Depuis que Cyril était revenu avec Pandore de son excursion pour avoir une nouvelle main, il était... changé. Plus apaisé. Ou du moins en apparence, car s'il ne souffrait plus, une autre angoisse l'avait pris : et s'il se trompait ? Et s'il n'empruntait pas la bonne voie ? Non, voyons, c'est ridicule, pour vivre heureux il fallait se défaire de l'emprise des dieux sur leurs vies...

Seulement... C'était plus compliqué que ça. Quand Matthew a été ramené du Brésil, Cyril en avait vraiment été heureux. Car il se l'avouait désormais, la Résistance était sa nouvelle famille et il ferait n'importe quoi pour la conserver. Mais des fois, il fallait sortir de sa zone de confort et voir ce dont les Résistants pouvaient être capables. Et c'était ce qu'avait fait Cyril, bien qu'il y répugnait, en envoyant Dylan, un fils de Déméter lui aussi qui l'avait littéralement harcelé pour qu'il aille en mission. Et l'ex-inspecteur avait fini par l'envoyer en mission de reconnaissance, en insistant sur le fait qu'il ne fallait pas se faire repérer et tout et tout, mais bon... Le garçon ne tenait décidément pas en place, donc s'il ne revenait pas, Cyril pourrait toujours se dire qu'il l'avait prévenu.

Mais c'était sans compter Matthew, qui pénétra dans son bureau sans prendre la peine de frapper et qui lui cria :

Tu as envoyé Dylan sur le terrain ?! C’est qu’un gamin !

Alors d'une, tu baisses d'un ton, de deux, c'est lui qui a insisté, de trois c'est normalement une simple mission de reconnaissance, répliqua Cyril en fronçant les sourcils. S'il se fait tuer, c'est qu'il était un élément dispensable, c'est pas faute de l'avoir prévenu.

Il avait répondu avec froideur ; cela faisait un moment, depuis le retour de Matthew en fait, que celui-ci était continuellement de mauvaise humeur, et sa situation compliquée avec Pandore n'arrangeait guère la situation. Ce que Cyril aurait pu comprendre, après tout, mais de là à se faire remonter les bretelles pour si peu...

Cyril se prépara à subir la colère latente de Matthew, qui souffla par le nez avant de répliquer :

Ah ouais ? Envoyer des gamins en missions pour une cause qu’ils n’embrassent même pas totalement ça ne te rappelle rien ? Les envoyer crever à notre place, ça ne te rappelle rien ?!

L'ex-inspecteur, gardant son calme, resta parfaitement immobile alors que Matthew avançait doucement, les poings serrés, sa colère grandissant de plus en plus :

Parce que plus on avance dans cette foutue guerre, plus je me dis qu’on ne vaut pas mieux que les dieux !

Tu sais combien j’ai tué de gamins ? A la base, c’était pas mon objectif tu sais ! Tuer des gosses ! Je comprends que tu n’as pas le choix mais merde Cyril ! On veut détruire les dieux ! Pas tuer des mômes !

Cyril encaissa le tout en gardant un calme olympien, attendant que Matthew ait terminé pour asseoir son autorité :

Ça suffit ! Je veux bien être patient et mettre ta mauvaise humeur sur le compte de ta situation compliquée avec Pandore, mais tu n'as pas à hausser le ton devant ton supérieur !

Il s'était instinctivement levé en frappant de son poing métallique sur la table de son bureau, lui faisant pousser un bref cri de douleur avant de se rasseoir en se tenant le bras et grimaçant pour ne pas montrer sa souffrance ; on lui avait dit de faire gaffe les premiers jours pourtant... Respirant profondément, à la fois pour se calmer et pour tenter de faire passer la douleur, il souffla :

Désolé... Je propose que tu t'installes et que tu me dises tranquillement ce que tu as sur le cœur. Je suis ouvert à la critique, à condition que tu ne hausses pas le ton...

