Je suis un voyeur. Non, je n'ai pas dit "voyageur" mais bien voyeur. Depuis que ma mère Gaïa m'a mise au monde après une brève aventure avec mon père Hydros, j'observe chaque monde dans son intégralité évoluer. Pour tout dire, les notions d'évolution et de mort n'existent que depuis ma naissance, auparavant, tout était figé. Le temps n'existait pas, et étrangement, tout le monde s'en plaignait. Les rois se plaignaient de vivre dans un même royaume ingrat, les sujets de subir les mêmes tyrans, les femmes de supporter le même homme infidèle, les maris la même femme ingrate. Les progénitures naissaient dans leurs états adultes, les accouchement n'étaient pas beaux à voir. Je suis venu au monde en libérateur, en véritable sauveur de la vie elle- même. Elle prenait enfin sens par ma simple apparition, j'étais adulé par les mortels et les immortels.

Mais dans un paradoxe inconscient, la nature du changement prit aussi place dans l'avis des autres sur mon existence. Le Temps devint la vieillesse, la maladie, la faiblesse, la mort. On me rejeta, on me craignit, on essaya et on essaie toujours de me dompter ou de m'échapper. Pourtant, sans moi, la vie serait insupportable... C'est dans ce début de déclin pour moi que je rencontrai Ananké qui m'aima de tout son coeur. Nos enfants grandirent dans le cocon familial, j'étais une sorte de papa poule en espérant que l'amour que je leur offrais leur donnerait envie de compenser la haine que les autres m'offraient. Ils le firent au départ, quand ils me voyaient bien plus comme leur père que comme le Temps. Mais comme toujours depuis ma naissance, il y eut un après. Mes enfants se détachèrent de moi, rejoignirent l'avis des autres créatures et créateurs, me laissant seul. L'être qui me comprenait le plus était Hadès avec qui je liai une belle amitié.

Je finis par cesser de me leurrer sur mon existence, pour embrasser totalement mon rôle. Je quittai le semblant de vie que je possédais, laissant ma femme pour vivre hors de tout. Hors de l'espace et du temps. La plus part du temps, je me fondais dans le temps comme un glaçon dans la mer. Dans cet état, j'étais complet, le Temps et moi ne faisions plus qu'un. Quand le Temps avait besoin d'agir dans son propre cours, il prenait forme humaine en ma personne et partait à l'aventure. Mais même sous cette forme corporelle, je restais intemporel, hors des époques et des royaumes. Si je le voulais, je pouvais revivre encore et encore ma naissance, ou regarder les mécanismes qui conduisaient à la destruction de telle ou telle civilisation. Car toutes ces choses avaient un temps dédié, je le leur dédiais. Il n'y a pas d'aujourd'hui, d'hier ou de demain pour moi, tout se confond. Mes rôles sont nombreux, l'un d'eux est de préserver le temps. Ce que je fais à travers les époques. Mais étrangement, ces temps- ci, je reviens sans cesse à l'époque des colonies de demi- dieux. Une époque où les progénitures des dieux reviennent sur le devant de la scène.

J'aimerais découvrir pourquoi cette époque est si importante pour le temps. Ma curiosité est piquée au vif, voilà pourquoi j'ai emmené Merlin dans ce temps accomplir la dernière phase de son développement. Ce futur vieillard est destiné à connaître le futur pour le révéler à des moments opportuns à son futur protégé Arthur. J'aurais pu le laisser à n'importe quel moment de l'histoire, mais j'ai choisi celui- là, puisque j'y reviens moi- même à chaque fois que le Temps veut reprendre forme corporelle. J'ai hâte de voir ce monde et cette future légende du passé grandir comme mes cerisiers en fleurs.