Pandore était à la colonie depuis deux ans déjà. Je vous laisse faire un rapide calcul de son âge et vous tomberez sur ses vingts ans. C'était le début de l'été, et bientôt elle espérait pouvoir rentrer chez elle. Non pas qu'elle n'aimait pas la colonie mais... si en fait elle n'aimait pas cet endroit, elle n'aimait pas les gens, et surtout, ils lui rappelaient sans cesse combien elle haïssait ce monde. La seule chose qu'elle aimait bien était le fait qu'elle se retrouve seule dans son bungalow, il n'aurait manqué plus que ça qu'elle ait des "frères et soeurs". Le seul bémol, que jamais elle n'avouerait bien évidemment, était qu'elle avait des difficultés à faire certaines choses, mais en général, East lui disait lorsqu'elle entrait dans un obstacle ou quelque chose dans le genre. De plus en deux ans elle avait eu le temps de s'habituer et l'espace autour d'elle ne lui était plus étranger. Elle savait exactement où se trouvait chaque chose, et bien qu'elle ne pouvait les visualiser dans son esprit que très vaguement, en changeant les teintes de noirs qui constituaient ses pensées, et par des formes imprécises, elle reconnaissait son monde.

Tenant Fahrenheit par la laisse rigide qui lui servait de guide, en short et débardeur avec son maillot de bain en dessous, Pandore se dirigea vers la plage. Elle marchait lentement, profitant de la chaleur du soleil sur sa peau, ses yeux masqués par des lunettes de soleil dernière génération. Lorsqu'elle sentit que sous ses pieds le dur sol de la forêt était devenu plus doux, elle retira ses chaussures, sachant qu'elle arrivait à proximité de la plage de sable et de galets. Ses pieds entrèrent au contact du sable et un large sourire s'afficha sur ses lèvres. *Il y a de l'ombre à gauche et quelques jeunes. A ta droite il n'y a personne mais c'est un peu escarpé.* La prévint East, son compagnon. Avec un sourire de défi, elle obliqua sur la droite. Lâchant son chien pour qu'il aille jouer dans les vagues, Pandore avança à tâtons, les mains en avant, pour ne pas se blesser sur les rochers dont East avait parlé. Sa main en rencontra un et elle prit appui dessus pour grimper. Passant ses deux mains sur tous les rochers à la recherche de prise et afin de comprendre comment escalader, elle continua, lentement mais sûrement, son ascension. Arrivée un peu plus haut sur un rocher assez large et très plat, la fille de Zeus retira ses vêtements et s'allongea. La pierre chaude détendant ses muscles, et le visage tourné vers le ciel, elle écoutait le clapotis des vagues qui venaient s'échouer quelques mètres plus bas. Le choucas vint se poser près d'elle et d'une main délicate elle caressa son plumage noir.

"- Si Fahrenheit va trop loin dis le moi."

Dit elle à son oiseau. En effet, bien qu'elle ait la faculté de comprendre le langage de toutes les créatures ornant le ciel, duquel son père était le roi, Pandore ne communiquait pas avec eux mentalement. Il lui suffisait de parler et ses mots se traduisaient d'eux même dans la langue des volatiles. East était ses yeux et elle avait besoin d'avoir un contact permanent avec lui. Mais elle décida de couper ce don, sachant que si il avait quelque chose à lui dire il se manifesterait physiquement, en posant son bec sur sa peau par exemple. En effet, avec son don activé elle ne pouvait pas entendre le gazouillis des oisillons et le doux chant des oiseaux qui repose l'esprit, et en ce moment elle en avait bien besoin. Se laissant sombrer dans un demi sommeil, Pandore écouta le monde qui chantait l'été.

Pandore sentit une présence à ses côtés. Quelqu'un venait de s'assoir. Elle tendit l'oreille, restant calme, personne ne pouvant l'attaquer ici-même et surtout elle n'agirait pas avoir d'avoir pris connaissance d'un maximum d'informations à propos dudit quelqu'un. Elle sentit la fraîcheur des gouttelettes d'eau se répandre sur la pierre chaude. Cette personne était mouillée, plus pour longtemps avec ce soleil mais elle l'était : et l'eau conduit l'électricité. Utile.

