Hero ne savait pas comment il avait réussi à dénicher ce petit boulot, mais maintenant qu’il l’avait, il ne comptait pas le laisser filer entre ses doigts. Tout était bon pour se faire de l’argent – propre, qui plus est, alors il n’allait pas laisser partir cette occasion. C’est pourquoi ce matin-là, il se tenait debout, devant l’animalerie où il devait travailler, à huit heures. La boutique était déserte. La gérante, celle qui avait accepté de l’embaucher, n’arriva que sur les coups de dix heures. Il n’avait pas bougé. Quand elle lui demanda si cela faisait longtemps qu’il attendait, il lui assura qu’il était arrivé à peine cinq minutes avant elle, et elle ne posa pas plus de questions. À quoi bon ? Il passerait sûrement pour un type louche s’il lui disait que cela faisait deux heures qu’il attendait, et il tenait vraiment à garder ce job. Au moins un jour, quoi. C’était toujours mieux que ce qu’il avait l’habitude de faire pour se trouver un peu d’argent.
L’animalerie n’était pas très spacieuse, mais les cages et enclos où les animaux étaient enfermés étaient assez grands pour qu’ils ne soient pas entassés les uns sur les autres. À la disposition de la boutique, on devinait que la vieille dame qui s’en occupait prenait grand soin de ces animaux avant qu’ils ne trouvent de nouveaux maîtres. L’odeur qui flottait dans l’air sentait le pain d’épice et les croquettes pour chien – un mélange un peu étrange, mais pas si désagréable que ça. Enfin bref. Selon les dires de la gérante, son rôle à lui était juste de s’assurer que tout allait bien et de s’occuper de la caisse. Elle lui expliqua aussi que l’animalerie n’était pas particulièrement fréquentée mais qu’elle bénéficiait d’une bonne réputation dûe au bouche à oreille du coin. De toute façon, Hero ne demandait pas plus. Un job tranquille et sans emmerdes, où personne ne le reconnaîtrait et où il serait payé en plus. L’idéal, en somme. En plus, il y avait des chats, et il adorait les chats.
Les premières heures passèrent tranquillement. Les rares clients qui venaient semblaient être des habitués du quartier car à chaque fois, la vieille dame se précipitait à leur rencontre et les lui présentait d’un air ému (« Et là, c’est madame Martins ! Elle vient boire le thé chaque semaine ici… » « Oh, tu dois sûrement avoir entendu parler de Monsieur Goodell, c’est un sénateur ! » « Hero, je te présente mon amie d’enfance Anya ! On se connaissait sûrement avant que tu naisses, ahah ! »). C’était amusant durant un temps, mais ça avait fini par déraper, notamment quand Mr Goodell lui demanda s’ils s’étaient déjà rencontrés quelque part. Alors Hero avait fini par fuir vers le rayon des chiots, prétextant qu’ils avaient besoin d’un peu se dégourdir les pattes. Un beau mensonge.
Il s’était donc assis, à même le petit box où les chiots étaient enfermés, lesquels étaient devenus complètement fous comme si c’était un nouveau jeu. Il avait d’ailleurs bien du mal à gérer leur énergie car ceux-ci ne semblaient jamais s’arrêter : ils courraient, sautaient partout et s’amusaient à l’escalader comme s’il n’était qu’un objet, le tout en jappant joyeusement – mais au moins, eux ne posaient pas de question. Hero espérait seulement que personne ne le trouve dans cette situation un peu bizarre. Mais aussitôt qu’il formula ce souhait, ses yeux se posèrent sur une silhouette entrant dans la boutique. Malgré sa connaissance assez floue des membres de la Colonie, il n’eut aucun mal à reconnaître ce visage. Mais il préférait plutôt mourir que d’être reconnu ! Alors, dans un élan de panique, il s’allongea sur le ventre et cacha son visage avec l’un des jouets qui traînaient dans le box, croisant les doigts pour que ce fils d’Apollon soit plus intéressé par les oiseaux que par les chiots.