Elle l’avait percé à jour, il l’avait compris. Cette blondinette avait réussi à lire en lui comme si de rien n’était, alors qu’il s’efforçait à jouer son rôle à la perfection. Un sourire par-ci, un clin d’œil par là. Jouer le mec cool, c’était parfois un peu compliqué pour lui, mais cela ne l’empêchait pas d’enfiler son masque à chaque fois qu’il quittait l’appartement familial. Que ce soit à l’école, au Nycola’s Daricae ou à la Colonie, personne ne devait connaître son vrai visage. Et cette fille d’Apollon, elle s’était pointée comme une fleur et avait eu comme une sorte d’illumination. Ô, surprise ! Liev n’est pas aussi sûr de lui, d’ailleurs, il a une sérieuse tendance à se détester. Combien de temps lui restait-il avant qu’elle aille le raconter sur tous les toits ? Il devait se dépêcher…

Enfilant une veste de jogging et une paire de sneakers défoncés, il quitta le bungalow de Borée (bien trop ennuyeux, maintenant que Rheï était partie) et sortit à la recherche de la blonde, bien décidé à l’empêcher de révéler son secret à qui que ce soit. L’avantage de faire partie de la bande des beaux gosses – oui, il fallait le dire, c’était que lorsqu’on cherchait quelque chose, on l’obtenait facilement. Ainsi, il lui fallut à peine quelques minutes pour savoir où devait traîner cette fille : à l’infirmerie. Sans plus attendre, il quitta le réfectoire pour se diriger vers la Grande Maison, armé d’une détermination sans faille. Il croisait les doigts pour qu’elle soit là – sinon, il n’aurait qu’à retourner le camp dans tous les sens jusqu’à la trouver. Il espérait juste qu’elle n’était pas dans son bungalow, occupée à ricaner avec ses frères et sœurs sur son dos… Chassant cette idée de sa tête, il franchit la porte de l’infirmerie et s’arrêta. Il lui fallait une excuse. Vite… Il regarda ses mains, et une idée lui vint subitement. Il saisit son poignet et se concentra, sentant une entrave glacée se serrait petit à petit autour de son poignet… Ouais, il venait de s’auto-congeler. Tout ça pour parler à une fille.

« Y’a quelqu’un ? Je… Mes pouvoirs ont déconné, j’ai besoin d’aide… » Il fit quelques pas et aperçut la silhouette de Sun. En l’observant durant quelques instants, il remarqua alors qu’elle était beaucoup plus jolie que le reste de ses frères et sœurs… Mais qu’est-ce que tu racontes, Liev ? T’es pas là pour ça ! Il secoua la tête et s’approcha d’elle, mettant sa main congelée en évidence.

« Sun. Il faut qu’on parle. J’ai le bras gelé. » Débita-t-il d'une voix mal assurée, oubliant momentanément son rôle du type sympa et drôle.

Aujourd'hui, l'infirmerie était plutôt calme pour une fois. Sunshine était toute seule à assurer le service car une de ses collègues étaient à New York pour voir un proche. Etant donné les circonstances, elle était bien heureuse de ne pas avoir grand monde. Assise sur un des lits de l'infirmerie, elle baladait ses doigts sur les touches de son ordinateur à une vitesse fulgurante. Cette motivation était due au mail que sa mère lui avait envoyé, elle n'avait pas eu de nouvelles d'elle depuis son arrivée à la colonie. Toutes les deux fâchés l'une contre l'autre, aucune des deux jeunes femmes avait voulu faire le premier pas pendant ces quelques années qui ont creusé un peu plus la distance entre elles. La blonde avait trouvé son mail il y avait quelques jours et elle avait passé la nuit à chercher les mots qu'elle allait lui envoyer. Le mail de sa mère n'était pas très long mais il représentait le début de quelque chose de signifiant pour Sunshine.


Ma petite Sunshine,


Il y a bien des années que je n'ai pas eu de tes nouvelles et j'espère en avoir en t'envoyant un mail sur ta vieille adresse... Je ne sais pas comment tu te portes, je sais à peine où tu es mais j'ai eu quelques échos qui m'assuraient que tu étais vivante... Je comprend que tu sois toujours fâchée contre moi et celui qui a remplacé ton père mais je t'assure que nous t'aimons toujours.

Peut être est-il temps de passer à autre chose ?