« Salut, je ne crois pas qu’on ait été présenté. Je m’appelle Matthew et toi ? »

Pandore retint attentivement cette voix masculine, ignorant qu'elle lui parlerait presque tous les jours pendant plusieurs années par la suite. Il y avait donc dans cette voix un fond mâture, mais aussi très sûr de soi et avec une pointe de charme. La jeune femme en déduit donc qu'il était plus vieux qu'elle, qu'il devait être ce que les filles qualifiaient de beau et surtout qu'il était sur le point de tenter de la draguer. Mauvaise idée mon vieux, ça ne risquait pas de lui plaire. Un autre jour et dans une autre tenue elle se serait peut être prêtée au jeu mais ce n'était pas le moment de lui faire des avances. Pas certaine de ses conclusions elle décida de répondre simplement :

« - Je m'appelle Pandore. Et non on ne se connait pas. »

Elle avait hésité à lui mentir, à lui dire qu'elle s'appelait Eudora, ce qui n'était qu'un semi mensonge, et à lui dire qu'elle ne voulait pas lui parler, mais quelque chose en elle la retint, peut être sa gentillesse démesurée. Ah elle n'en a pas ? Excusez moi alors. Elle ne tourna même pas la tête vers lui. C'était inutile, elle se reposait, et puis il était assis et allait probablement continuer cette conversation soit dans la même position soit allongé à côté d'elle pour se sécher par les rayons du soleil et bronzer un peu. Pandore haussa un sourcil. Etait il en train de regarder son corps étendu sur la pierre à ce moment même ? Elle ne pouvait le dire. Sa première réaction fut de dire oui, mais il ne pouvait pas se douter qu'elle était aveugle et donc n'oserait pas avoir un regard insistant. Un point pour elle. Pour l'instant elle en savait plus sur lui que l'inverse, et ce Matthew n'allait pas tarder à lui révéler tous ses secrets : Pandore mettait la conscience des gens à nus en un rien de temps et elle comptait bien découvrir tous les mystères qui se cachaient derrière cette voix sensuelle et envoutante.

Dans sa stratégie de découverte, elle décida de le laisser s'étendre lui-même à continuer la conversation, sachant pertinemment qu'il le ferait et que pour qu'elle parle il devrait se livrer un peu plus. Les gens réagissaient souvent comme cela. Je te donne quelque chose de moi, si tu me donnes quelques chose de toi, et c'est celui qui veut le plus savoir qui doit se livrer en premier. Peut-être que Pandore avait plus envie de tout savoir de lui, mais contrairement aux hommes elle n'était ni pressée ni impatiente et elle pouvait attendre des jours une réponse sans jamais oublier qui doit lui dire quoi et tentant tous les jours un peu plus de percer les murs qui enferment les trésors de l'esprit.

Matthew s'allongea à côté d'elle. Pandore esquissa un sourire. Elle gagnait des points tandis qu'il continuait de stagner. Elle aurait bien aimé qu'il comprenne ce qu'elle faisait mais personne ne comprenait jamais, et maintenant Pandore se demandait si elle devient lui faire comprendre qu'elle était aveugle ou pas. Elle décida de ne rien dire. Il s'en rendrait compte lorsqu'il lui demandra de voir ses yeux. Elle sourit, ils voulaient tous voir ses yeux, si beaux disaient ils, si inutiles pourtant...La jeune femme se retint de soupirer et écouta les paroles du garçon :

«  Oh, et bien, enchanté Pandore. Ça fait longtemps que t’es à la colonie ? »

Oh pitié. Pas ça. La demi-déesse aurait rêvé que le garçon soit quelqu'un de différent. Tout le monde à la colonie demandait toujours : depuis combien de temps es tu là ? Qui est ton parent divin ? Un mois, un an, une vie, qu'est ce que cela pouvait changer ? Franchement, tout le monde s'en fiche c'est seulement pour meubler une conversation. Il ne pouvait pas draguer une fille comme ça, même une désinteressée comme l'était Pandore. Elle ne broncha pas. De toute façons ils n'étaient pas amis et n'étaient pas près de l'être alors pourquoi elle en attendait tant de lui ? Quelque chose poussait la brunette à en attendre beaucoup de ce parfait inconnu, mais quoi elle ne saurait le dire et cela la troublait au plus haut point bien qu'à son habitude elle ne laissa rien paraître. La jeune femme décida de tout improviser.

