C'était il y a maintenant une quinzaine d'années auparavant. Je me souvenais encore de la petite robe de nuit pour enfant que je portais. Le grincement de la porte d'entrée de la boutique paternelle était venue briser le silence de cette chaude nuit d'été. Une nuit telle que nous les connaissions en Californie. Le calme était alors revenu comme il était parti, jusqu'à ce que des voix d'hommes s'élèvent. Intriguée par l'ampleur croissante de leur discussion, je m'étais décidée à descendre le plus silencieusement possible les escaliers menant jusqu'au magasin. Au fur et à mesure que je descendais les marches, je parvenais à mieux distinguer les deux voix. La première était sans aucun doute celle de mon père. La seconde m'était totalement inconnue. Et c'était en restant cachée dans la cage d'escalier que j'assistai au deuxième drame de ma vie, le premier étant le départ de mon meilleur ami, Cal, à l'autre bout du pays. Je vis la pointe de la lame de l'étranger se percer un chemin dans le dos de mon père, telle un dard qui sortait de sous la peau. Et lorsqu'elle retourna dans les ténèbres des entrailles, mon père s'effondra, me laissant ainsi orpheline. A l'époque, cette vision d'horreur qu'offrait la mort me terrifiait. Aujourd'hui, elle constitue mon quotidien.
Cela faisait maintenant un long moment que j'avais pris les services d'un détective pour m'aider à retrouver la trace du meurtrier, mais également de son commanditaire. Tout ce que je voulais, c'était obtenir les noms et les adresses. Je ne voulais pas que la police et la justice s'en mêlent. Je souhaitais mettre en application ma propre justice. Et la sentence que j'avais établie était irrévocable : la peine de mort. Je m'étais jurée qu'un jour, je ferai payer à ces moins que rien leur geste à l'encontre de la seule famille que je possédais.
Ce soir-là, j'avais justement rendez-vous avec ce détective, Alejandro Dun. Nous nous étions déjà rencontrés à de multiples reprises afin que nous puissions plus facilement discuter de ce qu'il avait trouvé suite à ses recherches. J'avais déjà réalisé quelques tentatives en usant des mes talents de pirate, mais sans succès. Peut-être que cet homme que je recherchais tant était déjà trop vieux à l'époque que pour s'intéresser à la croissance de l'informatique, ce qui expliquerait pourquoi je ne retrouvais aucune information sur lui. Et c'est pour cette raison que j'avais besoin d'engager quelqu'un pour m'aider, une personne capable d'enquêter sans les technologies de nos jours.
J'étais arrivée environ une dizaine de minutes à l'avance à notre point de rendez-vous. Un petit restaurant japonais. Je ne l'avais pas spécialement choisi pour la qualité de sa nourriture, mais plutôt pour les quelques avantages particulièrement intéressant qu'il nous offrait. En effet, d'une part, les tables étaient relativement espacées les unes des autres, et nous serions ainsi facilement à l'abri des oreilles indiscrètes et, d'autre part, les serveurs s'avéraient particulièrement discrets et respectueux de la vie privée, tout comme leurs compatriotes du pays du Soleil-Levant. Il n'y avait donc aucun risque que quelqu'un écoute ou puisse entendre, par inadvertance, la teneur de nos discussions.
Lorsque je fis irruption à l'intérieur du bâtiment, je fus accueillie par une jeune femme qui me demanda ensuite si j'avais effectué une réservation ou non et, comme ce fut le cas, elle me demanda à quel nom. Finalement, elle me conduisit à une table située à proximité d'une fenêtre donnant sur un magnifique jardin japonais faiblement éclairé par quelques lanternes dispersées par-ci par-là. Dans le clair-obscur, je parvenais à distinguer la petite statue de Bouddha ainsi que les deux pierres représentant une tortue et une grue, symboles nippons de la longévité et du bonheur, situées de part et d'autre d'un petit cours d'eau. Comme de tradition, cet espace était rempli d'une symbolique, une image miniature du monde. Les déserts, les océans, les forêts. Toute la nature s'y retrouvait représentée d'une manière ou d'une autre, que ce soit à l'aide d'une petite étendue de sable ou d'un rideau de bambous. Décidément, les japonais avaient une culture particulièrement intéressante.
Profitant du reflet que m'offrait la parois de verre, je réajustais ma coiffure, quelque peu ébouriffée par le vent qui soufflait à l'extérieur. Bien entendu, ce n'était qu'un rendez-vous professionnel, mais cela ne représentait nullement un frein à mon envie de me sentir un minimum désirable. J'avais opté, comme à mon habitude, pour une
robe noire, peu moulante et sans décolleté. Toutefois, j'estimais que son côté quelque peu transparent me mettait un relativement bien à mon avantage, sans être toutefois aussi vulgaire qu'avec un décolleté particulièrement profond ou qu'une robe descendant à peine plus bas que mes fesses.
Il ne me restait plus qu'à attendre patiemment le journaliste, plutôt séduisant il fallait l'admettre, qu'était mon cher détective, Alejandro...