Taddeus ne s'était pas réveillé ce matin dans l'intention de partir en chasse d'une quelconque créature diabolique, d'un quelconque fait bizarre, satanique ... Non, en ce jour ensoleillé, l'Écossais avait revêtu son habit de peintre. Si certains l'imaginent dans cet état d'esprit vêtu d'un bleu de travail tâché de toutes sortes de couleurs, les cheveux mal peignés et d'immondes chaussures à l'usure avancée, ils se trompent. Enfin, en partie. Le travail de Tadd se déroulait toujours en deux temps : repérage et passage à l'acte. Des airs de braquage, mais jamais rien de tel. Le repérage consistait à une ouverture d'appétit, une façon de trouver l'endroit où il produirait sa prochaine toile, la muse qui serait son modèle, ou un endroit qui serait la source de son inspiration. Et en ce jour ensoleillé, il avait avait jeté son dévolu sur un aquarium géant dont il avait reçu la brochure dans sa boîte aux lettres. C'était une première pour lui qui avait l'habitude des paysages ou même des femmes aux courbes généreuses. Une nouveauté de poser le pinceau pour des amphibiens, qui plus est, en mouvement. Un sacré défi.

l'Écossais avait bien essayé de proposer une petite somme d'argent à la direction afin qu'on le laisse peindre après l'heure d'ouverture, afin d'être à l'abri des regards, mais le "non" était catégorique. Il devait donc trouver un endroit plus ou moins calme, afin de poser son pupitre et commencer son travail. Il déambula donc dans les allées, slalomant entre les familles, les groupes scolaires, les couples s'émerveillant devant les nombreuses diversités de poissons et autres. Puis il s'arrêta près de l'un des aquariums géants. Les visiteurs y passaient comme dans les autres, mais il y avait quelque chose qui retient l'attention de Taddeus. Au milieu de ces personnes qui ne faisaient que passer en observant rapidement les animaux, il y avait une jeune femme. Elle n'avait rien en commun avec les autres, Tadd en était sûr. Elle semblait bien plus captivée, bien plus émerveillée que le reste des touristes, comme un gosse que l'on avait mit devant la vitrine du plus grand magasin de jouets. l'Écossais sourit, se mit aux côtes de la demoiselle et observa les créatures qui évoluaient dans l'eau. Pas de doutes, c'était bien l'un de ces spectacles qui prennaient aux tripes tant il était merveilleux.

"C'est magnifique, laisse-t-il échapper dans un murmure."

Pour sûr, il ferait de ce spectacle un tableau, et il intégrerait peut-être même une sirène à l'image de la charmante jeune femme qui se tenait à ses côtés.

"Aaaah ! Vous m'avez fait peur, j'étais absorbée par l'aquarium"

Taddeus afficha une mine peinée. Il n'avait pas voulut lui faire peur, et la voir sursauter, la main sur le coeur, l'attrista. Il se sentit coupable. L'idée s'effaça néanmoins quand il reposa son regard sur elle, prenant le temps de la regarder ... ou plutôt de l'admirer ? Elle avait cette gentillesse qui émanait d'elle, cette bonté, mais surtout, surtout ! elle avait cette beauté exotique. Tad ne put s'empêcher de sourire devant les joues rosies qu'elle essayait avec bien du mal de cacher. Même lorsqu'elle reporta son attention sur l'aquarium, il la fixa avec douceur, souriant.

"En tout cas, je suis d'accord avec vous. C'est vraiment quelque chose de magnifique, je pense que cet aquarium rend bien service à ses habitants..."

L'écossais hocha la tête, posant ses affaires il posa à nouveau son attention sur la petite immensité d'eau qui abritait ses précieux habitants, gardant un oeil sur la charmante demoiselle à ses côtés.

"Au fait, je m'appelle Heimoana Aretemoe, mais vous pouvez m'appeler Hei. Vous êtes ? Et qu'est-ce qui vous a amené ici ?"

Taddeus ne lui serra pas la main. Il la lui prit avec douceur, y déposant un baiser façon baise-main, tel un bon gentilhomme comme on le lui avait souvent répété lorsqu'il était plus jeune.

"Enchanté de faire votre connaissance, Hei. Appelez moi Taddeus. J'avais pour idée de venir dans ce lieu magnifique afin de peindre"

Il lui désigna ses affaires, sourire toujours aux lèvres.

"Et vous ? Quelle raison vous amène dans un si bel endroit ?"

Bizarrement, il lui sembla lui même avoir la réponse à cette question. A vrai dire, il aurait fallut être aveugle pour ne pas se rendre compte que cette demoiselle était ici comme une sirène au milieu de son élément.

Oh, vous êtes peintre ? Vous avez bien choisi votre endroit, niveau inspiration. Quant à ma raison, elle est plus... terre à terre. Je suis étudiante en biologie sous-marine, et dans le cadre de mes études je voulais voir le maximum d'aquariums pour voir ce qui a été fait, afin de pouvoir refaire un aquarium chez moi. En ne prenant que les meilleures choses que les aquariums déjà existants proposent...

  Ainsi donc, elle était étudiante et étrangère à l'Amérique, comme Taddeus avait pu s'en douter. Elle devait venir de l'une de ces îles ensoleillées que tant de monde souhaiter s'accaparer pour leurs vacances. L’écossais n'avait encore jamais comprit pourquoi. Si la faune et la flore étaient séduisants, leurs habitants en étaient tout autant. La preuve vivante était devant lui et il n'arrivait pas à s'empêcher de sourire.  

De fait, leur place n'est pas derrière une vitre, mais en liberté. Mais l'homme est en train de détruire leur environnement, alors autant les protéger tant qu'on le peut encore.

  Il suivit du regard la main d'Hei se posant sur la vitre qui la séparait du bassin. A bien y réfléchir, ses paroles étaient vraies, et Taddeus ne s'en était jamais fait la réflexion. On voyait des tas d'animaux derrière les vitres, ça en émerveillait plus d'un mais ... Le mortel fronça les sourcils. Les poissons se rapprochèrent de la main de la jeune femme, comme attirés. Un discret coup d'oeil vers les autres visiteurs qui faisaient pour certains de même ou pour d'autres, tapaient dans la vitre, lui assura que l'événement ne se produisait nulle part ailleurs. Lorsqu'elle retira sa main, les poissons partirent aussi simplement qu'ils étaient partis.

Mais revenons à vous. Vous cherchez un sujet en particulier pour votre toile ? Parce que niveau beauté, vous êtes servi quelle que soit la zone où vous vous installez...

  Il resta absent quelques instants, fixant encore l'endroit où les poissons s'étaient approchés d'Heï. Il passait en revu mentalement toutes les possibilités qui pouvaient répondre à ce qu'il venait de se passer. Pourtant, rien de normal ne lui semblait rationnel. Chose qui ne lui plaisait pas.
  Taddeus reporta son regard sur la jeune femme, affichant un air contrarié qu'il s’efforça de dissimuler. Ayant écouté ses paroles, il ne pu néanmoins retenir un sourire (oui, un autre).

"Oh oui, pour être servit, je suis servis ! dit-il les yeux rivés sur elle."

Croisant les bras, il regarda les alentours avant de reprendre.

"A vrai dire, je suis plutôt un opportuniste, je saisis la beauté là où elle se trouve."

"Euh... Pour être honnête, je ne connais pas du tout les cafés du coin, peut-être pourriez-vous passer devant pour qu'on aille là où ça vous chante"

  Heimoana ne connaissait donc vraiment pas New York et tout ce qu'il s'y passait ? Taddeus sourit, une idée en tête. Il allait lui faire découvrir l'endroit. Il se voyait déjà l'emmener dans un endroit charmant, typique mais chic. Lui connaissait tout comme sa poche. Non pas parce qu'il allait dans chacun d'entre eux tous les soirs pour boire comme un trou (chose qu'il n'avait dû faire une fois), mais plutôt, toujours en bon gentilhomme, emmener quelques (ou plutôt un bon nombre) jeunes femmes afin de passer un agréable moment avec elle autour d'un verre ou d'une tasse. Il n'allait jamais au même endroit, il varié, veillant bien à ne pas lester sur la qualité.
  Une fois sorti, l'homme regarda autour de lui. Le soleil était toujours présent, New York toujours en mouvement. La Big Apple dans toute sa splendeur. A côté de lui, la charmante jeune femme qui l'accompagnait semblait complètement liberée.

"Bon, eh bien je vous suis. Et laissez moi vous aider à porter votre matériel, ça a l'ai moyennement pratique de trimbaler jusqu'au prochain musée. "

  Taddeus lui sourit doucement.

" Je vous remercie de votre proposition, mais ne vous inquiétez pas pour moi, Heimoana. "

  Il la laissa regarder autour d'elle, comme découvrant l'endroit. Taddeus suivit son regard, s'attardant sur l'Empire States Building, l'un des symboles des États Unis, édifice imposant dont il sortait une certaine puissance. Mais au lieu de l'émerveiller, la jeune femme semblait être gagnée par une certaine tristesse. L'Écossais fronça les sourcils, soucieux de l'état d'Hei. Il posa une main douce qu'il voulut rassurante sur son épaule.

"Est-ce que tout va bien ?"

  Son attitude avait changé par rapport à lorsqu'ils étaient dans l'aquarium. Il était rassurant, doux, mais aussi attentionné. Taddeus ne connaissait pas Heimoana depuis longtemps, mais déjà il était soucieux de son état.

"Tout va bien, juste... Mon île me manque, des fois. Mais je ne suis pas prête de la revoir de sitôt, va falloir que je m'y fasse..."

  Taddeus hocha la tête, compréhensif. Lorsqu'il avait quitté l'Ecosse, il était bien jeune. Il ne se souvenait pas exactement de tout, seules quelques bribes de souvenirs venaient par-ci par-là. Pour Heimoana qui avait grandit sur son île et l'avait subitement quitté, cela devait être bien difficile. Sa famille et ses amis étaient bien loin d'elle, et la jeune femme se retrouvait dans un endroit qu'elle ne connaissait pas entourée d'inconnus. Le mal du pays pouvait vite arriver.
 
"Ne vous en faites pas pour moi, ça passera. Du coup, le café ?
"

  Il opina et la conduisit dans le lieu qu'il connaissait bien. Une fois sur place ils s'instalèrent et Taddeus appela d'un signe de main l'un des serveurs de l'endroit. Ce dernier lui répondit d'un simple geste mais lequel était assez clair pour ne signifier qu'une chose : il serait à eux dans quelques instants, le temps de s'occuper d'autres clients très certainement là depuis un petit moment.
L’Écossais avait posé ses outils à côté de lui, collés à sa chaise. Un seul coup d'oeil lui assura que l'endroit aurait été fort sympathique pour une quelconque toile, qui plus est avec la présence d'Heimoana, ne pouvait être que magnifique. Le regard de Tadd s'attarda sur la jeune femme et un demi sourire se peignit sur ses lèvres. Il avait rarement vu des femmes aussi belles, bien que chacune femme possédait la beauté et que cette dernière était particulière pour chacune d'entre elles. Chez Hei, c'était son exotisme qui devait la faire sortir du lot, un on ne sait quoi de spécial en elle.

"Et si vous me racontiez votre histoire ? En échange, je pourrais vous raconter la mienne, qui peut paraître exotique à côté de la vôtre. "

Exotique ? Si elle savait ... Lui qui était l'enfant d'un inceste entre frère et soeur, héritier d'une grosse fortune, lui qui voyait ce que beaucoup ne voyaient pas, ces monstres assoiffés de chair et de sang, de véritables démons de l'enfer dont certains portaient les traits d'humains même parfois de jeunes adolescents. Si l'histoire d'Hei était exotique, il ne savait comment qualifier la sienne. Malgré ces faits, impassible comme un parfait menteur, il lui servit - bien que quelque peu à contre coeur - l'histoire qu'il servait habituellement.

