Tout à commencer en Sicile, île sur laquelle j'ai passé la majeure partie de mon enfance. J'ai grandi dans ce décor idyllique sans réelle problème majeure car je suis la fille de Zeus, le dieu des dieux et la fille de Déméter, la déesse de l'agriculture et des moissons. Cependant, mon père a toujours été absent car les relations qui le liaient avec ma mère étaient vraiment tendues. C'est logique lorsque l'on sait que je suis née d'une relation tangente et purement épisodique. C'est donc ma mère qui s'est occupée admirablement de moi, en secret, durant ces longues années, où ce manque paternel creusait aveuglément des failles dans mon esprit frêle et naïf. Néanmoins, l'amour inconditionnel que m'apportait ma mère pour compenser ce manque, m'a permis de devenir la femme que je suis aujourd'hui.

Ma vie aurait pu être clémente et pauvre en rebondissements sur ma petite île natale italienne, alors que tout a soudainement basculé du jour au lendemain. Je devais avoir une quinzaine d'années, et comme depuis que je suis toute petite, je passais la plus claire partie de mon temps à me baigner ou à cueillir des fleurs et des fruits en compagnie des Océanides, des nymphes qui sont rapidement devenues mes confidentes et mes amies. Heureusement que j'avais la compagnie de ces nymphes pour m'occuper durant les belles journées d'été, car ma mère, elle, était très convoitée à cette période de l'année notamment par l'ensemble des travaux agricoles. Les Océanides était donc les parfaites gardiennes, c'est également pour cela, que ma mère m'avait confié à ces dernières.

C’était une magnifique journée estivale. Les oiseaux chantaient et nous passions avec les nymphes l’après-midi, dans les bois d’Enna à la quête de fleurs. Occupation qui m’enchantait tout particulièrement, car ajouté à cela, la chaleur des rayons du soleil me caressait doucement la peau : j’étais aux anges. Non loin de ce bosquet, prenait place le petit lac de Pergusa, où nous nous baignâmes joyeusement. Suite à cette petite partie d’éclaboussements aquatiques, je m’écarte petit à petit du groupe de nymphes qui se reposent, allongées sur des troncs d’arbres creusés, pour cueillir un narcisse à quelques pas de là. Je gravis une petite colline pour y cueillir les magnifiques fleurs qui s'y épanouissaient et je vis aussitôt un peu plus loin, en contre bas de la colline, un énorme champ de violettes. Je descendis euphoriquement dans ce dernier et je me précipitai pour cueillir les plus belles afin d’en faire un énorme bouquet resplendissant.

Quand tout à coup, je sens une présence derrière moi. Je me retourne, pensant voir une des nymphes qui serait venu m’accompagner dans ma cueillette, alors que je vis la silhouette d’un homme dont le soleil cachait le visage. Il s’avança de quelques pas en ma direction, et au fur et à mesure qu’il marchait, je découvris son visage. Il me semblait familier, et je reconnu donc le visage de mon oncle, Hadès, dieux des Enfers et du monde souterrain. Il m’attrape rapidement par le bras et me place sa main droite sur la bouche car j’ai crié instinctivement, ne comprenant pas ce qu’il me voulait. Pourtant c’était clair, il voulait faire de moi sa prisonnière et surtout sa compagne, pour que je puisse devenir la reine des Enfers. Mon plus grand malheur fut que personne ne m’avait entendu lorsque j’ai tenté de crier.

A sa rentrée, ma mère, alertée par les nymphes qui me cherchaient désespérément dans les bois, partit à ma recherche pendant neuf jours et neuf nuits, mais il était déjà trop tard, j’étais prisonnière aux Enfers. Prise de courroux, Déméter déclara aux Olympiens : « La Terre sera affamée tant que je n'aurai pas retrouvé ma fille. » Hélios, le dieu du Soleil, révéla enfin à Déméter qu'Hadès avait enlevé sa fille. Ahurie par cette nouvelle, ma mère fonça en direction des enfers pour tenter de me ramener dans le monde des vivants, sauf que le sort en était jeté pour moi. Pendant ma détention, dans une pauvre petite chambre du palais central des Enfers, j’étais affamée car on ne me donnait pas à manger. Jusqu’au jour où on m’a apporté une grenade, dont je me suis précipité dessus pour en obtenir sa merveilleuse saveur sucrée et en croqua plusieurs morses. Ce n’est qu’après avoir mordu 3 fois dans ce fruit que je réalisai l’erreur que je venais de commettre et qui allait changer le destin de ma vie. J’avais mangé la nourriture des Enfers, et comme on le sait, lorsqu’on goûte à la nourriture de ce monde souterrain, on y est condamné à passer le restant de nos jours. Quelle pourriture ! Il avait réussi à me duper une deuxième fois, si facilement en plus, je commençai donc à pleurer à chaudes larmes quand je vis au même moment ma mère arriver devant les grandes portes du palais d’Hadès. Je n’avais jamais vu ma mère comme cela. Elle exprimait un tel niveau de rage qu’à un moment les deux iris bleues de ses beaux yeux scintillants semblaient s’embraser. Elle était déterminée à me ramener sur Terre par n’importe quel moyen mais mon oncle refusa de me rendre, et il ajouta que de toute façon il était trop tard, comme j’avais déjà croqué dans ce fruit maudit. Le débat continua ardemment, ma mère ne voulait pas se laisser faire par cet homme odieux. Ils décidèrent donc de porter l'affaire devant Zeus. Seul son verdict serait entendu et appliqué.

Toutefois, mon père n’a pas été capable de prendre une décision car il ne voulait pas se mettre à dos sa femme, Déméter et son frère, Hadès. Il savait que s’il choisissait soit l’un soit l’autre, un conflit divin éclaterait à l’Olympe, et c’est justement ce qu’il ne voulait pas. Mais j’étais sa fille, et je n’avais pas l’impression qu’il me considérait de cette manière, ça m’a replongé dans ce sentiment que je ressentais durant mon enfance, lorsqu’il n’était pas là. Le verdict tomba. Comme j’avais mangé ce fruit des Enfers, Zeus pensa que je devais quand même rester dans ce lieu car c’est une loi qu’on ne peut transgresser, cependant il décida de faire un compromis. J’aurai une double vie, tout ça sur l’espace d’une année, et ce, pour l’éternité. Je passerai six mois, qui correspondent aux périodes automnales et hivernales, aux côtés d’Hadès, avec lequel je devrai m’unir afin de devenir reine des Enfers et les six autres mois de l'année, je retournerai sur Terre et dans l'Olympe afin d’aider ma mère pour le printemps et l'été.

Depuis cette annonce, l’approche de la saison automnale annuelle m’horrifie, car je sais que la période qui m’attend va être horrible et que je serai noyée dans mon chagrin. Chaque année, ce sentiment se renforce, mais si j’avais été plus prudente lors de cette belle journée d’été, je ne serais pas dans ce lieu à croupir devant le festival des âmes déchues. J’ai dû, après un long travail sur moi-même, finalement accepté le sort qui m’était attribué, même si dans ma tête, le printemps est et restera toujours mon moteur de vie. C'est ainsi que la petite jeune fille qui aimait cueillir des fleurs sous le soleil de Sicile devint la redoutable reine des Enfers, bien que son amour maternelle la contraigne à rester dans ce lieu hostile.