« - J'ai pensé à me faire percer le nombril, qu'en penses-tu ? »

Répondre à la question du garçon était inutile. Il se fichait éperdument de la réponse et elle imaginait que sa question le titillerait plus et l'inciterait à plus parler de lui. Pandore passa une main sur son nombril en disant cela elle savait qu'il allait la regarde et en tant que fille au corps fin et musclé, elle aimait un peu cela. En réalité elle n'avait jamais pensé à se faire percer le nombril, c'était un mensonge pour voir la réaction de Matthew. Elle avait toujours considéré que ça pouvait amener des maladies et puis se faire percer la peau ce n'était pas réellement son passe-temps favori. Quoi qu'il en soit l'idée de la voir avec un anneau dans le nombril devait bien avoir traversé l'esprit du garçon.

Comme elle s'en doutait, Matthew se redressa sur les coudes pour la regarder probablement. Elle avait senti son corps bouger à côté d'elle puis retrouver sa position initiale. Les garçons étaient tous les même face à une fille en maillot de bain. A ce qu'elle avait entendu dire, ils ne pouvaient s'empêcher de regarder, même si elle était moche, une fille peu habillée attirait un tant soit peu. La brune se demanda quel genre de fille plaisait à Matthew, puis la pensée qu'il était ce genre de garçon attiré par toutes les belles filles lui traversa l'esprit. Bien qu'ils ne se connaissaient que depuis environ 3minutes, la demoiselle voulait déjà en savoir plus sur lui, et cette envie grimpait en elle comme un murmure à son oreille qui ne voulait pas se taire.

«Ça t’irait sans doute bien. Et moi, je me disais que j’allais peut-être me faire tatouer. J’hésite encore sur l’endroit. »

Pandore laissa échapper un semi-rire. Bien joué. Elle lui accorda mentalement un point dans les scores qu'elle tenait dans sa tête. Tatouer. De l'encre sur la peau, avec une aiguille qui brûle, cela devait faire mal. Le résultat ? Probablement quelque chose de beau. Mais c'est quoi beau ? Comment le définir ? Elle ne savait pas. En tout cas pour elle, percer ou tatouer revenait au même : détruire un morceau de sa peau au profit de quelque chose qui pouvait engendrer des douleurs.

« - T'en penses quoi ? »

Oh jolie tentative de piège, double si l'on considère que Pandore doit désormais feindre de lui jeter un oeil pour qu'il évite de se poser des questions à propos de sa vue. La démi-déesse tourna la tête vers le garçon, sans se redresse pour l'instant. La distance entre elle et lui était très faible et elle savait qu'elle pouvait l'atteindre où elle voulait.

« - Pourquoi pas ici ? »

Sourit-elle en posant le doigt sur le bas droit de son ventre, en en profitant pour vérifier discrètement qu'il était musclé. Pandore était amusée de cette situation, comme un match entre les deux jeunes gens. Pour l'instant elle était en tête, mais le garçon jouait bien, et elle comptait bien lui mettre des bâtons dans les roues, sentant que cela pouvait pimenter la relation qu'ils étaient en train de construire malgré elle. Elle retira sa main après quelques secondes et se redressa pour s'assoir face au lac et à ses eaux qui leur apportait un vent rafraichissant. Pandore avait fait très attention à ne faire aucun compliment au garçon, pour ne pas qu'il croit avoir une quelconque chance avec elle en tout cas pas aujourd'hui, où rien ne devait perturber le calme dans lequel elle se trouvait.

Le garçon se redressa pour s'assoir lui aussi face à la mer, à côté d'elle. S'ils avaient été amis, Pandore aurait sûrement posé sa tête sur son épaule pour qu'il la prenne dans ses bras, mais c'était un parfait inconnu pour elle. Alors pourquoi ressentait elle cette envie de déposer sa tête sur lui. Cette sensation ne lui plaisait pas du tout et elle éloigna loin d'elle cette idée. A vrai dire elle ne s'était pas fait énormément d'amis depuis qu'elle était ici et c'était peut être ce manque d'affection, qu'elle n'avait que lorsqu'elle rentrait chez elle, qui la poussait à avoir ces conflits intérieurs.