Même si la fille d'Apollon avait préparé son discours toute la nuit, elle n'allait pas réussir à écrire ce qu'elle avait sur le cœur. C'était en relisant le « celui qui a remplacé ton père » qui l'avait bloqué.Il était dorénavant impossible de tout recracher, c'était fini. Elle effaça les quelques lignes qu'elle avait écrit dans les feux de l'action et referma son ordinateur d'un geste de la main. Elle enfila sa blouse et entendit une voix qui venait de l'entrée : « Y'a quelqu'un ? Je... Mes pouvoirs ont déconné, j'ai besoin d'aide... ». Elle reconnut immédiatement Liev, le fils de Borée et qui était accessoirement le mec le plus cool de la colonie. Sauf que Sunshine savait que ce n'était qu'un gars en souffrance comme beaucoup d'autres. Elle remarqua d'abord son bras gelé et ensuite ses yeux un peu trop sérieux par rapport à d'habitude. La blonde devina tout de suite qu'il n'était pas venu que pour son bras et pour rafraîchir l'atmosphère – sans mauvais jeu de mots – elle lui proposa de s'installer sur un des lits. « Sun il faut qu'on parle. J'ai le bras gelé ». S'être automutilé pour trouver une excuse afin de la voir, elle en était abasourdie. «  Je vois ça. Et t'inquiète pas, je vais t'arranger ça en un clin d'oeil ». Sunshine posa une main sur le bras gelé du garçon. Elle fut soudainement parcourue de frissons non pas parce qu'elle touche un des mecs les plus sexy de la colonie mais parce qu'elle ne supportait pas de toucher quelque chose d'aussi froid, elle était bien trop frileuse. Un chaleur chaude se dégagea de sa main et fit fondre doucement la glace qui recouvrait le bras de Liev : « Tu peux me dire pourquoi t'as fait exprès de congeler ton bras, tu sais. ». La blonde croisa un instant son regard et détourna brutalement la tête en rougissant. Pourquoi tant de timidités d'un coup ?

La blonde lui fit signe de s’installer sur l’un des lits, ce qu’il fit sans dire un mot.

«  Je vois ça. Et t'inquiète pas, je vais t'arranger ça en un clin d'oeil. »

Il l’observa poser sa main sur son bras et frissonner. Oui, peut-être aurait-il dû préciser qu’il avait une température corporelle semblable à un macchabée (charmant, hm ?). Fasciné, il sentit une chaleur l’envahir là où elle avait posé sa main et petit à petit, la glace se mit à fondre tandis que ses doigts engourdis retrouvaient une consistante. Il murmura un petit « Merci… » Toujours fixant là où elle l’avait touché, comme si c’était la première fois qu’il avait un contact avec quelqu’un, il sursauta quand elle parla à nouveau et leva la tête vers elle.

« Tu peux me dire pourquoi t'as fait exprès de congeler ton bras, tu sais. » Leurs regards se croisèrent et elle détourna le sien, son visage devenant rouge pivoine. Liev lui-même devina que son propre visage devait avoir pris quelques couleurs, sans vraiment comprendre pourquoi. Aussi bizarre que ça lui semblait, il faisait de l’effet aux filles, même à l’époque où il n’était qu’un loser dans l’ombre de ses deux amis – d’ailleurs, il restait un total loser. Déglutissant, il fixa ses pieds, cherchant à reprendre ses esprits.

« Ouais… Ça va te paraître bizarre, mais il me fallait un prétexte pour venir te voir. » Il releva la tête, un sourire gêné sur les lèvres, l’air mi honteux, mi amusé par la situation. Parfait, il reprenait les choses en main. Il devait continuer comme ça, faire semblant d’être décontracté. « Alors j’ai paniqué et pendant un instant, j’ai pensé que me congeler mon propre bras était une bonne idée. » Et il eut un petit rire, le genre de rire communicatif. Tout marchait comme sur des roulettes. Seulement, il ne devait pas perdre son objectif de vue : il devait à tout prix la convaincre d’oublier ce qu’elle avait comprendre dans sa drôle d’illumination.

« Enfin bref, je voulais te dire… » Il leva la tête, planta ses yeux bleus froid dans ceux bleus électriques de Sun et oublia momentanément la raison de sa venue. « Euh, et bien… » Son accent inupiak se prononça davantage dans la panique, et il dut secouer la tête pour reprendre ses esprits. Bordel, qu’est-ce qui se passait dans sa tête ?

« Je ne sais pas ce que tu as vu dans tes visions, et j’ai pas vraiment envie de savoir… Mais je voulais mettre les choses au clair : ce type, ce n’est pas moi. Je ne suis pas un loser. » Dit-il en grimaçant un sourire, se voulant confiant.