Effectivement, nous ne sommes pas censés tuer des gosses. Je suis le premier à le penser, mais des fois... il faut savoir oser sortir de sa zone de confort et prendre des risques, avec les précautions nécessaires.

Il se cala dans son fauteuil et ferma les yeux en gardant son bras droit parfaitement immobile le temps que la douleur passe, gardant une oreille attentive pour Matthew. En espérant qu'il ne s'énerve pas davantage.

La réponse de Matthew fut sèche et cassante, mais moins agressive quand même que quelques instants plus tôt :

Tu as tort. Tuer des gamins, ce n’est pas ce que j’appelle sortir de ma zone de confort. Parce que c’est facile. Infiniment plus facile que de s’attaquer au véritable problème. A savoir les dieux. Tu peux mettre mes reproches sur le compte de ma mauvaise humeur si tu le veux, mais n’insinues pas que je ne sais pas faire la différence entre mes problèmes personnels et la Résistance. Pandore n’a rien avoir là-dedans. Et c’est à mon supérieur que je m’adresse, pas à mon psy.

Bon. D'accord. Là il y avait un point pour Matthew. Si Cyril était en train de mélanger la Résistance et les problèmes personnels d'icelui, c'était qu'il était temps de se remettre en question. Mais... Est-ce qu'il voulait se remettre en question genre là maintenant tout de suite ? Pas vraiment, il était plutôt concentré sur son bras qui lui faisait un mal de chien pour être honnête. Mais les paroles de Matthew ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd, même si Cyril ne le montrait pas.

L'ex-inspecteur poussa un soupir légèrement agacé, comme si son ego montrait qu'il avait été touché :

Tu crois vraiment que je veux tuer des gosses ? Est-ce que tu crois sincèrement que ça me fait plaisir de les envoyer au front ? Est-ce que tu as conscience de la connerie que tu me balances à la tronche ?! EST-CE QUE TU AS CONSCIENCE DU TEMPS ET DE L'ENERGIE QUE JE DONNE POUR QUE CETTE RESISTANCE TOURNE A PEU PRES ROND ?! EST-CE QUE TU AS CONSCIENCE QUE J'AI UN PEU DE MAL A TOUT GERER EN CE MOMENT ?!

Au fur et à mesure qu'il parlait, Cyril laissait éclater sa colère, au point de se relever en s'appuyant sur son bras métallique et cette fois sans prêter attention à la douleur qui le reprenait. Sans se faire la moindre illusion concernant Matthew, il espérait quand même faire passer le message "je sais que je fais des conneries mais pour l'instant pas le choix"...

Totalement sourd à la souffrance qui irradiait dans son bras, Cyril fixa Matthew, le souffle court après lui avoir littéralement hurlé dessus. Comme si, finalement, tout ce qu'il avait accumulé jusqu'à maintenant avait décidé de sortir sans prévenir ; et bon sang que ça faisait du bien... Même si Cyril regretta après, il resta parfaitement immobile alors que Matthew répondait doucement :

Bien sûr que j’en ai conscience.

Le jeune homme se leva pour faire face à Cyril avant de reprendre :

Cyril, c’est toi qui t’obstines à tout gérer seul. On est tous là, pour toi. Pour faire tourner cette Résistance à peu près rond. Tu es un bon chef, et ça, tout le monde te le dira. Et tu as le droit d’avoir d’autres soucis que la Résistance.

Il désigna son bras avant de conclure, alors que Cyril se détendait et recommençait à sentir la douleur dans son bras :

Mais, malgré tout, je pense que… Qu’on est en train de perdre notre objectif de vue… Toi et Aldric avez créé la Résistance pour rendre le monde meilleur. Et, honnêtement, je crois que nous sommes en train de devenir des machines à tuer, avec des nouveaux membres qui n’ont même plus la conviction. Qui ne sont là que parce que ça les amuse.