« - Pourquoi pas.  »

La voix de Matthew lui remis les pieds sur terre. Cette voix n'était pas la rassurante voix d'une personne connue, juste celle d'un demi-dieu de la colonie. Quelqu'un qui faisait partie de sa vie liée à son père, quelqu'un dont elle ne voudrait probablement plus entendre parler. Ne pas se lier avec les gens d'ici était le but de Pandore. De toutes façons elle ne voulait pas rester. Mais maintenant qu'elle en était arrivée là, comment repartir de cet endroit qu'elle n'aimait pas et qu'elle voyait comme une prison ? Comment retourner vivre avec sa famille sans les mettre en danger comme elle l'avait déjà fait ? Cette pensée l'amena au souvenir douloureux de la mort de son petit ami un an plus tôt. Personne n'avait à mourir à cause du monstre qu'elle était, pour la sécurité de sa famille et de ses proches, elle devait rester ici, du moins pour l'instant. Lorsqu'elle serait prête à les défendre en cas de problème, elle y retournerait.

« -  Je pense que je ferai une pomme. Une pomme d'or. »

Tiens donc. Une pomme d'or. Etait il si fervent des dieux pour se faire tatouer leurs bêtises ? Bien que Pandore ne suivait pas leur vie, elle savait au moins qu'Eris avait provoqué la guerre de Troie avec cette pomme jetée lors d'un banquet pour qui serait la plus belle. Eris disions nous. La jeune fille plissa les yeux. Matthew fils d'Eris. Cela sonnait bien. C'est ce qu'elle décida d'en déduire pour l'instant. A moins que le garçon ait compris son stratagème et qu'il la lançait sur des fausses pistes. Mais la spontanéité de la réponse fit penser à Pandore que ce n'était pas le cas. En attendant, sa pseudo histoire de tatouage agaçait un tantinet la brune qui en était venue à la conclusion qu'il n'avait aucune idée de quoi lui dire.

« - Si tu es là juste pour me parler de ça tu peux disposer. »

Lâcha tel sur un ton calme et posé, sans avoir ne serait que battu d'un cil depuis qu'elle s'était assise. Pandore était comme ça, froide et en même temps calme et un instant plus tard elle pouvait rire avec vous. C'était ce trait de caractère qui était de changer rapidement d'émotions qui était un trait de famille chez elle. Et cela pouvait en dérouter plus d'un, mais serait ce le cas de son interlocuteur ? Elle en doutait mais ne demandait qu'à avoir la réponse. En réalité, elle le testait lors de cette discussion. Pourquoi ? Elle n'en avait aucune idée mais comptait bien le découvrir.

Le ton totalement neutre de Pandore s'éleva dans le calme de la plage. Et Matthew éclata de rire. Au début elle fut un peu déconcertée mais n'en montra rien et resta de marbre. En y repensant il avait raison d'en rire, c'était comique comme phrase, c'était très hautain et princier, en fait c'était totalement innaproprié, du Pandore tout craché. La jeune femme hésitait entre joindre son rire au sien ou tout simplement se taire, voir s'il allait partir, probablement pas d'ailleurs étant donné sa réaction à une sorte de dégage-je-veux-pas-de-toi. Il s'accrochait le garçon pensa t'elle alors. Ce n'était peut être pas plus mal...

« - Tu sais, ce que j’aime déjà chez toi, c’est ton amabilité ! »

Cette fois ce fut au tour de Pandore de rire. Sa voix se mêla à celle du garçon et bizarrement le fait de rire la fit se sentir mieux. Elle n'avait probablement pas rit d'un rire franc depuis ce qui lui semblait être une éternité. Peut être que jeter ce gars là loin d'elle n'était pas une bonne idée. Peut être qu'en fin de compte ils s'apprécieraient, et malgré les apparences Pandore aurait bien besoin d'un ami dans cet endroit où elle détestait tout, jusqu'à l'idée même que la colonie puisse exister.

En attendant, elle préféra feindre de ne pas commencer à l'apprécier, on ne sait jamais, mieux vaut un coeur fermé qu'un coeur blessé. Pandore se calma peu à peu et réussi à reprendre une attitude posée pendant qu'elle mettait de l'ordre dans ses pensées. Elle ne se savait pas aimable, réellement c'était une garce, mais tout ceci l'amusait de plus en plus.