Sunshine réalisait qu’elle était toute seule à l’infirmerie avec Liev et cette idée la troubla tellement qu’elle rougit davantage. La chaleur qui dégageait de sa main n’était rien comparée à la chaleur qui brûlait ses joues. Elle avait toujours du mal à contenir ses émotions devant les hommes pour qui elle avait un petit faible. Bon, en vrai, ce sentiment qu’elle éprouvait pour le fils de Borée était bien plus qu’un petit faible de rien du tout, c’était peut être de l’amour ? Elle n’en était pas raide dingue non plus, il fallait avouer que ce visage d’ange, ce sourire parfait et ses cheveux pour le moins très colorés lui donnaient un petit côté charmant voire adorable. La blonde n’en était pas insensible alors il fallait s’attendre à la voir troublée à côté de ce bellâtre. “Merci…”. Ce remerciement sortie de la bouche du beau gosse la fit revenir à la réalité. Elle se rendit alors compte que la glace qui recouvrait le bras de Liev avait complètement fondue et qu’elle pouvait retirer sa main. Le jeune homme toucha son bras sûrement pour prendre connaissance du résultat mais ce geste la troubla davantage, bizarrement. “ Ouais… Ça va te paraître bizarre, mais il me fallait un prétexte pour venir te voir.”

Sunshine, visiblement gagnée par le stress, joua avec les pans de sa blouse et ne put répondre au jeune homme tant elle était intimidée par lui. “Alors j’ai paniqué et pendant un instant, j’ai pensé que me congeler mon propre bras était une bonne idée.”. Très bonne idée en effet. La blonde ne sut pas quoi répondre tout de suite. Elle se leva brusquement pour retirer sa blouse et la poser sur le bord du lit: “Il fait chaud hein?”. Ouais ferme là on est en automne. Elle vint se rassoir à sa côté pour écouter la suite de la conversation: “ Enfin bref, je voulais te dire… Euh, et bien…”.  

Ce suspense involontaire mettait Sunshine en rogne. Elle avait juste envie de lui hurler de dire ce qu’il avait à dire mais elle se contenta de le regarder en souriant bêtement comme elle en avait l’habitude quand elle ne savait pas trop quoi faire. Mais bon, elle espérait au moins que son sourire rayonnant allait lui faire de l’effet. Et puis en plus, sa déclaration ressemblait fortement à une future déclaration d’amour, alors au fond, peut être qu’elle était stressée, impatientée mais elle jubilait à l’idée que Liev lui fasse une révélation. L’aimait-il ? Sunshine le souhaitait. Il était tellement gentil et beau, qu’elle ne refuserait jamais de sortir avec lui… ” Je ne sais pas ce que tu as vu dans tes visions, et j’ai pas vraiment envie de savoir… Mais je voulais mettre les choses au clair : ce type, ce n’est pas moi. Je ne suis pas un loser.”. Sunshine n’aimait pas être déçue, cela ne ressemblait pas vraiment à une déclaration. Mais elle aurait pu s’y attendre, le deviner même. Il suffisait de lire dans ses pensées à travers ses yeux pour ne pas avoir de surprise. “Mais Liev… Je vois peut être qui tu es au plus profond fond de toi… Mais… Je ne porte pas aucun jugement sur toi…”. Sunshine se racla la gorge et posa une main sur une épaule de du fils de Borée: “Je sais que tu n’es pas un looser… Tu es quelqu’un de vraiment génial et je le vois.”

Plongeant les yeux dans les siens, elle essaya de voir à quoi pensait le demi dieu et au moins, elle était sûre de ne pas être déçue: “ Je sais pourquoi tu es comme ça… Tu as eu un lourd passé… Quoique tu penses, je me convaincrai que tu ne joues pas toujours la comédie et que tu es un mec super cool quand tu le veux vraiment.”

Pourquoi Liev ne voulait pas révéler qui il était vraiment ? Pourquoi le cacher aux autres ? Et surtout pourquoi vouloir le cacher à Sunshine ? Elle le devinait, il avait honte… mais pourquoi avoir honte d’être soi même ? C’était ce qui lui échappait totalement. Certes, le jeune homme semblait être la personne la plus cool de toute la colonie, il avait de nombreux amis tout aussi cools que lui, il était même plutôt heureux. Mais la blonde se demandait si c’était bien la réalité ou si ce n’était qu’une façade, s’il cachait ses propres sentiments. Elle ne voulait pas en avoir la réponse, elle ne voulait pas encore découvrir des choses à son insu, empiéter sur son espace personnel. Il avait encore la conscience de faire ses propres choix, elle n’allait pas lui interdire de faire ce qu’il avait envie de faire, surtout si c’était pour être heureux.