"Eh bien, tout comme vous je ne suis pas né ici. Je suis Écossais, pour tout vous dire. Malheureusement l'amour qu'il y avait entre mes parents n'était pas tout à fait très réelle. Ils ont divorcés, ma mère a obtenu la garde et sommes venus ici, en Amérique. A partir de là, j'ai grandit et me suis trouvé une vocation pour l'art, que j'ai fini par étudier. Me voilà dont peintre, bien que inconnu."

Taddeus marqua une pose, laissant échapper un léger soupir. Il avait passé sous silence bien des choses, notamment sa femme, souvenir douloureux après lequel il avait arrêté de courir. Il s'était fait une raison, elle était morte.

"Je dois avouer que ma vie n'a rien d'extraordinaire, une histoire bien quelconque comparée à la votre. Et vous alors ? Et si vous me racontiez votre histoire, celle qui vous a conduit à venir jusqu'ici ... ?"

Oh, hé bien... Je pense que l'on peut aussi considérer que mon histoire est plutôt quelconque. Comme vous vous en doutez, je suis née en Polynésie, sur l'une des nombreuses îles qui la composent, et je suis la belle-fille du chef de mon village. Même s'il m'a élevée comme sa propre fille, je sais que je ne suis pas issue de son sang... J'ai grandi tranquillement jusqu'à ce que je finisse en licence de biologie marine à Tahiti, puis j'ai enchaîné avec un master pour pouvoir, au final, valoriser le patrimoine de mon archipel. Et j'ai du boulot, du coup je suis venue ici pour voir ce qu'on y faisait pour protéger la faune et la flore marine, et qui sait, un jour, je ferai pareil chez moi...

Voilà qu'elle qualifiait son histoire de quelconque, alors qu'elle sortait tout à fait de l'ordinaire. Ni plus ni moins que la belle fille du chef de son village ... un rang dont l'importance qui aurait pu paraître moindre, résonnait pourtant aux oreilles de l’Écossais. Sa famille était tout aussi importante que celle de Taddeus. Néanmoins Heimoana avait passé sous silence l'identité de son père, et Tadd en avait rapidement conclu qu'il s'agissait d'un sujet délicat. Lui savait que pour préserver l'importance de sa famille, un mariage entre frère et soeur, voire même entre cousins, était obligatoire. Coutume barbare pour un endroit qui finalement, ne doit pas voir cela tous les jours. L'importance de l'ascendance était-elle la même en Polynésie ? Cette question, il la nota dans un coin de sa tête. Le moment opportun il la lui poserait. Il devrait quand même attendre un certains temps.

Oh, mince, je vais devoir vous laisser, ma logeuse a promis de m'emmener dans une boutique pour m'aider à aménager mon appartement. Du coup, si vous voulez, on peut toujours essayer de se croiser plus tard ?

Un sourire s'étala sur les lèvres de Taddeus, notant les joues cramoisies d'Hei dont l'habitude ne devait pas être de dire des phrases de ce genre. Qu'importe, cela plaisait à l'écossais.
Taddeus se leva et fouilla rapidement dans ses bagages. Il en sortie une petite carte blanche, ornée néanmoins de quelques petites taches de peinture de son cru, mais esthétique. Une simple carte de visite made in Taddeus Lockhart, laquelle contenait simplement ses nom et prénoms, ainsi qu'un numéro de téléphone. Aucune adresse malgré tout, qu'elle soit postale ou électronique. Là dessus, le mystère restait complet. Mais rares étaient les cartes qu'il donnait aux femmes qu'il rencontrait. Heimoana n'était pas n'importe quelle femme.

"Avec plaisir, Hei. Si jamais, voici mes coordonnées."

Il lui tendit la carte, et une fois qu'elle l'eut en sa possession, lui prit délicatement la main et y déposa un baise-main lui souriant, exactement comme lors des présentations.

"Ce fut un plaisir de faire votre connaissance."