La jalousie est un vilain défaut et Dionysos est bien placé pour le savoir. Elle est sa plus fidèle compagne, celle qui le hante à toute heure du jour et de la nuit. Il jalouse les autres dieux, les demi-dieux et surtout les mortels. Il déteste n'être qu'un demi-dieu rendu divin, il déteste se sentir à ce point insulté dés qu'un autre dieu parle de lui. Dionysos sait qu'il n'est pas considéré à sa juste valeur et qu'il est sans doute le sujet de nombreuses moqueries. Le dieu du vin, l'alcoolique... Certains dieux mineurs dont il ne connaît même pas le nom ne sont pas tendres. Et les rumeurs vont vite, même chez les divinités. Il aimerait n'avoir été qu'un demi-dieu éphémère qui aurait grandi avec sa mère, qui aurait été prince. Ça aurait été une existence brève et facile. Dionysos sait que la seule chose pour laquelle on lui concède volontiers avoir du talent, ce sont ses fêtes, ses animations. C'est un dieu en apparence extraverti que voilà, un dieu qui ne réfléchit pas et qui agit, un dieu de toutes les couleurs. Mais sous ces apparences de moquerie et de je-m'en-foustime, Dionysos est timide. Timide et triste, timide et jaloux. Une jalousie discrète. Il ne prend pas grand chose au sérieux excepté sa propre personne qu'il fait d'ailleurs toujours passer avant tout le reste.

S'il se plaît à prendre une apparence vaguement rebutante à la Colonie histoire d'avoir la paix et de pouvoir ruminer sa colère dans un coin, Dionysos est pourtant quelqu'un d'assez correct, quoi que peut-être un peu excentrique sur les bords. Des yeux clairs entre le bleu et le vert, des cheveux châtain et un visage généralement surpris, Dionysos a tendance à détonner parmi les expressions sérieuses et austères de l'Olympe. Il a une passion certaine pour les chemises et la cravates et il se plaît à choisir ces dernières avec les motifs les plus improbables qui soient. Le petit dieu aime aussi s'essayer à porter des lunettes de soleil de tous les styles, même s'il affiche une claire préférence pour le rétro.

Cher Journal,

je ne sais même pas pourquoi j'écris sur tes feuilles. Je suis un dieu, à ce qu'il paraît, et je devrais me comporter comme tel. Sauf que voilà, c'est une chose que j'ai toujours détestée. Ou adorée, je ne sais pas trop. Il est parfois bon de se sentir supérieur aux mortels et aux demi-dieux en sachant qu'on en a un jour fait partie. Le reste du temps, c'est simplement insupportable. Mais je devrais commencer par le commencement, afin que tu saches de quoi je parle. Ma mère était une mortelle, fille de roi, mais Zeus s'éprit d'elle et la rendit grosse. Alors qu'elle était enceinte, elle fut tuée et ce fut finalement Zeus qui me donna naissance. Je n'entrerai pas dans les détails, ceux-ci sont assez sales et je préfère garder une image à peu près classe de ma personne. Et oui, je sais, c'est déjà bien compliqué. Mais je m'égare. Je passai mon enfance avec ma tante, la colère d'Héra me poursuivant encore au fil des jours.

A l'adolescence, je ramenai ma mère du royaume des Enfers. Elle est aujourd'hui une immortelle. Je ne la croise que rarement et nous ne nous connaissons pas mais elle me considère comme étant un dieu à part, différent. Je sais pourquoi : je ne suis pas un dieu. Je ne le serais jamais vraiment puisque je ne suis pas né ainsi.

Les hommes m'ont donné de nombreux attributs et m'ont sacré dieu de bien des choses mais très peu font ma fierté. Je suis heureux d'avoir offert le vin à l'Homme et de lui avoir permis d'apprendre à s'amuser, de leur donner le sens de la fête, mais je ne revendique rien d'autre. L'arborescence est une belle chose et j'ai certes la main verte mais je ne suis pas exactement la divinité du jardinage. Et maintenant, je suis coincé à la Colonie des Sangs-mêlés où je suis condamné à les voir s'entraîner puis mourir – pour la plupart – en buvant du Coca-Cola. Les dieux sont cruels avec les demi-dieux mais ils le sont encore plus entre eux. Et je me demande si je les apprécie vraiment.