède un gourdin gigantesque qu'il ne tarde pas à utiliser. Il balance son arme de toute ses forces contre l'arbre le plus proche. Je hurle. L'arbre se met à tomber au ralenti dans ma direction et je sais que je dois bouger si je ne veux pas finir écraser sous son poids. Mes jambes reprennent du mouvement et décident à ma place d'avancer. Mon esprit est paralysé par la peur qui me broie les entrailles. J'ai le souffle court, mais je dois agir. Trouver une arme, un abri n'importe quoi. Bordel, comment ils font les héros dans les films?

"Inspire. Expire. Encore. Concentres-toi bon sang!" Le souffle court, j'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. Je baisse les yeux face au tronc d'arbre et brise une branche pour m'en servir contre l'immense bestiole. Je la brandis en tremblant de tout mon être mais le minotaure s'en amuse. De toute façon c'est impossible que je puisse le battre. Et personne n'a l'air de se rendre compte qu'un minotaure apparu dont ne sais où essaye de m'attaquer.

- Spency!

Une voix. Celle de mon père. Un soupir de soulagement m'assaille suivi par de la terreur. Non, il ne doit pas rester là. Je fais demi tour et tente de courir, dos au monstre. Mais la créature n'a pas l'air du même avis et me décolle du sol de sa main libre, remplie de verre brisée et de sang qui n'a pas l'air d'être le sien. Je déglutis.

- Папа, что происходит?*

Mon père ne répond pas et sort une arme à feu que je ne reconnais pas. Je ferme les yeux et entend un BOUM retentissant. La bête me relâche brutalement et je m'écroule par terre, le choc me bloquant la respiration. Le minotaure disparaît alors à son tour. Des larmes jaillissent de mes yeux et je me roule en boule sur le sol. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive? Des bruits de pas me font lever la tête quelques instants plus tard, après que j'ai versé un torrent d'eau, et mon père pose tendrement une main sur mon épaule.

- Tu l'as tué? Il est...mort? questionné-je

Mon père esquisse un sourire et soupire en me tenant fort contre lui.

- Non. C'est toi qui l'a fait ma chérie.
- Racontes pas n'importes quoi je t'ai vu sortir une arme, je réponds en séchant mes larmes.
- Je n'ai pas eu à m'en servir, ton bouclier l'as fait explosé.
- Mon bouclier? Arrêtes de te moquer!

Je me détache de son emprise, en colère. Ainsi il ose plaisanter de la situation! Comme si je n'étais pas déjà assez secouée par cette histoire de minotaure! Je n'ai rien demandé!

Mon père m'explique alors que je suis une demi-déesse, fille d'Athéna et que c'est pour cette raison qu'elle nous a abandonné à la naissance, mais qu'il ne faut pas la blâmer. Il m'explique aussi qu'il arrive à voir à travers la Brume et que sinon il n'aurait pas vu le minotaure comme moi, et qu'il va m'emmener à la Colonie des Sang-Mêlées là où je serais en sécurité, où j'apprendrais à me maîtriser. J'avoue que je ne l'ai pas cru sur le coup: qui pourrait? Et que j'ai pensé un instant qu'il était tombé sur la tête mais finalement j'ai accepté la réalité et cela fait huit ans que je la côtoie.

Voilà mon histoire.

*Papa, qu'est-ce qu'il se passe?