« - Moi ce que j'aime déjà chez toi c'est ta persévérance. »

Lui dit elle d'une voix amusée en se tournant vers lui un sourire narquois sur les lèvres. Il avait fait un semblant de compliment, elle pouvait bien lui rendre la pareille. Et bizarrement, il avait dit "déjà" ce qui sous entendait qu'il y aurait un "ensuite". Fais toi un ami Pandore, tu n'as rien à perdre, ou au moins, fais semblant de bien l'aimer. Et c'est bien ce qu'elle comptait faire. Pas un ami, plus une sorte d'allié qui penserait qu'ils sont liés alors qu'elle l'utilise. Elle pourrait tenter sur cette pente là sans problème, normalement il ne devrait pas s'en rendre compte... Mais pourquoi se prenait elle la tête comme ça ? Pourquoi ne pas juste profiter d'un après-midi calme et ensoleillé avec un garçon qui la fait rire ? Pandore se détendit et garda son sourire alors qu'elle retournait son visage face au vent qui la rafraîchissait. Il fallait qu'elle arrête de se contredire sur quoi faire, et elle décida de tout improviser pour une fois.

Pandore ne voulait pas draguer ce garçon. Tout simplement parce qu'il était comme elle, et qu'elle se refusait à avoir des proies trop faciles. Avoir une relation amicale avec lui ne lui posait cependant pas de problème, et elle décida de jouer sur ce terrain là, ce qui lui allait beaucoup mieux pour le moment. Matthew reprit alors

« - Tant mieux, car on dit souvent que je suis très persévérant… »

Tiens donc ? Et qui disait cela ? Les jeunes femmes qu'il mettait dans son lit ? Merci bien mais pas pour Pandore. Elle ne se fiait jamais à ce que disait les gens, préférant se faire elle même une opinion sur la chose. Cette jolie petite phrase avait probablement un sens caché et la jeune femme se demandait si le demi-dieu assis à côté d'elle en avait conscience. Si oui, il savait jouer sur les mots, mais pas assez subtilement pour elle, si non et bien, il l'aurait fait malgré lui et tout n'était pas perdu. Quoi qu'il en soit, Pandore n'aimait pas les dires des gens, et dire "untel pense ceci" ce n'était vraiment pas son genre.

« - Tu aperçois mon chien ? »

Demanda Pandore à East, son choucas, avec qui elle avait rétabli le lien. Sa voix se mua naturellement dans le langage de l'oiseau. Il ne devait pas être allé bien loin et se promenait probablement le long du rivage ou jouait dans les vagues, mais Pandore avait toujours peur pour Fahrenheit, qu'il se fasse emporter ou quoi que ce soit. C'était bête mais c'était comme ça. Elle ne se voyait pas vivre sans lui et le perdre serait probablement plus douloureux que perdre qui que ce soit d'humain ou de presqu'humain dans cet endroit. L'oiseau décolla et lui répondit par l'affirmatif. Elle lui dit alors qu'il pouvait aller chasser.

« - Bon, il fait chaud, qu'en dis tu de te baigner ? »

Dit elle cette fois-ci en s'adressant à Matthew. Le soleil tapait fort et Pandore commençait presque à avoir mal à la tête. Elle avait besoin de se raffraichir un peu dans l'eau claire du lac. La question qui restait était : comment allait elle réussir à descendre. Car grimper les rochers seule était beaucoup plus simple que redescendre, cette fois-ci elle pouvait réellement se faire mal. Demander de l'aide ne serait clairement pas dans ses habitudes, surtout pas à un inconnu, sinon il croirait gagner des points. Le dilemme était de taille. Lui dire qu'elle était aveugle ? Jamais, plutôt mourir que d'admettre ce handicap. Pandore se leva, mais une fois debout se rendit compte qu'elle n'avait aucun repère et qu'East était parti se chercher à manger. Quelle idée d'avoir congédié l'animal en pensant pouvoir gérer la situation ? Plongée dans le noir complet sans aucune aide extérieure, elle ne put faire autre chose que s'appuyer sur Matthew, à son grand désespoir.

Sans mot dire Matthew l'aida à descendre des rochers tout en restant une présence discrète et Pandore apprécia le geste. Il n'avait pas fait de remarque, se contentant de l'aider sans poser de questions, probablement avait il remarqué que Pandore faisait un effort considérable pour avouer sa faiblesse à demi. Une fois "à l'abri" sur le sable, elle sentit le silence s'installer entre eux deux et elle cru un instant qu'il allait se pencher pour l'embrasser, mais il préféra lui retirer ses lunettes de soleil. La jeune femme sentit le contact de ses deux mains sur les côtés de sa tête et réprima un frisson. C'était... bizarre.

