Les armes ne l’avaient jamais fascinée ni même intéressée. Elle avait grandi sans connaître leur existence – pour elle, soit l’on mourrait de maladie, soit l’on mourrait de vieillesse. L’idée même que l’on puisse retirer la vie à quelqu’un ne lui avait jamais effleuré l’esprit, alors en apprenant que non seulement cette idée existait, mais que c’était aussi un véritable art, elle était tombée de haut, très haut. Elle n’avait pas compris cet engouement.

Puis elle avait découvert la Colonie, et ses TOCs avaient pris un sens. Si ses armes ne l’inspiraient aucunement pour le combat, elles avaient en revanche une harmonie, un ordre qui la fascinaient : elle pouvait passer des heures à les manipuler, cherchant à comprendre l’origine de leurs formes, de leurs aptitudes. Très vite, un enfant d’Héphaïstos lui avait proposé des stocks de l’armurerie, car elle avait un sens de l’ordre et du classement indétrônable. Elle avait accepté ce poste le sourire aux lèvres, ravie que ses troubles obsessionnels puissent être utiles à la Colonie. Et depuis, elle passait la majorité de ses après-midis à la forge ou à l’armurerie, rangeant les armes, discutant avec tout le monde, en apprenant toujours un peu plus sur chacune de ces lames. Elle retenait chacune des préférences des demi-dieux : un tel se battait toujours avec une épée légèrement tordue, une autre choisissait toujours la même lance, chacun avait sa propre habitude, sa propre configuration qui en disait long sur sa personne. C’était pour cela qu’elle adorait ce poste, car elle pouvait observer les sangs mêlés et apprendre à les connaître sans même leur parler.

Alors qu’elle passait son après-midi à l’armurerie, classifiant une par une les épées forgées par les enfants d’Héphaïstos, la silhouette d’un homme se dessina dans l’encadrement de la porte et le son de sa voix la fit sursauter.

« Réfléchir à ce qu'il se passe ne fera pas avancer le monde, Cal. »

Un fils d’Hermès, visiblement nommé Cal, se tenait devant elle. A sa taille (il la dépassait d’au moins de tête) et à son visage, elle devina qu’il devait être pensionnaire depuis un sacré bout de temps.

« Tu cherches quelque chose ? » Demanda-t-elle en posant l’une des épées qu’elle tenait entre ses mains.

Il se tourna vers elle, souriant d’un air bienveillant, et Crio lui trouva des airs de grand frère protecteur, limite paternel.

« Je m'appelle Cal, fils d'Hermès, je viens ici pour affûter et réparer quelques-unes de mes armes, en particulier, celle-ci. »

Et il s’empressa de poser une épée double sur le petit établi occupant le centre de l’armurerie. À vue d’œil, l’arme semblait peser assez lourd et Crio devina que la lame était en acier. Cal la couvait des yeux comme s’il s’agissait de son propre enfant, un regard qu’elle retrouvait généralement chez les enfants d’Arès ou Athéna qui étaient connus pour leur amour des armes. Mais un fils d’Hermès ? C’était beaucoup plus rare – ce qui faisait de Cal un personnage particulier.

« La lame en acier est ébréchée à 3 endroits regarde, une à la pointe, une au milieu et près de la garde. J'aime cette épée plus que tout et l'idée qu'elle soit abîmée me fend le coeur, c'est mon plus vieux compagnon. »

Elle hocha la tête, habituée à entendre ce genre de discours dans la bouche des demi-dieux venant lui rendre visite. Se penchant sur l’épée, elle observa les trois endroits ébréchés dont il avait parlé en pinçant les lèvres. « Alors docteur, est-ce que c'est grave ? » Demanda-t-il finalement en riant, serrant sa lame contre lui.

« J’ai vu bien pire, crois-moi. Certains demi-dieux me ramènent des épées à la lame brisée en trois quatre morceaux et espèrent que je fasse des miracles. Une lame ébréchée, ça se répare facilement, mais ce n’est pas mon job. Tu devrais passer à la forge, où les enfants d’Héphaïstos pourront s’occuper de ton vieux compagnon. »

Elle désigna ensuite tout l’arsenal qu’il venait de sortir : couteaux, shurikens, dagues… Tout un tas d’armes dont elle remarquait l’usure, la rouille chez certains. La multitude d’armes qu’il possédait était impressionnant : on aurait pu croire qu’il avait volé l’armurerie, mais Crio était tellement minutieuse dans le rangement des armes qu’elle savait que ce n’était pas le cas. Elle connaissait chaque lame, chaque garde, chaque arme mieux que quiconque. Et pourtant, elle ne s’était jamais battue avec l’une d’entre elles – elle les connaissait en qualité d’objets et non pas d’armes capables de faire le mal.

« Par contre, je crois qu’il va falloir que tu renonces à certaines de celles-là. » Dit-elle en désignant le tas qu’il avait sorti tandis qu’elle inspectait son épée double. « Elles sont quasiment toutes abîmées, et les miracles n’existent pas. Je peux t’en proposer quelques-unes pour les remplacer, mais elles appartiennent à la Colonie. »

Face au tas de rouille, Cal posa brusquement son épée et annonça, pris d’un feu nouveau. « La forge peut m'en fabriquer d'autres ? Si ces armes ne peuvent m'être utile, j'en fais don ! Je ne peux pas faire mon boulot correctement sinon ! » Il attrapa un shuriken et le lança vers un panneau de bois, l’arme se figeant dessus comme s’il s’agissait de mousse. Il en saisit un second et le lança, mais celui-ci se fracassa au sol. « J'adore cette arme mais si elle ne peut me sauver, tu peux la faire fondre en refaire quelque chose de nouveau. »

Criostal jeta un coup d'oeil au monticule d’armes rouillées, l’air pensif. « Je me chargerai de les déposer aux forges. Je suis sûre que d’ici quelques jours, de pures merveilles auront été fabriquées de ce que tu as apporté. »

Cal s’approcha du panneau et arracha le shuriken planté dedans avant de revenir pour le déposer entre les mains de la fille d’Hypnos. Celle-ci eut presque un mouvement de recul – endormir les gens par le toucher l’avait rendue un peu méfiante, bien qu’elle ait appris à maîtriser ce don grâce à Luke. Mais le sourire timide de Cal la fit presque regretter son attitude, et elle lui adressa un sourire empli de compassion.