Elle se donna encore un instant à le regarder, à l’étudier. Plus ses yeux parcouraient ce visage pur et innocent, plus elle se sentait défaillir, d’amour. Dieu qu’il était beau ! Elle ne trouvait pas les mots pour le décrire. Elle, qui l’aimait juste pour ce qu’il était, pour la simplicité dont il pouvait faire preuve, elle regrettait vraiment le fait qu’il ne s’en rende pas compte, le fait qu’il reste aveugle, obstiné à garder une belle image de lui pour plaire aux autres, ces gens qui n’aimaient juste le côté paillette et ce qu’il pouvait leur apporter. Elle était dégoûtée qu’il ne comprenne pas qu’elle trouvait son côté mystérieux très attirant et qu’elle préférait sa personnalité refoulée plutôt que le mec badass qui jouait juste la comédie. Mais le pire dans tout cela, c’est que c’était lui qui pensait qu’elle ne comprenait rien: “Non, tu comprends pas…”. Face à ses mots, elle se retourna lui offrant la vue de son dos crispé qui, comme Sunshine, ne voulait pas entendre ce que Liev avait à dire. Ces accusations étaient de trop. “Je sais que si je reste moi-même, je ne suis pas à la hauteur de ceux autour de moi. Je ne vaux rien, et ça me tue. Quand je suis arrivé à la Colonie, j’ai compris que c’était l’occasion pour moi de ne pas faire la même erreur. Et regarde-moi : j’ai trouvé ma place dans une bande, tout le monde m’apprécie et rêve d’être ami avec moi. N’importe qui voudrait être à ma place. Pourquoi j’abandonnerai tout ça pour… pour redevenir le type que tu as vu dans tes visions ? Donne-moi une bonne raison de sacrifier tout ce que j’ai. “

Sunshine avait envie de lui dire de se taire, de ne plus prononcer un mot. Elle avait la preuve que le fils de Borée préférait se sacrifier pour une façade, un mur peu attirant pour les personnes censées telles que la fille d’Apollon. Elle se tourna vers lui en essayant de masquer la rage qui se dessinait sur son visage même si elle avait bien du mal à y parvenir tellement que ce jeu était grotesque." Si je comprend ! J’ai compris que tu avais honte de toi ! Que tu as abandonné l’homme que tu étais pour satisfaire tous ces gens qui n’apprécient que le côté physique d’une personne ! Mais tu crois quoi ?! Que ce sont de vrais amis ?! Ils ne traînent qu’avec toi parce que tu leur apportes une certaine prostérité… Mais ce ne sont que des conneries !”. Sunshine se leva, folle de rage que son ami se fasse rouler ainsi. “Il y a des gens qui sont prêts à t’aimer pour ce que tu es, et non pas pour ce que tu représentes mais t’es trop aveugle pour le voir, et franchement ça me désole.”. Dans sa colère, la blonde se rendit compte qu’elle faisait partie des gens qui l’aimaient pour ce qu’il était… Oui, elle était amoureuse, follement amoureuse de lui...

Sun se retourna, le laissant face à son dos pendant les quelques secondes où il parla, celles-ci semblant s’écouler au ralenti comme si ne plus voir son visage éclipsait toute notion du temps. Enfin, quand elle daigna le regarder à nouveau, il sentit toute la colère qui émanait d’elle et se sentit brusquement pitoyable. Parce qu’à cet instant, elle signifiait tellement plus que tout le reste du monde pour lui, et l’idée-même de la décevoir le détruisait. Mais ses yeux scintillaient de rage et Liev savait que c’était inévitable, qu’il fallait qu’elle se mette en colère contre lui pour que tout ceci serve à quelque chose. Qu’il fallait qu’elle la pousse dans ses retranchements, qu’elle aille plus loin que tous ceux qui avaient déjà cherché à explorer l’esprit brisé du fils de Borée au point d’y voir la source de tout ce conflit intérieur. Et peut-être que sa vision était le premier pas de tout ça – qu’il s’agissait du début de toute une introspection.