Pandore appréhenda le moment où il vit ses yeux. Et elle eu raison. Il ne dit rien, et Pandore n'entendait même plus sa respiration. Il devait probablement fixer les pauvres yeux sans expression de Pandore. Cette dernière se retint de soupirer. Tant de gens avaient cette réaction et elle ne pouvait leur en vouloir pour ça. Mais en brisant le silence il dit alors :

« - Tu es aveugle. »

La demi-déesse ne bougea même pas et serra ses doigts autour de ses lunettes qu'il venait de lui remettre dans la main. L'entendre était toujours différent que le penser. Et ca avait été lâché comme ça, sur un ton presque gêné. Comme s'il était entré dans son intimité malgré lui et qu'il le regrettait. Mais personne ne l'avait obligé à retirer la paire de lunette sinon la curiosité dévorante qu'ont les hommes.

« - Ça fait un point en moins pour moi. Tu ne peux pas te rincer l’œil sur mon splendide corps… »

Elle haussa un sourcil et sourit. Il comptait les points manifestement. Mais il en perdit plus en plus de minutes en minutes. Manifestement elle avait eu raison face à sa première impression : Matthew avait un physique de rêve et le savait, il l'utilisait pour draguer les filles. C'était mal barré pour user de ce charme avec Pandore et il s'en mordait les doigts. Peut être que Pandore s'était trompée en voulant devenir amie avec lui. Peut être qu'il voulait juste draguer une fille de plus. C'était dommage.

« - Bon, tant pis. Allez, allons nous baigner. »

Les émotions contradictoires qui agitaient Pandore disparurent lorsqu'il prit sa main pour l'emmener dans l'eau. La jeune femme failli retirer sa main. Il commençait à y avoir beaucoup trop de contact entre eux ses trois dernières minutes. Mais comme elle avait décidé de tout improviser, elle le laissa la guider vers le lac, et entra dans l’eau jusqu’à la taille avant de complètement mettre la tête sous l’eau. Le froid l’envahit et une douce sensation fraîche monta en elle.

«  -  Je peux peut être pas voir mais j'ai d'autres moyens de vous reconnaître. »

Lâcha t-elle sur un ton provocateur avant de lui jeter un adorable sourire signe qu’elle lui pardonnait sa maladresse passée. C'était plus fort qu'elle, elle ne pouvait pas s'empêcher de draguer les gens.

L'eau sur la peau de Pandore était un véritable délice et la calmait grandement. Il fallait avouer que cette journée était vraiment réussie. Elle avait laissé ses lunettes de soleil sur la plage et ses yeux grands ouverts étaient tournés vers un paysage qu'ils ne pouvaient voir. Elle sentit que Matthew disparu de devant elle et entendit un faible clapotis. Il devait probablement s'être éloigné nager un petit peu. Pandore rejeta sa tête en arrière, et passa ses mains dans ses cheveux mouillés. Elle sentit un bruit derrière elle et la voix de Matthew émergea des eaux.

« - Et quels sont-ils ? »

Pandore sourit. Elle sentit que la situation n'amusait pas qu'elle. Il était resté un peu derrière, laissant de l'espace entre eux. Il n'était donc pas très à l'aise avec elle. Il devait penser ne pas vouloir la brusquer, mais ce qu'il ne comprenait pas c'est qu'elle aimait bien avoir le contrôle comme c'était le cas. Pandore n'avait pas de soucis avec les contacts. Elle avait l'habitude de toucher tous les gens pour apprendre à les connaître, pour mémoriser leur peau, et elle passait beaucoup de temps à passer ses mains sur le corps et le visage des hommes. La jeune femme se retourna et se retrouva face à face avec lui.

Elle lui sourit et posa délicatement sa main à la base de son cou avant de remontercomme une caresse vers son visage, touchant ses joues non rasées depuis quelques jours, ses lèvres, se remémorant ensuite la forme de son nez, son front et ses cheveux avant de laisser retomber sa main, sa tête penchée sur le côté lui donnant un petit air innocent. C'était une manie qu'elle avait de pencher sa tête sur son côté gauche lorsqu'elle était contente.