« Je te demande simplement une chose : insuffle-lui une âme, une raison d'être. Ainsi, cette arme ne pourra jamais se briser, elle te sauvera. C'est un discours plein d'utopie, certes, mais mon épée, elle, ne m'a jamais trahi, pas même une fois. » Il enveloppa l’étoile métallique d’un bout de tissu et la reposa entre ses mains, avant de rajouter. « En guise de paiement pour sauver mon épée. »

« Tu es vraiment spécial. » Fit-elle en rangeant précieusement l’arme minutieusement emballée dans l’une des poches de son jean. « Je te promets d’insuffler une âme à ton shuriken, même si je ne suis pas une très bonne combattante. Pour tout t’avouer, je suis plutôt du genre à me reposer sur mon pouvoir. » Elle leva une main, déployant lentement ses doigts. « J’endors les gens par le toucher. Combattant expérimenté ou gamin de huit ans, personne ne me résiste. »

Elle alla ensuite saisir une caisse et commença à y placer la multitude d’armes que Cal avait apportée à l’intérieur de celle-ci, afin de la déposer ensuite aux forges pour que les fils d’Héphaïstos puissent les faire fondre et leur donner une nouvelle vie.

« Quel genre de boulot fais-tu pour avoir besoin d’autant d’armes ? »

Cal esquisse un sourire et lui demande presque aussitôt. « Juste par le toucher ? C'est quand même embêtant. Tu ne peux pas endormir quelqu'un à distance ? » Crio fronce les sourcils et secoue la tête. Non, elle n’a jamais réussi à endormir quelqu’un à distance… Elle n’a jamais vraiment essayé à vrai dire. Des mains maudites, comme elle l’a pendant longtemps pensé, c’est déjà bien suffisant.

« Non, je peux pas. Mais c’est pas vraiment important. Je cherche pas vraiment à en faire quelque chose. » Souffle-t-elle en baissant les yeux pour regarder ses mains d’un air pensif. Que seraient ses pouvoirs si elle les poussait au maximum ? Pourrait-elle endormir toute une population comme Morphée l’avait fait à Manhattan ? Pourrait-elle changer d’apparence complète comme le personnage de comics Mystique ? La puissance l’effraie un peu, à vrai dire. Elle n’a jamais cherché à être la meilleure ou la plus forte. Comparée au flot des demi-dieux qui cherchent à devenir des héros, elle n’a jamais rêvé d’autre chose que d’une vie normale.

« Je suis mercenaire. Un métier pour le moins ... mouvementé. » Elle hausse un sourcil. Mercenaire ? Ce mot lui fait penser aux pirates des histoires des livres pour enfants qu’elle tente de lire en anglais, ayant un niveau plus que médiocre. Elle imagine Cal avec un cache-œil et une jambe en bois – c’est sûrement pas ce qu’il est, mais l’image la fait sourire. « Je suis revenu à la Colonie pour trouver des indices sur la Résistance. » Le mot qui tue. Depuis l’enlèvement de Jade, depuis l’altercation dans la rue avec cet inconnu, il hante ses pensées. La Résistance. « Ils ont enlevé ma petite soeur, je dois tout faire pour la récupérer, même si cela implique de vendre mon âme au Tartare. Elle est la seule chose qui compte à mes yeux. » Oui, Jade… Crio avait été témoin de son enlèvement. Pire encore, elle n’avait pas été capable de la sauver seule – il avait fallu qu’elle appelle Luke, qu’ils se mettent à deux contre l’assaillant. L’amertume serre sa gorge lorsqu’elle se remémore le combat.

« Jade… » Murmure-t-elle en passant sa main dans ses cheveux. « Je ferais tout pour t’aider alors. C’est mon amie et je refuse de l’abandonner et de la laisser à la merci de ces sangs mêlés sans pitié. » Dit-elle d’une voix brusquement plus sombre tandis que ses cheveux tournent au mauve, signe de sa colère.

« Criostal, tu as une meuleuse à disposition ? J'ai besoin d'affûter mon épée. » Elle sort de ses pensées et hoche doucement la tête avant de lui désigner ladite meuleuse dans le fond de la salle, sur laquelle sont entassées quelques épées. « Oui bien sûr, laisse-moi juste débarrasser ça, juste quelques secondes… » Dit-elle en s’empressant de saisir les armes pour les poser sur un plan plus loin. Son esprit s’attarde un instant sur les pommeaux et ses mains bougent méthodiquement, commençant à classer les épées selon leur taille, les bougeant presque compulsivement pour que chacune soit parfaitement alignée. Il lui faut quelques instants pour qu’elle s’arrête, le regard vague, clignant plusieurs fois des yeux avant de brusquement retirer ses mains comme si elle venait de toucher quelque chose de brûlant. « Oh. » Souffle-t-elle. Foutus TOCs à la con. Elle tourne la tête vers Cal et lui fait signe. « Fais comme chez toi ! »