Cette nuit là, il y eu un bruit. Un seul, et cela suffit à réveiller la prudence de Blanche. C'était peut-être rien, mais aucun animal qu'elle connaissait ne faisait un bruit similaire. Ce n'était pas un cri, pas des pas... La chasseresse se demanda si ce n'était pas plus que cela.
Le soleil était haut dans le ciel, et malgré l'épais feuillage d'été, elle sentait ses rayons réchauffer ses bras nus. L'arc bandé, elle avança vers l'endroit d'où il provenait. Lorsqu'elle vit la biche, elle se détendit instantanément. Puis elle remarqua le sang. La belle bête était prise dans un piège. Qui avait osé blesser un animal aussi beau, aussi gracieux ? Blanche sentit la rage bouillonner dans ses veines. La forêt avait été son refuge lorsqu'elle avait fuit la première fois. Celle qui avait tout déterminé, celle où l'impossibilité de se marier l'avait guidée le plus loin possible du château.
Elle se souvenait de l'équidé qui l'avait portée jusqu'à son destin, mort depuis bien longtemps, désormais. C'étaient les loups qui s'en étaient chargé. Des loups, à l'époque, il y en avait partout. La chasse les avait exterminés les uns après les autres, au point qu'il m'en reste presque plus. La princesse n'était pas rancunière. Du moins pas toujours. Elle se souvenait surtout de l’événement comme la tristesse d'avoir perdu un allié si ce n'est un ami, le dégoût que lui avaient procuré les prédateurs à manger la chair sanglante, encore chaude, ou la peur d'en être le prochain repas. Mais la chasse massive avait eu raison d'eux. Cette même peur avait agi sur les Hommes, les rendant dangereux, agressifs. Chacun à le droit de se défendre. Chacun peut tuer pour manger, c'est légitime. Mais généralement, les animaux sont innocents, ce ne sont que des loisirs.
Son père, le roi de Bourgondie, aimait chasser. Il avait enseigné ce sport à ses fils. Blanche également chassait. Mais les règles étaient toutes autres. Elle éliminait les véritables créatures dangereuses – garçons exclus, restons civilisés – ou se procurait ainsi de la nourriture, en quantité suffisante mais sans jamais dépasser le nécessaire. Elle n'aimait pas infliger la mort. Cela la répugnait. Mais elle n'hésitait pas. Dame Artémis comptait sur elle. La Déesse l'avait sortit de sa tentative de survie lorsqu'elle s'est retrouvée seule. Désormais, elle devait faire de son mieux, aider les dieux à purifier le monde de ceux qui menaçait leur descendance semi-mortelle. Alors elle chassait. Elle chassait pour honorer ses dettes.
La biche ne se débattait plus. Blanche pensa qu'elle était tombée dans l'inconscience, cela aurait été préférable pour elle. Mais non, elle attendait simplement désespérément de l'aide. L'immortelle sentit les larmes salées couler sur ses joues, jusque dans son cou. Elle chuchotait pour calmer l'animal autant que pour elle-même. Elle murmurait des phrases rassurantes, des mots d'une grande douceur, tendit qu'elle s'efforçait de la libérer. « Ne bouge pas », disait-elle entre deux sanglots. Une fois sa besogne terminée, elle décala la biche sur le côté. Celle-ci voulu se relever, mais elle s’effondra au sol. Alors la chasseresse recommença à murmurer. Elle passa la main au-dessus de la plaie et demanda au Feu d'en sortir sans brûler. Alors le Feu vint à elle, diffusant sa chaleur très atténuée. Une chaleur qui agissait comme un anesthésiant.
La chaleur, c'est magique.
Elle peut faire souffrir et calmer les souffrances.
Elle peut flamboyer, éclairer, ou ne diffuser que des infrarouges, rester invisible.
Elle peut apaiser le petit qui se blottis contre sa mère.
Elle peut effrayer, signe de feu.
Elle peut être flamme, elle peut être fumée.
Elle peut être charbon, elle peut être soleil.
Elle peut être désirée en plein hiver.
Elle peut être canicule de l'été.
Elle peut être beaucoup de choses, tout en ne restant que chaleur. Peu s'en aperçoive, mais Blanche l'a comprit, elle. Cela limitera la douleur sur l'instant, mais il ne fallait pas s'arrêter là. Elle remarqua du basilic non loin, arracha quelques feuilles et en extrait le jus, appliqué sur la chaire déchirée. La plante est réputée pour favoriser la cicatrisation et lutter contre les bactéries.
Ainsi satisfaite de son travail, la princesse entendit enfin la présence d'un nouvel individu. Elle pria les dieux qu'il ne s'agisse pas d'une autre victime innocente des chasseurs. Ou les chasseurs eux-même, car en ce moment elle sentait que le meurtre humain la laisserait indifférente. La demi-déesse intima à son cœur de ralentir, à sa respiration de redevenir habituelle, à ses larmes de cesser, puis elle leva la tête et demanda d'une voix peu assurée :
- Qu... Qui est là ?