« Si je comprends ! J’ai compris que tu avais honte de toi ! Que tu as abandonné l’homme que tu étais pour satisfaire tous ces gens qui n’apprécient que le côté physique d’une personne ! Mais tu crois quoi ?! Que ce sont de vrais amis ?! Ils ne traînent qu’avec toi parce que tu leur apportes une certaine prospérité… Mais ce ne sont que des conneries ! » Elle se leva brusquement, l’air furieuse. « Il y a des gens qui sont prêts à t’aimer pour ce que tu es, et non pas pour ce que tu représentes mais t’es trop aveugle pour le voir, et franchement ça me désole. »

Il serra les poings, sentant ses mots s’enfoncer dans sa peau comme s’il s’agissait de couteaux. Il ne pouvait pas nier. Il savait que ces relations étaient superflues, de la même façon que des courtisans traînent avec un roi en espérant s’attirer de bonnes grâces. Mais ne pouvait-il pas être heureux de cette façon ? Entouré de gens envieux de sa condition, au centre des attentions, ses actes et paroles toujours justifiées par le simple fait d’être populaire. Si des gens arrivaient à vivre ainsi, pourquoi pas lui ?

« Tu as raison. » Murmura-t-il. « Bien sûr que je sais que mes prétendus amis n’en ont rien à faire de qui je suis vraiment. Qu’on ne vient me parler que dans l’espoir d’être bien vu. Mais si j’abandonnais tout comme tu le dis, est-ce que tu penses vraiment qu’il y aura des gens pour ramasser le pauvre type que je suis ? Je suis peut-être aveugle, mais je connais assez ce monde pour savoir que personne n’aime les rois déchus de leur trône. »

Il se leva à son tour et fit quelques pas pour aller se poser devant la fenêtre, fixant le vague d’un air dépité. Il avait toujours été effrayé par le regard des autres, de ce qu’ils pouvaient bien penser de lui. Même quand il montait sur scène à l’époque où il avait encore son groupe il avait toujours cette crainte que l’on se moque de lui, crainte qui n’était même pas fondée. Aujourd’hui plus que tout, il continuait de sentir cette peur lui serrer le ventre quand l’on évoquait son passé. Peut-être que jouer un rôle pendant tout ce temps avait fait fuir son appréhension – mais à présent, cela ne suffisait plus. Et puis, il y avait Sun. Sun et ses yeux bleus qui lançaient des éclairs, Sun et sa capacité à aimer les gens pour ce qu’ils étaient et non pour ce qu’ils se faisaient passer. S’il décidait vraiment d’arrêter de jouer son rôle, est-ce qu’elle serait à ses côtés ? Secrètement il l’espérait.

« J’ai juste peur d’être à nouveau seul avec moi-même. »

 
Quand Sunshine écoutait Liev, elle pensait automatiquement à quelques personnages qu’elle a pu rencontrer dans ses lectures. Ils étaient marquants car ils essayaient de toute leur force de s’intégrer à une société qui les jugeait inapte justement à en faire parti. Leur singularité était une malédiction car personne ne voulait les approcher, effrayée par leurs différences, mais elle était aussi un atout car après tout, seuls sont ces personnes qui ont marqué l’histoire ou qui ont laissé une trace de leur passage sur Terre. Elle voulait à tout prix le convaincre de redevenir l’homme qu’il était pour qu’il puisse montrer au monde entier son vrai visage et de dire qu’il n’avait pas peur des jugements que certains pouvaient porter à son égard. Mais quoi qu'elle disait, elle avait l’impression de construire un mur entre elle et Liev. La blonde sentait qu’il ne voulait pas lui faire de la peine et surtout elle voyait à travers ses satanés pouvoirs qu’il n’était franchement pas déterminé à redevenir honnête envers lui même par peur que vraiment personne ne reconnaisse ses qualités.

Après d’avoir tenté le tout pour le tout, Sunshine laissa retomber sa colère et attendit avec patience la réponse du fils de Borée. « Tu as raison. » Murmura-t-il. « Bien sûr que je sais que mes prétendus amis n’en ont rien à faire de qui je suis vraiment. Qu’on ne vient me parler que dans l’espoir d’être bien vu. Mais si j’abandonnais tout comme tu le dis, est-ce que tu penses vraiment qu’il y aura des gens pour ramasser le pauvre type que je suis ? Je suis peut-être aveugle, mais je connais assez ce monde pour savoir que personne n’aime les rois déchus de leur trône. ». Belle métaphore qui ne faisait que de prouver les pensées pessimistes de ce garçon. La blonde poussa un long soupir en regardant Liev se lever et se diriger vers la fenêtre. Visiblement, il s’était replongé dans ses pensées noires qu’il n’attendit pas de partager: « J’ai juste peur d’être à nouveau seul avec moi-même. ».