Dans le fond... tu dois avoir raison, souffla Cyril en se rasseyant dans son fauteuil et tenant son bras, en se notant dans un coin de la tête qu'il faudrait qu'il aille faire un tour à l'infirmerie quand ce serait fini. Comment y remédier, dans ce cas ? Si tu as fait le constat, tu dois avoir une idée derrière la tête quand même...

Il y avait encore une pointe d'amertume dans la voix de Cyril ; il avait fallu qu'il perde son sang-froid pour se rendre enfin compte qu'il allait dans le mur, en inversant la situation à l'avantage de Matthew. Même s'il l'aimait vraiment, il avait quand même un certain ego...

Là, il ne le montrait pas, mais Cyril avait du mal à rester de marbre avec la douleur qui irradiait dans son bras. Aussi se concentra-t-il sur la voix et les yeux de Matthew qui lança :

Il faut revoir à la hausse les conditions d’entrée à la Résistance. Je sais qu’on manque d’effectif, mais si nos combattants ne sont pas entièrement dévoués à la cause, s’ils n’y croient pas sincèrement, alors les intégrer nous rendrait aussi horribles que les dieux qui envoient des gamins combattre pour eux. Il nous faut des soldats qui en veulent et pour qui mourir dans cette guerre serait une belle mort.

Effectivement. Matthew avait raison, il valait mieux se concentrer sur ceux qui étaient là pour la cause et pas juste la castagne, comme Dylan par exemple. Cependant, Cyril ne perdait pas une miette de la réflexion de Matthew, qui continuait :

Ensuite, il faut penser au long terme. Pour l’instant, l’image qu’on dégage, c’est celle des méchants. Et si on gagne la guerre, les gens nous considérerons comme les méchants qui ont détruit leurs vies. Il faut que toutes ces personnes comprennent que nous sommes des révolutionnaires et que l’on compte réellement rendre leurs vies meilleures. Sinon, il y aura des soulèvements, des rebellions, et ce ne sera jamais finis. Et on ne peut pas dégager cette image en tuant des gamins.

Je pense qu’il faut parler. Parler avec la Colonie au lieu de toujours se battre avec eux. Je suis persuadé que certains d’entre eux comprennent notre point de vue comme moi, je comprends le leur. Il faut qu’on leur laisse le choix. Leur dire qu’ils ne sont pas obligés de prendre part à une guerre qui ne les concernent pas. Nous voulons détruire l’Olympe pas la Colonie. Je sais que c’est naïf de ma part de croire que la discussion peut améliorer les choses, mais qu’est-ce que ça nous coûte d’essayer ?

La dernière partie surprit Cyril, qui en oublia momentanément sa douleur : parler à la Colonie... Alors d'une, ça ne plairait pas à tout le monde, et de deux, comment dire... Le fait d'aller parler avec l'ennemi pourrait aussi mal passer auprès de la Colonie.

Il resta muet quelques instants, le temps de réfléchir, avant de souffler :

Autant la première partie je te suis, sur le fait de se concentrer sur ceux qui sont là pour la cause... Autant la deuxième partie, ça va être compliqué. D'une, parce que tout le monde ne comprendrait pas, et de deux la Colonie elle-même n'y croirait pas...

Il s'affaissa dans son fauteuil et soupira :

Je crois qu'effectivement on est coincés... A moins que j'aille à la Colonie pour tenter de parlementer, mais même là j'ai du mal à croire qu'ils l'accepteraient. Ils demanderont probablement quelque chose en retour, pour effacer l'ardoise...

C'était l'impasse. Il fallait en sortir cependant, et vite, pour atteindre plus facilement l'objectif ultime : vivre une vie normale...

