Tapie dans un coin de la pièce, recroquevillée sur elle-même, se tenait la petite Alaska dès lors âgée de quatre ans. Autour d'elle, le salon était dans un sale état. Quelques cannettes de bières jonchaient le sol, de même que quelques mégots de cigarette étaient écrasés sur le tapis. L'endroit empestait la nicotine, si bien que de temps à autres, la petite fille était stoppée dans ses pleurs par une quinte de toux. Avachie sur le canapé, comme un cadavre sorti de terre, la mère de l'enfant se redressa et, d'un geste brusque, lui lança une cannette. «
Arrête de pleurer. » râla-t-elle d'un air sombre, le regard lointain: elle était complètement en train de planer. Une junkie. La petite Alaska avait pour mère une junkie.
« Arrête j't'ai dit! » insista-t-elle quand les sanglots reprirent de plus belle. Alaska n'y pouvait rien, elle n'arrivait pas à s'arrêter, c'était plus fort qu'elle. De gros sanglots lui serraient la poitrine et faisaient tressauter ses frêles épaules. Erica Oaken quitta le canapé et se mit debout, puis elle se mit à avancer d'une démarche chancelante en direction de sa fille. Cette dernière la fixait avec appréhension. «
J'aurais dû te faire adopter, t'es qu'un fardeau pour moi. Tu me sers à rien. » marmonna-t-elle, sans se soucier de savoir si l'enfant pouvait la comprendre ou non. Erica ne se souciait pas de ce genre de choses.
Aussi étonnant cela pouvait-il paraître, les choses n'avaient pas toujours été ainsi. Durant trois ans, Erica avait été une mère modèle avec Alaska.. avant de tomber dans les méandres de la drogue, de l'alcool et de la violence. « "
Tu verras, les enfants c'est adorable!" Mon cul oui! » cria-t-elle, faisant de ce fait sursauter l'enfant qui tenta de se coller encore plus contre le mur.. mais ce n'était pas possible. «
Va dans ta chambre. » Terrorisée, l'enfant ne bougea pas, tremblant de tous ses membres. Cédant à une pulsion de violence, la mère donna un coup de poing dans le mur, tout près de la tête de la petite. «
CASSE-TOI. » hurla-t-elle cette fois-ci. Alaska se mordit la lèvre et disparut en courant dans sa chambre, claquant la porte derrière elle, se cachant sous sa couverture en serrant son ours en peluche contre elle. Cet ours en peluche qui avait tant de fois séché ses larmes.
***
Alaska était une enfant silencieuse, et très débrouillarde. Quand elle allait à l'école, elle préparait ses affaires elle-même sachant très bien que sa mère serait incapable de le faire, prenait son petit déjeuner toute seule, faisait ses devoirs, et allait à l'école à pied puisqu'elle n'habitait pas très loin. Beaucoup de parents la trouvaient très mature, mais c'était parce qu'ils ne savaient pas de quoi était faite la vie de cette petite anglaise aux allures juvéniles. Quand elle rentrait de l'école, c'était soit pour trouver sa mère ivre morte sur le sol (et dans ces cas-là, elle devait faire en sorte de la faire sortir de son sommeil profond), soit complètement en train de planer (dans ce cas de figure, elle filait directement dans sa chambre) ou alors en compagnie d'un homme... quand c'était comme ça, Alaska ne rentrait même pas à la maison et allait faire un tour au parc en attendant que l'inconnu quitte leur maison. La petite gardait au fond d'elle une colère, une rancune à l'égard du Destin dont elle ne parlait à personne. Pourquoi est-ce qu'elle n'avait pas le droit d'avoir une vraie famille? De passer un Thanksgiving avec des gens qui l'aimaient, au lieu de devoir s'occuper de son ivrogne de mère? Elle détestait sa vie. Elle aurait tellement voulu pouvoir s'en aller et ne jamais revenir. Personne dans la ville où elles habitaient ne se doutait de ce qu'il se passait chez les Oaken. Bien sûr, tout le quartier savait qu'Erica était un peu poussée sur la boisson, mais aucun ne savait qu'elle était rapidement devenue une droguée névrosée incapable de prendre soin de sa fille. Et Alaska, dans tout ça, était complètement prise au piège. Parce que malgré tout ce que ce monstre lui faisait subir, elle était sa mère. Et Alaska aimait sa maman plus que tout, en dépit de toutes ces atrocités qu'elle lui avait fait voir.
II
Un accident. Tout ça n'avait été qu'un malheureux accident. Alaska, qui avait alors six ans, avait accidentellement bousculé Erika, qui avait fait tomber ses pilules d'ecstasy dans le lavabo à cause du choc. La suite de la scène se passa alors au ralenti, comme si quelqu'un avait appuyé sur un bouton pour pouvoir mieux voir ce qui allait se dérouler. La mère darda son regard sombre et complètement fou sur le corps chétif de sa fille, qui s'était ratatinée sur le sol. «
Espèce de petite conne! » Les mots frappèrent la petite en plein coeur. Jamais elle n'avait pu entendre autant de colère, de haine et de folie dans la voix de sa mère. La femme perdit le contrôle et donna un coup de poing dans le miroir, qui se brisa en mille et un morceaux, réduisant sa chair en charpie. «
J'vais t'tuer, j'vais t'tuer! » répéta-t-elle comme un disque rayé, levant la main en direction de sa fille. Cette dernière se recroquevilla comme un animal apeuré en gémissant; «
Maman! » La gifle que lui mit sa mère résonna dans toute la maison, arrachant des larmes de douleur à l'enfant qui s'attendait au pire. «
Ta gueule! » Silence. «
Tu sais pas ce que tu viens de faire, tu sais combien de temps il m'a fallu pour pouvoir me payer ça? Hein?! Des mois! » Erika puait l'alcool. Son haleine fétide arrachait des grimaces à la petite, qui cachait son visage dans ses cheveux, trop apeurée à l'idée de croiser le regard de sa mère.
«
Tu ne sais faire que des conneries, t'es une erreur, j'aurais jamais dû te garder! » Un bruit d'eau qui coule attira l'attention d'Alaska. Pourquoi sa mère faisait-elle couler un bain? Son instinct lui courait de fuir, mais elle était comme paralysée. «
Maman, maman, j'suis désolée! J'suis désolée! J'ai pas fait exprès! » suppliait-elle, d'une voix faible et geignarde. Elle avait peur, très peur de sa mère. Sans prévenir, Erika se jeta sur la baignoire et coupa l'eau quand cette dernière fut arrivée au bord. Ensuite, elle attrapa sa fille par les cheveux pour la tirer jusqu'à la baignoire. Là, face à ce qui l'attendait, Alaska comprit. Elle se mit à se débattre comme un beau diable, les yeux posés sur cette masse d'eau où se mêlait le sang de la blessure que sa mère s'était faite quelques instants plus tôt. «
Maman fais pas ça, pardon! J'le referais plus jamais! J'te jure! » cria-t-elle, tentant de ramener sa mère à la raison. Elle ne voulait pas mourir. Elle voulait que tout s'arrête maintenant, et vite. «
J'en ai rien à foutre de ce que tu peux me dire, ça va pas me ramener ma dose! » Puis elle souleva sa fille par les épaules pour la mettre de force dans la baignoire.
La lutte fut longue et acharnée; Erika était complètement ivre, mais restait plus robuste que sa fille. Elle parvint à lui mettre la tête sous l'eau, et l'enfant finit par arrêter de sa débattre, son esprit s'embrumant. Et pourtant... après quelques secondes passées la tête sous l'eau, cette dernière gela. Littéralement. La pièce entière fut recouverte d'une file pellicule de glace, qui s'étalait lentement avec menace. Alaska, elle, fut prise d'un regain d'énergie et, quand l'eau gelée explosa en des millions de petit cristaux, elle put reprendre son souffle. Perdue, ne comprenant rien, elle regarda partout autour d'elle.. et pâlit encore plus en voyant l'état de la salle de bain. Recouverte de glace. Il faisait froid... enfin, il devait faire froid au vu du givre qui avait recouvert les cils de sa mère, mais curieusement la petite ne ressentait pas le froid. Elle était bien, c'était sûrement ça le plus effrayant. «
Qu'est.. ce que... tu m'as fait. » Erica grelottait, ses dents claquaient et sa peau frémissait de manière incessante. Sa mère tentait tant bien que mal de se relever, les jambes tremblantes. Elle regardait sa fille avec de grands yeux fous, l'adrénaline ayant prit le dessus sur l'alcool qui lui embrumait l'esprit quelques minutes plus tôt. «
Toi aussi. » dit-elle d'une voix blanche, le corps secoué de convulsions. Sa silhouette décharnée semblait recevoir des coups par le froid, mais Nola ne réagit pas face à cette situation. Le choc de ce qu'il venait de se passer la rendait silencieuse, calme. «
Toi.. aussi t'es un.. monstre. » Ces mots atroces résonnèrent dans l'esprit de l'enfant et la marquèrent à jamais, comme un fer chauffé à blanc marque la peau.
***