Sunshine ne voulait absolument pas le laisser tomber, elle sentait qu’il était largement plus malheureux en jouant les acteurs cools qu’en étant lui même. Cela ne servait à rien de se faire autant de mal mais Liev ne comprenait rien, il ne cherchait même plus à comprendre. Allait-il passer sa vie à se cacher derrière un masque pour endosser le rôle de quelqu’un d’apprécié ? En inspectant ses pensées, la fille d’Apollon en était pratiquement sûre … Pourtant elle savait qu’elle pouvait encore le faire changer malgré tout. Elle voyait une faille en lui, quelque chose qui laissait à penser qu’elle était la seule à lui donner raison même s’il était resté sourd à ses arguments. Elle rougit fortement en s’imaginant cela mais il fallait s’en convaincre pour parvenir à aider son coup de coeur. « Arrête un peu de dire toutes ces choses stupides… Ce… ce n’est pas vrai… ». Pour l’assurance, c’était à revoir mais elle ne se laissa pas déstabiliser et alla le rejoindre. Elle se posta devant la fenêtre et croisa son regard abattu. « Et si je voulais bien être cette personne qui ramasserait le pauvre type que tu es ? Et si je voulais bien transformer le roi déchu que tu es en merveilleux héros ? Et si je voulais bien partager ta solitude ? ». Mécaniquement, elle se mit sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur sa joue.
« Et si tu acceptais mon aide ?  ».

Parler de tout ça ne faisait qu’exacerber davantage ses propres insécurités. Liev avait cette fâcheuse tendance à toujours se questionner et se remettre en question mais aujourd’hui il battait des records. Par-dessus tout, il se sentait terriblement impuissant. Ce qui lui demandait silencieusement Sun lui était impossible. Abandonner toute sa mascarade et dévoiler le déchet qu’il était alors qu’il s’efforçait au contraire de faire disparaître ses souvenirs était tout bonnement impensable. Il ne voulait pas redevenir le Liev d’Anchorage, celui qui avait ruiné son groupe de musique, son groupe d’amis et sa carrière musicale. Il voulait pas être à nouveau le type qui brisait tout ce qu’il touchait. Il avait trop peur de réveiller les douleurs du passé et d’assumer ses erreurs. Tout était tellement plus facile quand il s’agissait de faire semblant.

« Arrête un peu de dire toutes ces choses stupides… Ce… ce n’est pas vrai… » Lui dit-elle en venant le rejoindre à côté de la fenêtre, le visage rouge pivoine. « Et si je voulais bien être cette personne qui ramasserait le pauvre type que tu es ? Et si je voulais bien transformer le roi déchu que tu es en merveilleux héros ? Et si je voulais bien partager ta solitude ? » Liev tourna son visage vers elle, les sourcils froncés, s’apprêtant à lui demander ce qu’elle voulait dire par là. Mais il ne posa jamais la question, car Sun approcha son visage du sien pour déposer un doux baiser sur sa joue. Ce fût à son tour de devenir rouge comme une tomate (avec sa couleur de cheveux, ça devait être un curieux mélange). Il recula par réflexe, complètement désemparé, ayant complètement oublié ce qu’il voulait lui dire. Tout ce à quoi il pouvait penser était l’endroit où les lèvres de la fille d’Apollon avaient touché sa peau, encore brûlante, comme une trace indélébile.

« Et si tu acceptais mon aide ? »

Elle lui aurait demandé son numéro bancaire qu’il n’aurait pas plus réfléchi. Pauvre garçon. Un bisou et il arrêtait complètement de réfléchir. Remuant la tête dans tous les sens en espérant que Sun y voit un hochement, il bredouilla.

« Hum… Ecoute Sun… J’apprécie beaucoup l’attention que tu me portes et… T’es vraiment une fille géniale, t’es même la fille la plus géniale que j’ai pu rencontrer ici ou ailleurs… Je le pense vraiment. » Charisme ? Complètement absent. Il ressemblait à un gamin de huit ans qui recevait pour la première fois un mot d’amour le jour de la Saint-Valentin. « Mais… Tu veux vraiment m’aider ? Je veux dire, regarde-moi… Tu vois bien à quel point je suis pitoyable. Même moi je peux pas supporter mon propre reflet dans le miroir. T’as vraiment envie d’aider ça ? »

Crétin. Si elle te propose son aide c’est bien qu’elle en a un petit peu envie non ? Il ferma les yeux en se maudissant intérieurement. Quel boulet. Il pouvait se comporter comme un dieu avec n’importe quelle fille lambda, face à Sun il perdait tous ses moyens comme le pauvre ado d’une série adolescente cliché. C’était à la fois terrifiant et fascinant. Elle parvenait à le rendre euphorique dans des moments où il aurait voulu se jeter d’un pont. Avoir ce genre de pouvoir sur quelqu’un relevait totalement de la sorcellerie, mais si Sun était une sorcière alors il se laisserait ensorceler avec plaisir.

