Ruth pointa un nez dehors, balayant l’espace visible d’un œil vigilant avant de se glisser en dehors de son bungalow dans le plus grand silence. Elle avait déjà rencontré les harpies de patrouille et elle n’avait vraiment pas envie de renouveler cette rencontre. Leur piaillement lui donnait mal à la tête en plus. Un soupir de soulagement lui échappa quand elle se rendit compte qu’il n’y avait personne. Elle retint directement sa respiration, de crainte qu’on l’ait entendu mais, après une attente silencieuse et insupportable, elle conclut qu’elle avait été suffisamment discrète. Dieux, qu’elle détestait ce genre de cache-cache.

Ses pas la conduisirent à l’ombre de l’arène, là où personne n'allait et, surtout, là où personne ne la verrait. Quant à son odeur de demi-dieux elle ne pouvait rien y faire, elle n’avait plus qu’à prier. Non pas que ça change quelque chose, Erèbe ne s’était manifesté qu’une fois : le jour où elle s’était pointé dans cette Colonie. Depuis rien, nada, niet, silence radio et pas de coup de fil. Elle grommela tout bas. « Merci papa, moi aussi je t'aime. »

A dire vrai, rien que d’y penser elle s’était renfrognée. Elle n’avait vraiment pas besoin de ça. Elle s’était aventurée en forêt cette après-midi pour chercher une arme égarée et « teeeeeellement » importante. Elle citait la propriétaire de ladite arme qui était une amie. Etait, à l’imparfait. Cette soi-disant amie savait que Ruth n’aimait la forêt car elle la trouvait lugubre mais non ! C’était à Ruth qu’elle avait demandée. Autant dire que ça n’avait pas mis Ruth de très très bonne humeur.

Celle-ci se laissa tomber en tailleur avec un grognement. En plus elle n’arrivait pas à dormir et n’avait pas eu le temps de s’entraîner à utiliser les Ténèbres en plein soleil. « Pourquoi j'ai des amis déjà ? »

Elle était sur ce projet depuis des années ! Elle sentait qu’elle touchait presque au but et que quelques mois d’entraînements de plus lui permettrait de parvenir à invoquer les Ténèbres sous la lumière. Elle le sentait ! Elle grinça des dents à cette pensée. « Encore faut-il qu'on me laisse m'entraîner. »

Elle ferma les yeux très fort en expirant longuement et imagina toutes ses pensées et émotions négatives sortir en même temps. Elle se détendit ensuite le mieux qu’elle put en baillant et en s’étirant et massa sa nuque avec une grimace. Elle avait toujours des torticolis quand elle était crispée. Et oui, elle était une petite vieille, elle était parfaitement au courant.

Elle se concentra ensuite sur les noirceurs devant elle et tissa une bille d’énergie noire avec patience. Elle ne voulait pas faire le moindre accroc. Certains voyaient les Ténèbres comme une masse compacte, Ruth les voyait comme des milliers de fils fins prêts à être tissés dans la forme qu’elle leur indiquerait. C’était pour cette raison qu’elle était si douée pour tisser des objets composés de Ténèbres, elle avait une façon de les voir bien à elle. La bille finie, les fils d’énergie étaient si serrés qu’on ne les voyait plus, à présent c’était juste une fine bille noire. Une fine bille noire qui pouvait faire bien des dégâts, soit dite en passant.

Un bruit de pas la fit sursauter et la bille alla s’incruster dans un mur de l’Arène avant de se désagréger, faisant grimacer Ruth. Elle se glissa au plus près des ombres et tenta de s’incruster dans le mur, et si c’était les harpies ? Elle chassa cette pensée, ça la ferait paniquer. Ca ne pouvait pas être elles, les harpies étaient bruyantes, les pas étaient… eh bien c’était juste des pas et non pas des battements d’ailes et des piaillements stridents. Elle se pencha un peu pour voir mieux et écarquilla les yeux en reconnaissant le demi-dieu. Le mini-Hadès ! « On se promène graine d'Enfer ? »

Elle sortit de l’ombre en silence, un sourire au coin des lèvres et les bras croisés dans un semblant d’imitation d’autorité. Autorité complètement inexistante vu qu’elle-même était en dehors de son bungalow après le couvre-feu.

Ruth se retrouvait dans l’Arène, à grommeler et à s’énerver toute seule.  Ca lui arrivait plus souvent qu’on le pensait. Quoique, elle doutait que quiconque s’intéresse à ses sautes d’humeurs. A part Sophie bien sûr, après tout c’était elle qui prenait tout sur la tête presque à chaque fois, non pas que ça la dérange… enfin peut-être un peu à bien y réfléchir. Donc Ruth se trouvait dans l’Arène, dans un coin, là où elle était plus ou moins invisible et à l’abri des harpies. Normalement. Sauf que visiblement ce n’était pas le cas. Elle venait de créer une bille de ténèbres quand elle entendit des pas. Ce qui la fit sursauter. Ce qui envoya la bille dans le mur de l’Arène. Qui arborait maintenant un joli impact pas du tout discret. Eh bien… elle espérait que personne ne l’ait vu.

Espoir soufflé dès que le mini-Hadès fit un commentaire sur les jeux dangereux. Ruth jeta un coup d’œil coupable vers le mur et grimaça. Elle espérait qu’elle n’avait pas fragilisée la structure. « Moi c’est Ruth. » Elle sortit un stylo, retroussa sa manche et leva son bras en espérant attraper un peu de lumière. Ses avant-bras était couvert de mots. De prénoms avec les parents divins à côté plus précisément. Elle trouva un petit espace sur le dos de sa main et écrivit « James (Hadès) » en espérant que ça tienne. Vu qu’elle ne voyait pratiquement rien elle espérait aussi ne pas avoir écrit comme une patate, histoire de pouvoir se relire le lendemain.

Ruth rangea son stylo, lui sourit et tapota le sol à côté d’elle pour l’inviter à la rejoindre. « Qu’est-ce que tu fais là à cette heure-ci ? Tu sais que les harpies ont l’autorisation de manger ceux qui désobéissent ? » Une étincelle d’amusement jouait dans son regard mais elle dissimula prudemment son sourire. Tombera dans le panneau tombera pas ? Bon okay, le panneau était vraiment énorme et il perdrait beaucoup de son estime s’il la croyait… Mais on s’amusait comme on pouvait.

La fille d’Erèbe dessina des formes dans le sable de l’arène, tissant les ombres pour qu’elles suivent les mouvements de son doigt. C’était plus délicat qu’il n’y paraissait pour que les ténèbres restent dans les dessins sans dépasser mais elle maîtrisait ce jeu depuis quelques semaines. Elle parvenait même à conserver un visage souriant malgré sa concentration. Elle était fière d’elle. Si seulement elle avait pu s’entraîner en plein jour… elle jeta un regard noir vers le sable – comme si c’était la cause de sa colère – avant de lever les yeux vers James avec un sourire presque sincère aux lèvres.