Cyril savait que Matthew faisait preuve de bonne foi en lui parlant de ses doutes, aussi n'avait-il plus l'intention de s'énerver après lui ; de toute façon, il était complètement inutile de tenter de discuter si les deux parties s'engueulent. La douleur de son bras avait fait place à la douleur de voir un membre de sa "famille" complètement désemparé face à la situation compliquée qui leur faisait face, et il posa un regard un peu triste sur Matthew lorsqu'il lui lança :

Alors quoi ? C’est foutu ? On continue les massacres ? Parce que moi, je ne vois pas de solutions ! Au rythme où ça va, on sera mort avant d’avoir fait quoique ce soit de bien pour ce monde de merde !

L'ex-inspecteur se doutait que Matthew n'avait pas fini de vider son sac, aussi resta-t-il muet pour le laisser continuer, cette fois plus doucement :

Est-ce que tu crois qu’on a bien fait de commencer cette guerre ? Je veux dire… je suis toujours convaincu que les dieux doivent mourir pour le bien de tous mais… si on perd, alors des vies innocentes auront été sacrifiées en vain… Partout, les gens nous assimilent aux méchants… ils nous comparent aux Titans, à Luke Castellan… Est-ce que tu penses qu’ils ont raison ?

Non, Matthew. Ce n'est pas foutu, répondit Cyril en passant de l'autre côté du bureau pour se mettre à la hauteur du jeune homme assis sur une chaise. Oui, j'ai fait une connerie en vous lançant dans une guerre dont je ne voyais pas l'issue, mais je pense qu'il y a moyen de perdre cette image de tueurs qui nous collent à la peau. Arrêtons les massacres, dans nos rangs comme dans les leurs, sans pour autant disparaître de la circulation. Nous nous concentrerons désormais sur l'Olympe, la Colonie se soumettra d'elle-même si nous sommes plus intelligents qu'eux et leurs maîtres.

Il en revenait pas de ce qu'il disait, mais au fond, il y croyait : il y avait sûrement moyen de marquer les esprits, mais de manière "pacifique". Il se redressa et reprit doucement :

Gardons la machine, elle peut toujours nous servir. Mais en attendant, si on n'abandonne pas le combat, on doit tous apprendre à se faire le plus discret possible, en attendant de trouver une solution viable.

Matthew releva les yeux vers Cyril et souffla :

Tu as sûrement raison.

L'ex-inspecteur, croisant les bras, sourit franchement alors que Matthew reprenait :

Excuse-moi, j’aurais pas dû hausser le ton, je suis sur les nerfs… Bon, tu sais très bien que si tu as besoin d’aide, je suis là.

Pas de souci, on est tous à cran en ce moment, j'aurais pas dû non plus hausser la voix, répondit Cyril en gardant son sourire. Et t'inquiète, je sais, merci. La réciproque marche aussi.

Il jeta un coup d’œil à sa montre avant de reprendre :

Bon, je propose qu'on organise une réunion avec tout l'état-major pour discuter de ça tous ensemble, de manière calme et posée. Et quand tu seras plus tranquille, il faudra que tu me fasse un débriefing de ton voyage au Brésil, d'accord ?

Il sourit de nouveau avant de ressentir une nouvelle douleur dans son bras droit, le poussant à repasser derrière son bureau pour attraper le produit qui était censé calmer la douleur. Censé, car jusqu'à maintenant Cyril avait tout fait pour ne pas se blesser inutilement, mais la colère ne se maîtrise pas aussi aisément qu'on ne pourrait le penser. Grimaçant et serrant les dents, il appliqua le produit avant de lancer à Matthew :

Allez, je te libère. Va prendre l'air un peu, rester enfermé n'aide pas à rester calme... En fait, on devrait tous sortir de temps en temps, ça nous ferait le plus grand bien. Qu'elle le veuille ou non, on ne restera pas indéfiniment cachés.

D'ailleurs, il serait temps de donner une existence légale et juridique à la Résistance, puisqu'ils ne reconnaissaient pas la loi des Dieux, autant reconnaître celle des Hommes... Plus qu'à prendre rendez-vous avec la mairie pour en discuter, et si possible rapidement.