« T’es vraiment une fille bien. J’aurais peur de te faire tomber avec moi parce que tu mérites pas de rester avec une ordure comme moi. Comment ça se fait que personne d’autre n’ait remarqué ta richesse de cœur ? Ils sont tous aveugles ou.. ? » S’ils sont assez aveugles pour se laisser berner par un loser aux cheveux bleus, il ne faut pas attendre d’eux de remarquer la bonté de Sun. D’un côté, tant mieux. Liev aurait détesté avoir à la partager.

Spoiler:

Le baiser de Sunshine fit immédiatement son effet. Perturbé, le pauvre Liev recula comme s’il eut attrapé la peste ou ou n’importe quelle maladie contagieuse, en tout cas c’était de cette manière que la blonde l’interprêta. Dans un étrange contraste entre le rouge et le bleu de ses cheveux, le fils de Borée avait le visage cramoisi. Vraisemblement, ce baiser avait l’effet d’une bombe qui ravageait tout le corps du garçon. Cependant, même si manifestement il n’en était pas indifférent, elle avait peur du fait qu’il pourrait l’imaginer comme une déclaration d’amour un peu trop directe et qu’il pourrait lui mettre un râteau. Alors sa réaction était mauvais signe pour elle, reculer de cette manière ne témoignait rien de bon, elle sentait qu’il allait se refuser à elle et à l’amour. Son visage passa du rouge pivoine au blanc cassé, comme si elle redoutait de ce qu’il allait répondre. Non, elle ne voulait pas de son refus, elle ne voulait pas l’écouter. Dès qu’il allait prononcer, elle prendrait ses jambes à son cou et partirait plus vite qu’un guépard pour se cacher dans son bungalow et ne plus y ressortir. Malheureusement, sa conscience la clouaient sur place, en l’attente de la réponse de Liev. “Hum… Ecoute Sun… J’apprécie beaucoup l’attention que tu me portes et… T’es vraiment une fille géniale, t’es même la fille la plus géniale que j’ai pu rencontrer ici ou ailleurs… Je le pense vraiment.”. Ahah, ce début de discours était typique du gars qui allait se défiler. Sunshine imaginait déjà la suite de son petit monologue de merde: non, il ne voulait pas sortir avec elle du coup il refusait son aide évidemment, Sunshine était une fille bien mais qui correspondait aux goûts de monsieur ou bien Sunshine méritait mieux.

La fille d’Apollon se mordit nerveusement les lèvres. Elle ne pouvait expliquer son geste: était-ce de la honte, de la nervosité, de la colère ? Elle ne le savait pas. Elle retenait ses larmes de peur de passer pour une sainte nitouche et écoutait la suite de sa sentance: “Mais… Tu veux vraiment m’aider ? Je veux dire, regarde-moi… Tu vois bien à quel point je suis pitoyable. Même moi je peux pas supporter mon propre reflet dans le miroir. T’as vraiment envie d’aider ça ?”. L’infirmière n’en revenait pas. Il avait complètement ignoré son baiser finalement… Donc, toute cette agitation, n’était encore qu’une remise en question sur sa petite personne ? Elle évitait de croiser son regard de peur de connaître ses véritables pensées. Les yeux fixés sur ses pompes depuis le début de son petit discours, elle avait tenté de retenir ses émotions et ses pulsions, elle ne voulait pas examiner la conscience de Liev.

Mais quel tête de bois ! Il ne comprendra jamais que Sunshine n’en avait rien à foutre de ce qu’il pensait de lui ? Elle, l’aimait comme il était ! Ce n’était pas suffisant ?! Il avait beau joué les hyprocrites, connaître la véritable histoire de Liev l’avait touché et même en lui disant ouvertement il passait outre ! La blonde allait dire le fond de ses pensées, comme quoi elle en avait marre de lui et qu’il faisait ce qu’il voulait, mais le jeune répliqua: “T’es vraiment une fille bien. J’aurais peur de te faire tomber avec moi parce que tu mérites pas de rester avec une ordure comme moi. Comment ça se fait que personne d’autre n’ait remarqué ta richesse de cœur ? Ils sont tous aveugles ou.. ?”. Sunshine se détendit… Elle prit le courage de lever les yeux sur lui et elle vit à nouveau la face perturbée de son camarade. Elle était heureuse d’avoir entendu ces dernière phrases et se débarrasser de toute sa colère.


“Oh Liev… En disant ces mots, tu ne peux pas nier le fait que tu es quelqu’un de bien… Ça me touche.” Elle se rapprocha de lui et le regarda dans les yeux, sans essayer de capter ses pensées. “Je ne vais pas me mettre à genou pour te le demander mais s’il te plaît, accepte mon aide, tu me rendrais vraiment heureuse si tu disais oui… Puis arrête de dire que t’es un gros nul, tu sais très bien que j’en ai rien à foutre.” Sunshine posa ses mains sur son torse et rapprocha son visage du sien puis déposa un baiser sur ses lèvres, encore chaudes de ses émotions.

Bien entendu, Liev ne pouvait se concentrer que sur sa petite personne et ses mille et un problèmes – comment pouvait-on espérer de lui qu’il voie plus loin que le bout de son nez ? S’il était complètement critique envers lui-même, il était en revanche incapable d’admettre son incapacité à prendre du recul, que ça le concerne ou non. Mais même sans prendre du recul, il pouvait admettre une chose : l’attitude de Sun le touchait, elle le touchait même bien plus que ce qu’il avait imaginé. Si la plupart de leurs échanges jusque-là s’étaient résumés à de brefs échanges de regards timides, cette discussion avait complètement changé leur relation. S’il avait du mal à admettre l’effet qu’elle lui faisait à chaque fois que leurs regards se croisaient, c’était encore plus dur pour lui de se rendre compte que c’était bien plus. Que ce qu’il avait identifié comme une simple attirance qui finirait par passer avant grandi démesurément dans son cœur sans qu’il ne parvienne à le contrôler.

Il aimait Sun.

Et peut-être était-ce la raison principale de son comportement de lâche. Parce que parmi tous ces gens, c’était celle dont il craignait le plus qu’elle puisse le rejeter si elle le perçait à jour. Voilà pourquoi il avait tant paniqué quand il s’était rendu compte qu’elle avait eu cette vision – voilà pourquoi il n’avait cessé de la questionner et de la repousser, de façon totalement démesurée. Il ne pouvait supporter l’idée qu’elle puisse lui tourner le dos. Et maintenant qu’elle lui affirmait le contraire, et bien… Et bien, que faire ? Il n’avait jamais envisagé cette possibilité. Trop occupé à contempler ses propres problèmes, il n’avait jamais imaginé qu’elle puisse actuellement l’accepter.

« Oh Liev… En disant ces mots, tu ne peux pas nier le fait que tu es quelqu’un de bien… Ça me touche. » Pas autant qu’elle parvenait à le toucher, elle. Il lui adressa un sourire penaud tout en sachant pertinemment que ça ne rattrapait pas son comportement totalement lâche de tout à l’heure. « Je ne vais pas me mettre à genou pour te le demander mais s’il te plaît, accepte mon aide, tu me rendrais vraiment heureuse si tu disais oui… Puis arrête de dire que t’es un gros nul, tu sais très bien que j’en ai rien à foutre. » Elle s’était rapprochée en disant ces mots sans que Liev ne parvienne à déceler ses intentions. Il s’était déjà suffisamment senti gâté quand ses lèvres avaient effleuré sa joue – pouvait-il espérer plus ? Elle posa ses mains sur son torse et approcha son visage du sien. Le temps sembla soudainement s’arrêter, complètement suspendu. Liev ne se demanda même pas si la température de son corps était suffisamment élevée ou s’il devait faire attention. Il arrêta de se poser toutes ces questions et joint ses lèvres aux siennes. À cet idiot qui un jour a décrété que le chaud et le froid était un affreux mélange : il s’était complètement trompé.

« Sun… » Murmura-t-il après ce qui lui sembla être une éternité, son visage entre ses mains. « Merci. » Un sourire étira le coin de ses lèvres, pour une fois sincère. « Je me suis comporté comme un lâche depuis que je suis arrivé ici. J’ai fui tous mes problèmes en pensant que ça serait la bonne solution, parce que… Parce que j’ai trop peur de faire autre chose, de prendre le moindre risque. Et même ça j’avais peur de l’admettre jusqu’à maintenant. Merci. Merci pour tout. » Lui souffla-t-il.