«  - Comme ça.  »

Pandore remit de la distance entre eux, voulant voir comment il allait s'en sortir maintenant. C'était vraiment elle qui menait la cadence, il le savait et se laissait faire et c'était ce qui perturbait un peu la demi-déesse, la destabilisant quelque peu. Mais elle essaya de le cacher et ne se rendait pas réellement compte s'il le verrait ou pas mais elle était un peu touchée par cette rencontre sans pouvoir expliquer pourquoi.

Vingt secondes... Trente secondes. Plus le temps passait sans que ça réponse n'arrive, plus il semblait dérouté. Mais Matthew répondit plus rapidement que Pandore l'avait prévu. Il avait probablement décidé de ne pas réfléchir à ce qui sortait de sa bouche. Et c'était franchement tant mieux. Les gens qui réfléchissaient trop, ça ne plaisait à personne. Non pas qu'elle s'entichait de crétins, mais les gens plus intelligents qu'elle ça l'énervait. Elle aimait bien être au même niveau que les autres, voire au dessus (mais pas trop après elle s'ennuyait).

« - Wow. Je suppose que si moi je faisais ça, ça paraîtrait très déplacé. »

Elle laissa échapper un petit rire. Il était vrai que la jeune demoiselle se permettai parfois des contacts avec les gens que les autres ne pouvaient accepter venant de quelqu'un de "voyant". C'était peut être le meilleur point dans le fait d'être aveugle, on lui permettait plus de choses, tout le temps. Après tout elle avait besoin de se faire une idée du physique des gens, et l'ébauche de Matthew commença à se clarifier dans son esprit.

«  - Oh tu sais les gens sont vites agacés et tout peut paraître déplacé. »

Dit elle en haussant les épaules. Mais elle cela ne la dérangeait que lorsqu'elle n'avait pas donné l'impression de son autorisation. Pour certaines personne, un rien pouvait paraître déplacé. Quelques minutes plus tôt par exemple, il lui avait retiré ses lunettes sans la moindre gêne et pourtant, cela pouvait être considéré comme un geste déplacé, une atteinte à sa pudeur. Pandore n'avait pas relevé cela tout simplement parce qu'elle trouvait qu'il y avait quelque chose de privilégié dans ce moment, et que personne n'avait jamais osé le faire. Même si ce garçon disparaîtrait de ses souvenirs, il aurait au moins ce privilège d'avoir été le seul assez sûr de lui pour retirer ses lunettes en si peu de temps de discussion.

Pandore faisait des petits clapotis sur l'eau en tapotant sa main dessus à intervalles réguliers. La sensation de l'eau sur sa main était à la fois ferme et agréable. La jeune femme avait eu peur de l'eau lorsqu'elle était petite, car les gens pouvaient arriver de l'eau pour l'attaquer, mais elle avait appris à anticiper ce genre de choses. Matthew n'étant pas dangeureux, elle avait laissé tomber sa garde, et cela fait un bon moment qu'elle n'avait pas soufflé comme cela, la pression constante sur ses épaules retombant d'un coup. En réalité elle était crevée. Les entraînements de la colonie plus ceux qu'elle s'infligeait pour garder un niveau qui égalait celui des autres, les nuits de demi sommeil...

« - C’est bien vrai ! Parle-toi un peu de toi ! A part que tu vas te faire un joli piercing, je ne sais rien de toi ! »

Ah voyons... La demi déesse n'aimait pas parler d'elle. Il ne fallait pas donner trop d'informations à n'importe qui. Ce garçon ne semblait pas vouloir lui nuir, mais elle n'aimait pas lorsqu'on lui posait trop de questions trop rapidement.

«  - Je suis du genre à rester seule ici je ne parle pas souvent aux gens parce qu'ils m'ennuient. »

Lui dit elle avec un sourire. Il s'était un peu rapprochée d'elle et elle n'avait qu'une envie s'approcher un peu plus, mais pas pour aujourd'hui. La jeune fille lui arbora un faible sourire. Il avait déjà de la chance de discuter avec elle, s'il était possible de le dire de la sorte, puisqu'elle s'était constituée loup solitaire. De plus elle ne considérait pas tous les gens assez intéressants pour elle. Oui elle se sentait supérieure à ces gens de la colonie, mais Matthew avait été la seule personne digne d'intérêt, et même si elle aurait préféré mourir que l'avouer, elle voulait le revoir. Evidemment il fallait que ce soit lui qui en prenne l'initiative.