Thérapéia tendit la main vers un livre et jura à mi-voix quand elle se rendit compte qu’il lui manquait quelques centimètres pour attendre son but. Au lieu de tenter le diable, elle se rassit correctement dans son fauteuil roulant à fausses jambes et entreprit de faire un demi-tour prudent pour aller à la recherche de la bibliothécaire.

Elle aimait beaucoup cette bibliothèque, elle était assez petite mais tout de même bien fournie, suffisamment à son goût en tout cas. En fait, le seul désavantage qu’elle lui trouvait c’était qu’elle ne pouvait entrer sous sa forme naturelle de centaure. Le fauteuil roulant compressait son corps de manière parfaitement désagréable.

Thérapéia trouva la bibliothécaire et lui offrit son regard sérieux avec une phrase de politesse auxquels étaient si attachés les humains. La bibliothécaire s’empressa de venir l’aider et Thérapéia laissa filer une plaisanterie pour détendre l’atmosphère. Les fauteuils roulants rendaient les gens si prévenants que cela en devenait gênant si elle n’y remédiait pas d’elle-même. La conversation avec la bibliothécaire fut courte mais amusante, une agréable distraction avant qu’elle ne continue ses recherches pour sa cousine. Celle-ci ne savait pas se comporter dans la vie humaine aussi c’était Thérapéia qui était chargée de la plupart de ses affaires dans la ville. Ça ne la dérangeait pas tant que ça, elle aimait le contact avec les humains. Le plus compliqué avait été de se trouver des papiers humains. Elle ne se rappelait même plus du nom de famille qu’elle avait donnée au mortel qui s’en était chargé.

Elle sortit de la bibliothèque avec un carnet de note rempli une heure et demi plus tard, la tête trop remplie et les batteries à plat. Une journée de recherches, ça vidait. Mais pour une fois que sa cousine semblait s’intéresser à quelque chose d’humain elle n’allait pas se plaindre. C’était suffisamment rare pour être noté et Thérapéia était curieuse de savoir ce qui avait déclenché ce soudain intérêt pour la technologie.  

La centaure força sur ses bras jusqu’à la sortie de la ville où elle entra dans la forêt qui la bordait. Avec un murmure de remerciement aux dieux, elle sortit la partie inférieure de son corps de cette boîte de métal et s’étira les pattes pour les dégourdir un peu. Elle prit le fauteuil dans ses bras et s’enfonça dans la forêt au petit trot, heureuse de pouvoir gambader dans la forêt après avoir passé une journée dans la boîte.

Elle arriva là où l’attendait sa cousine en quelques minutes, peu pressée, et la trouva impatiente. