Les Yankees affrontaient les Red Sox. New York contre Boston. C'était toujours annonciateur d'un beau match. Les deux meilleures équipes de la ligue sur la côte Est. Même si je dois avouer que mon coeur balançait pour les Yankees... Comme à chaque fois que les deux équipes se faisaient face, je décidais donc de quitter l'Olympe, vêtue d'un vieux t-shirt des Yankees et d'une casquette de baseball, direction le stade.

Ce jour ne faisait pas exception. Mais cette fois-ci, pas question de donner la victoire aveuglément. J'avoue que, parfois, je donnais un petit coup de pouce aux Yankees. Mais les jeux n'étaient pas encore faits et un peu de suspense ne faisait pas de mal... J'avais donc décidé que l'équipe la plus méritante gagnerait aujourd'hui. A eux de jouer correctement et d'offrir un beau spectacle à leurs supporters.

J'allais m'installer au milieu des gradins, attrapais du pop corn et regardais les deux équipes rentrer dans le stade sous les ovations du public. La rivalité entre les Yankees et les Red Sox était mythique et l'ambiance électrique. Je m'installais confortablement, prête à profiter du spectacle, quand je le vis. Assis de l'autre côté. Vêtu tout de noir. Un frisson me parcourut l'échine. Réaction habituelle dès que je le voyais. Que faisait-il là ?

Je pestais et me levais alors que les Yankees réussissaient le home run. Je serrais les dents et me dirigeais vers l'autre côté du stade, vers la figure sombre que j'avais aperçu. Je le repérais au troisième rang et descendis vers lui. Je m'assis à la place voisine et, gardant mon regard fixé sur le terrain, je sifflais entre mes dents :

"Thanatos, que fais-tu là ? Ce n'est pas le lieu, ni le moment."

Si la mort était là par une si belle journée, au milieu d'un si beau match, ça ne pouvait pas être une coïncidence. Et ma bonne humeur s'envola aussi vite qu'elle avait pu apparaître ce matin. Je détestais qu'on me gâche un match. Encore plus du baseball. Et je détestais vraiment qu'on m'importune lorsque les Yankees jouaient.

"Bonjour ma chère tante, comment vas-tu ? Moi, je vais bien. Belle journée, tu ne trouves pas ? Je suis venu assister au match comme toi. Pourquoi tant de mépris à mon égard ?"

Son petit sourire narquois me déplut au plus haut point. Certes, sa mère, Nyx, était mon amie mais son fils me faisait froid dans le dos, comme à n'importe qui. Oh, pas une peur irréfléchie et déraisonnable comme les mortels mais plus on l'évitait, mieux on se portait. Il n'était pas vraiment le plus apprécié des Dieux et il y avait de quoi... Son rôle lui allait à merveille et je n'avais vraiment pas envie d'aller chercher plus loin.

Et puisque l'on parlait de son rôle, je n'étais pas née de la dernière pluie, loin de là. Partout où Thanatos allait, la mort se déplaçait avec lui. De plus, je détestais qu'on marche sur mes plates-bandes. Si l'on s'en prenait à un évènement sportif, je voyais rouge et ça lui était déjà arrivé un peu trop souvent à mon goût.

"C'est moins du mépris que de l'agacement, mon cher. Et laisse-moi douter de tes motivations, tu n'as jamais vraiment apprécié le sport."

Je regardais les joueurs sur le terrain. Portés par le public, le match était superbe. Quand je pense que Thanatos était en train de me gâcher ce match génial... Je serrais les poings pour contenir ma colère. Pas besoin d'une explosion divine en plein milieu de la foule. Je fixais mon regard au loin, sur le lanceur et attendis que le Dieu de la mort daigne enfin répondre à ma question et me dise ce qu'il pouvait bien faire ici... S'il était venu s'amuser, je sentais que moi je n'allais pas rire du tout. Et il me le paierait. Car tout le monde le sait : la victoire peut être cruelle.

Il éclata de rire alors que je bouillais de rage. Sans se départir de son sourire qui me donnait envie de l'envoyer au Tartare, il me répondit :

"Du calme, pourquoi tant de mépris, cela n’est pas bon pour ton visage d’ange. Fais-nous un beau sourire. Comme tu le constates aujourd’hui, c’est un jour important, aussi bien que pour toi que pour moi. Chips ?"

Sentant sa main sur mon épaule, je me dégage d'un coup sec, avec agacement. J'allais lui en donner moi, du visage d'ange. Il avait beau faire peur à tout le monde et s'en délecter, il ne m'avait apparemment jamais vue moi en colère... Et mieux valait qu'il ne me fâche pas s'il ne voulait pas connaître ma fureur. J'étais juste mais implacable. Et s'il ne se dépêchait pas de me donner la raison de sa présence, il risquait de comprendre que la victoire n'était pas toujours bonne et délicieuse avec tout le monde...  

"Eloigne-moi ça de sous mon nez !"

Je repoussais vivement le paquet de chips. Je me tournais ensuite pour planter mes yeux dans les siens. Mort ou pas, Thanatos ou pas, il n'allait certainement pas me terroriser ou m'intimider. Il en fallait plus pour ça.

"Je te laisse une dernière chance : que fais-tu ici ? Et autant te prévenir, si tu ne me dis pas la vérité, mieux vaudrait pour toi retourner vite te cacher aux Enfers."

Mes yeux lançaient des éclairs et mes mâchoires étaient serrées. Pourtant, autour de nous, aucun mortel ne semblait le remarquer. Tant mieux. Le match était bien trop excitant pour qu'ils ne jettent ne serait-ce qu'un coup d'oeil de notre côté. Quand je pense que Thanatos me faisait manquer cette partie exceptionnelle... Je claquais ma langue en signe d'impatience, attendant qu'il se décide enfin à me dévoiler la véritable raison de sa présence.

"Serait-ce une menace que je décèle dans tes paroles. Je suis venu pour deux choses, regarder un match et faire mon boulot tout comme toi."

Il me sourit. J'écarquillais les yeux. Faire son boulot ? Alors comme ça, il comptait aller prendre des vies comme ça, par cette belle journée.

Trop surprise pour m'occuper du match, je ne vis pas les derniers points marqués par les deux équipes. Thanatos, lui, gardait son calme. J'avais envie de lui arracher la tête.

Et puis la surprise laissa place à la colère, au dégoût et à la rage. Par Zeus, je n'allais pas le laisser faire ! Il était hors de question qu'il vienne transformer LE match de la saison en un massacre, un drame. Il marchait sur mes plates-bandes et je détestais ça. Là où j'étais, pas question qu'un autre vienne fourrer son nez dans mes affaires.

Je me tournais lentement vers lui, les mâchoires serrées. Je peinais à articuler sans hurler :

"Dégage. Il n'y aura aucun mort à ce match. Attend qu'ils s'en aillent s'il le faut vraiment. Mais dégage de là."

J'entendis des hurlements tout autour de moi alors que les fans des Yankees commençaient une standing ovation pour leurs champions venant de réaliser un home run. Mais pour une fois, je ne souris pas. Je n'avais plus la tête à ça. Et quitte à ce que ma journée soit définitivement gâchée, autant que ce soit pour la bonne cause. Je n'allais pas me laisser faire par ce Dieu de pacotille. Mort ou pas, je gagnais toujours.