La petite fille blonde aux cheveux ondulés embrasse la femme qui l’avait raccompagnée. C’était une grande dame aux yeux bruns et aux cheveux roux. C’était la maman de son amie Freya. La femme aurait voulue rentrée, mais elle ne voulait pas déranger le père célibataire de la jeune enfant de six ans, alors elle laissa la jeune fille rentrer chez elle avant de tourner les talons, et de rejoindre sa propre fille dans la voiture qui attendait en souriant. Casey sourit avant de fermer la porte en se mettant sur la pointe des pieds pour verrouiller la porte derrière elle, comme le lui avait dit de faire souvent son père. Elle posa son sac de classe gris, ôta son manteau noir qu’elle plaça bien correctement sur le porte manteau en se dressant sur la pointe des pieds et en sautillants, n’étant pas de taille à réussir à accrocher son manteau seule. Mais elle le faisait quand même seule, parce que son père avait d’autres choses à faire. Elle se demandait même s’il n’était pas en train de dormir. Elle parcourut la maison, soigneusement rangées et enleva ses petites baskets, qu’elle rangea là aussi dans le meuble à chaussure.
Elle se dirigea alors vers le salon, où elle était sûre de trouver son père, s’il regardait la télé ou n’était pas dans sa chambre. Mais elle avait entendu le son du téléviseur, indiquant que quelqu’un était bien là, car la chaine changeait très souvent. Elle s’approcha, contourna le grand canapé en cuire qui la dépassait et découvrit son père, affalé, un pied déchaussé sur la table basse, la télécommande à la main et une bouteille, qui n’était pas de la bière, dans l’autre. Elle était quasiment terminée, et la petite fille remarqua facilement d’autres bouteilles, qui cette fois-ci étaient des bouteilles de bières, par terre et parfaitement alignées. Elle sourit à son père, grimpa sur le canapé et vînt déposer un baiser sur la joue de l’homme, qui était gelée. Mais son père était bel et bien réveillé, les yeux fixant le poste de télévision, et avalant de grandes gorgées de la bouteille qu’il tenait à la main. Quand il sentit les lèvres fines de sa fille, son bébé, son trésor, se déposer sur sa joue, il tourna la tête vers elle et lui sourit. Il puait l’alcool, mais la petite en avait l’habitude. Cela faisait plusieurs mois qu’il buvait beaucoup, et sûrement pas que de l’eau. La jeune fille se prépara à descendre, et, en prenant appuis sur son père pour ne pas tomber la tête la première, ses petits doigts délicats touchèrent l’intérieur du poignet de son père. Elle s’arrêta net.
Elle voyait flou, mais suffisamment distinctement pour voir son père étendu sur le sol du salon, baignant dans son propre vomi, mélangé à la nouvelle bouteille d’alcool à peine entamée. Les bords de l’image qu’elle pouvait voir étaient noirs, comme si tout cela n’était qu’un songe. Alors elle se senti s’approcher de son père, inconscient. Elle ne savait pas s’il dormait, ou… Mais elle n’en était pas rassurée.
Elle reprit conscience après quelques instants, son père la regardant dans le vague, trop peu lucide pour s’inquiéter comme il le faudrait des spasmes plus ou moins violents qu’elle venait d’avoir durant ces cours instants. La petite descendit du canapé, observa son père de ses grands yeux bleus et croisa l’étiquette de la bouteille qu’il tenait. « Whisky ». Elle inclina sa tête d’entend innocente sur le côté et se souvînt de l’étiquette de la bouteille du « songe » qu’elle venait de faire. C’était la même, mais la bouteille était remplie, et non quasiment vide comme là. Elle sourit à son père, avant de le tirer par les mains et de l’obliger à se lever.
- Papa, vas te reposer, il faut que tu arrêtes de boire beaucoup, parce qu’après tu vas dormir dans ton vomi.
La phrase était dite d’une façon si innocente… Et pourtant elle voulait en dire beaucoup. Le père, bien que loin d’être sobre s’arrêta dans son élan de reprendre une gorgée et observa sa fille d’un œil surpris. Puis il observa la bouteille qu’il tenait en main. Puis son regard bleu, identique à celui de sa fille, passa de la bouille de son trésor à la bouteille. Il déglutit et se pencha pour prendre toutes les autres bouteilles qui étaient posées délicatement sur le sol. La petite blonde le suivit jusqu’à la cuisine, où il jeta tout dans un bac et vida ce qu’il restait de la bouteille en verre dans l’évier, avant de la jeter elle aussi, dans la caisse, produisait un tintement assourdissant. Il se retourna et regarda sa fille, en souriant, et s’avança d’un pas chancelant vers elle pour lui prendre la main et l’entrainer à l’étage, où ils s’endormirent tous les deux sur le lit de l’homme.

Les deux adolescentes rirent de bon cœur dans les rues de Londres plongées dans l’obscurité. Le quartier était calme, et c’était elles qui faisaient le plus de bruit. Mais heureusement, aucun habitant ne se plaint dans les minutes qui suivirent. Il y avait une blonde et une rousse, toutes deux aux cheveux décoiffés et au maquillage pratiquement coulant. Il était plus de deux heures du matin, et elles sortaient toutes les deux d’une soirée qui devait être la soirée de l’année. Et ça le fut, pour les deux jeunes filles, même si l’une avait bien plus profitée des boissons et distractions proposées que l’autre. En effet, Casey n’aimait pas boire. Elle n’avait jamais aimé ne pas pouvoir se contrôler et perdre sa lucidité. Parce que sa sobriété était tout ce qu’elle avait, si jamais il arrivait quelque chose qu’elle pourrait regretter. Elles avaient plus ou moins seize ans, et se connaissaient depuis des années, maintenant.
