21h36
Demain je partirai. Mon corps en a marre d’être frappé, ma tête en a marre de travailler. J’ai seize ans, je suis en seconde, l’année prochaine c’est le bac. Je n’ose même pas imaginer ce qu’il m’arrivera à ce moment là. Toutes les notes égales ou inférieures à quinze, voire seize de temps en temps, me valaient des coups. Du fouet, plus précisément. J’habite dans l’Ohio, mais demain, à cinq heures vingt, j’irais à la gare en secret, personne n’est au courant. Le seul train pour New York m’aura moi comme passagère, qu’ils le veuillent ou non. J’ai acheté le billet avec de l’argent que je ramasse et que je cherche depuis des mois. Mais ce travail a eu son succès, et bientôt j’aurais ma liberté.
Je vais me coucher, excitée et anxieuse à propos de demain. J’ai hâte.

3:49
Le lendemain, j’ai extrêmement peur. Si mes parents voient ce que je fait, je suis bonne pour que mon dos se déchire tant les coups seront forts et nombreux. Alors je descends lentement, priant pour qu’aucune planche ne craque. J’ai si peur, j’ai l’impression que mon coeur va sortir de ma poitrine à tout moment. Surtout lorsque je frôle la porte de mes parents sans le remarquer et qu’elle grince. Il n’y a aucune lumière, je ne veux pas en allumer.  J'espère qu'il y aura de la nourriture dans le train, car je n'ai rien apporté -et je ne compte rien apporter-, et je risque d'avoir faim. Mais pour soixante-dix dollars la place, je suppose qu'il devrait y en avoir ! Sinon, je ne sais franchement pas comment je ferais.
J'ouvre la porte, laissant la douce lumière de l'aube submerger le hall. Je ferme vite la porte et m'empresse de courir dans le champ devant ma maison. Je rattrape la route en quelques minutes et je regarde ma montre d'un air inquiet : c'est bon. Il est quatre heures deux, je suis en avance.

4:07
En suivant le béton de la voie vers le train, je ne vois aucune voiture. Seulement une blanche qui traverse à toute allure, probablement des voyageurs. Je longe l’autoroute en songeant à ce qu’il adviendra de moi lorsque j’arriverais à New York. Je n’aurais pas un sou, et je serais probablement forcée de.. je ne sais pas, soit j’irais me plaindre à un poste de police, soit je me mettrais au commerce de drogue. À voir. Pour l’instant je sens dans ma poche les précieuses pièces qui serviront à m’évader de cette prison qui me retient depuis seize ans.

4:31
Quelques minutes plus tard, j’aperçois au loin la gare, et je me dirige vers elle avec un petit sourire. Je dis à un homme derrière un comptoir qui semble encore endormi :
-Voici mon argent. C’est pour le train Chicago - New York.
Je fais glisser les pièces et billets sur la table, et présente ma carte d’identité. Il compte mollement les pièces et hoche la tête, me tendant mon billet que je saisis.
Le train que je prend est normalement simplement pour Chicago et New York, mais comme nous avons une gare, il s’est arrêté et nous pouvons prendre des billets. Il n’y a pas grand monde à cette heure, seulement quelques étudiants qui prennent en main leur avenir. Normalement j’aurais bientôt fait parti d’eux, mais je refuse de passer le reste de ma vie dans un trou paumé, à me faire fouetter. Tss..

4:50
J’attend depuis quelques minutes sur un banc. Je suis fatiguée et je n’ai envie que de m’endormir. Mais je ne peux pas, je ne dois surtout pas. Alors que mes yeux commencent à se fermer, j’entend le bruit caractéristique du train. Il arrive dans un nuage de fumée, avec sa couleur rouge délavée et son fer rouillé. Une femme arrive, elle aussi en costume, et demande aux rares passagers de montrer leur billet. Quand vient mon tour, heureusement que je suis grande, elle ne remarque pas que j’ai l’air jeune. Je m’empresse de monter avec qu’elle ne change sa décision, et je m’assied à l’un de ses sièges moelleux et d’une couleur rouge rosée. Il y a une table, mais je n’ai rien à poser dessus. Alors je m’endors rapidement, mon visage se collant à la vitre.

5:14
Je suis réveillée par les appels de gens du train. Il s’apprête à partir, et je n’attend que ça. Dès qu’il sera en marche, se sera trop tard pour revenir en arrière, et c’était mieux ainsi. J’esquisse un sourire, et sans même prêter attention aux appels du gars du train, je me laisser bercer par le mouvement répétitif des roues sur le chemin de fer.

7:22
Je me réveille en douceur, probablement à cause de la faim. Je demande à quelqu’un du train, un employé :
-Combien de temps dure le trajet ?
-Dix heures.
-Quoi ?!
Dix heures ? J’écarquille les yeux et me dirige vers le wagon-bar. Je demande un repas, qui s’avère -heureusement- être un croissant et un jus d’orange. Apparement, c’était dans la place, mais je ne peux pas manger et boire autant que je veux, malheureusement. Je prend un peu d’eau et retourne à mon siège. Je mange en silence, en songeant aux huit heures restantes dans ce foutu train. Je soupire, puis me rendort.

10h34
Je me réveille et m’étire dans un soupir de satisfaction. Le siège n’était pas confortable pour dormir, mais ça a fait l’affaire. Je pense à mes parents qui doivent s’être réveillé, et à la police qui doit me chercher. C’est génial. Vous vous souvenez quand j’avais dis un peu plus haut que je n’avais rien apporté ? C’était faux. J’avais apporté mon téléphone, et mes écouteurs. Et heureusement que j’ai des chansons enregistrées ! Et j’avais apporté un crayon et un carnet, j’étais sure que j’allais m’ennuyer à un moment où à un autre. Donc j’ai dessiné pendant deux heures en écoutant du Beyonce.
« All the single ladies ». Si seulement je pouvais ne pas m’identifier à cette chanson.
Les gens pensent que je suis une  « bitch ». C’est… vrai, mais j’adore ça, et c’est ce que je suis. Le problème c’est que je rêve d’avoir un petit ami, donc ça n’aide pas. Mais si jamais un homme est beau et sympa, je le drague directement. Ehh ouais.

12h00
Je meurs de faim. J’ai faim très vite, oui. Je retourne dans le wagon-bar où je prend une assiette de poulet et de pâtes, avec un verre d’eau, que je déguste en écoutant en boucle ma playlist. Je commence à me lasser. Je me demande si mes parents s’inquiètent, au moins. Ils m’ont dit il y a longtemps que j’avais été adoptée, car mon vrai père s’était suicidé -merci mec, j’aurais pu vivre une vie super si t’étais resté !- et qu’ils ne savaient rien de ma mère. Si ça se trouve, elle est encore en vie et tout, elle m’aimait juste pas.
13h56
Dans une heure c’est fini ! Mes jambes sont engourdies, j’en ai assez. Je me lève un peu pour les dégourdir, même si c’est juste pour aller au toilettes. J’ai hâte de voir à quoi ressemble New York. En y pensant un peu, c’est vrai que je ne suis jamais partie en vacances, ou même partie de chez moi. Tout le monde à l’école est déjà allé à la mer, à la montagne ou à la campagne… Moi je suis restée dans un trou paumé jusqu’à mes seize ans.

15h13
Les portes du train s’ouvrent et je cours dehors avec un grand sourire. J’enlève mes écouteurs et me laisse submerger par le flot de gens. Je n’ai jamais vu autant d’humains si concentrés dans une même place. Le bruit est très fort, et je suis poussée de tous bords. Lorsque je sors de la gare, il y a énormément de monde dans la rue, des immeubles et autres buildings. J’avais déjà vu des photos, mais là… C’était si imposant.
J’aimerais voir un officier de police. Je demande aux gens, qui ont tous l’air pressés et ne m’écoutent pas. Lorsque j’arrive enfin à obtenir l’attention de l’un d’entre eux, il me répond du haut de sa taille immense là où je peux en trouver un.
J’essaie de me repérer, mais c’est difficile.

16h19
J’entre enfin dans ledit poste de police. Il n’y a personne, ou presque, pour une fois dans cette ville ! Un policier s’y trouve. Je lui demande :
-Euh.. Pour des accusations.. Enfin, des plaintes… C’est où ?
Il me mène à un bureau, je suis incertaine. Un policier nommé Cyril m’accueille et je commence à lui raconter mon histoire, le train, la fugue, les coups, l’école, sans omettre aucun détail. Il semble m’écouter attentivement.
La colère me submerge, et je raconte avec plus d’émotions mon récit. Soudain, ma vision se teinte de bleu, ce qui était plus foncé était bleu marine, et le plus clair d’un bleu ciel. J’interromps mon récit et je tourne la tête. Une femme était en train de passer, lentement, et je vois apparaître « Mort par suicide dans 7 jours »
Je fronce les sourcils, les couleurs redevenant normales, et je retourne ma tête vers Cyril, déconcertée :
-Je viens de voir… la date de mort d’une personne…
Il fronce les sourcils, puis il m’explique une chose qui changea ma vie à tout jamais.

17h01
Je reprend mon souffle, tentant d’avaler l’information, ou plutôt les informations qu’il vient de me dire. Ses phrases résonnaient dans ma tête, je n’y comprenait rien. Déjà que je n’étais pas très familière avec la mythologie grecque, alors me dire que j’étais la fille de l’une des déesses était… Perturbant. Et même qu’il avait une preuve, il fit grandir une plante qui était dans un pot, sur la table. J’étais.. hébétée, sans mots. Des pouvoirs ? Une Résistance contre eux ? Traaah, je voulais déjà retourner dans l’Ohio, et oublier tout ça ! Non, ce policier était un fou, je n’y croyais pas. C’était assez confus, mais pourquoi avoir vu ça ? Pourquoi était-ce parti ? Quels Dieux pouvaient avoir ça comme pouvoir ? Qui était ma mère putain ?! Et puis, surtout, pourquoi avait-elle abandonné mon père ainsi ? Le pousser à se suicider ? Si c’était le cas, je voulais rejoindre cette Résistance et la tuer. « Oeil pour oeil, dent pour dent » comme on disait.

Le lendemain, vers 16h.
Je me suis renseignée, et je crois que je suis la fille de Clotho, l’une des trois Moires. Donc basically juste les trois meufs qui tuent des gens. J’ai pris ma décision, aujourd’hui je vais retourner voir monsieur Cyril et lui demander de me faire passer ce test pour la Résistance.

Mes motivations ? Elles sont simples. Mon père s’est suicidé : celle avait qui il m’avait eut et celle qu’il aimait était partie du jour au lendemain, sans le prévenir. Je me suis fait battre jusqu’à ce que je fugue : Clotho était une Déesse, et elle était ma vraie mère. Elle aurait donc pu me reprendre.
Je me nomme Kayla Rose. J'ai dix-neuf ans, et je suis dans la Résistance.