- Bon, ma Casey, s’exclama la rousse entre deux éclats de rire, dus à l’alcool et aux fumées inhalées durant la soirée. Je vais te laisser, il faut que je rentre, je ne vais pas dormir dehors, quand même !
La blonde acquiesça en souriant. Freya était la seule amie qu’elle n’a jamais eue. Tous les autres jeunes autours d’elle la trouvaient étrange, mais ça ne dérangeait pas Casey. Elle était la fille discrète et solitaire, pessimiste et la plupart du temps blasée, accompagnée uniquement de sa meilleure amie, qui était tout son contraire, une fille pleine de vie et joyeuse. Elle la serra dans ses bras frottant vigoureusement le dos de la rousse qui frissonnait un peu, et ses mains descendirent le long des bras de son amie, touchant sans qu’elle le décide l’intérieur du poignet de son amie. Elle fut prise de spasme, comme il y avait dix ans, plus ou moins violents, qui durèrent quelques secondes. Son amie, intriguée et surtout inquiète resta en regardant la blonde, les yeux ronds. Casey finit par revenir à elle, ses yeux bleus regardant autours d’elle. Elle souffla de soulagement en voyant son amie et la serra contre elle.
- Fifi ? Tu ne veux pas plutôt qu’on rentre ensembles toutes les deux, chez moi ? Mon père ne dira rien, il comprendra, et tu n’auras qu’à envoyer un message à ta mère pour ne pas qu’elle s’inquiète demain matin.
La rousse lui lança un regard interrogatif auquel la blonde répondit par un clin d’œil confiant, et Freya accepta sans demander à en savoir plus. Elle n’avait pas suffisamment de courage et de force pour résister à son amie qu’elle savait bornée. Et Casey fut soulagé que son amie ne résiste pas.
Elle frissonna, en repensant à la vision qu’elle avait eue. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, et la première fois que ça s’était déclaré, c’était il y a dix ans, avec son père. Elle avait eu d’autres intuitions, toutes aussi horribles les unes que les autres. Quand elle touchait l’intérieur du poignet de quelqu’un, elle voyait ce qu’il arriverait s’il faisait ou continuait une chose, dans les heures qui suivaient ce toucher. Elle voyait, à chaque fois, le pire scenario qu’il pourrait se passer. Et elle n’avait aucune idée de si ce n’était que des hallucinations ou si ça se passerait vraiment. Mais elle avait des intuitions, et ses intuitions ne la trahissaient jamais. Alors elle faisait changer d’avis à la personne, le plus vite possible. Il ne s’était jamais passé quoi que ce soit avec les personnes dont elle avait eu une intuition, et elle n’en avait jamais parlé à personne, ni même à Freya. Elle avait peur qu’on ne la croit pas. Enfin si, elle en avait parlée à son père, il y a quelques années… Il avait eu du mal à comprendre au début, mais il avait finalement accepté, maugréant quelque chose qu’elle n’avait pas entendue.
Elle resta quelques secondes à fixer un passage sombre d’une ruelle que Freya aurait dû traverser pour rentrer chez elle. C’est dans ce passage, que se passait ce qu’elle avait vu. Elle avait vu trois hommes, trois vingtenaires, peut-être même plus âgés. Trois hommes, qui s’étaient approchés de Freya en l’entourant et en la complimentant sur la robe qu’elle portait. Trois hommes, qui se rapprochaient de plus en plus, et une Freya, stone et déboussolée, qui n’entendait que les compliments et remerciait les hommes avec son sourire étincelant. Et vous n’avez pas besoin de savoir la suite en détail, personne ne doute de ce qu’il s’est passé, dans la vision de la blonde. Mais imaginez le plus horrible qu’il soit. C’était ça, ce qu’elle voyait. Le plus horrible.
Elle se retourna, et les deux adolescentes partirent, bras dessus-dessous, en suivant l’allée éclairée de cette rue de Londres dans laquelle elles avaient ris, quelques minutes auparavant. Elles rentraient chez Casey.

La blonde observa le camp qui se tenait devant elle. Elle n’avait aucune envie d’être ici. Elle n’avait aucune envie de quitter son Londres qu’elle aimait tant. Aucune envie de quitter son vieux père, duquel elle prenait soin depuis plus de dix ans maintenant. Aucune envie de quitter sa Freya, sa meilleure amie, sa « sœur », sa seule amie… Mais son père l’y avait obligée. Il avait dit que ce serait mieux pour elle, qu’elle rencontrerait des enfants comme elle. Il lui a expliqué qu’elle était la fille d’une déesse. Ce que la jeune femme eu d’abord du mal à intégrer, car elle à ri. Oui, Casey à ri, alors qu’elle ne riait pas, d’ordinaire. Elle riait aux éclats, annonçant que la blague était bonne à son père, qui pourtant affichait une mine grave. Puis des gens sont venus la voir. Des gens lui ont parlés. Des gens lui ont expliqués la même chose que son père. Et le visage de la blonde était devenu impassible, blasé. Elle était déconcertée, détruite, perdue en son fort intérieur.
Elle n’était pas à sa place, ici, dans ce camp où elle ne connaissait personne, et où elle ne voulait connaître personne. Que quelqu’un ait entendu le son de sa voix dans ce camp pour « demis-dieux », comme ils l’appelaient tous, serait déjà très  surprenant, car Casey n’avait pas le souvenir d’avoir une seule fois prononcé le moindre mot, depuis son arrivée ici.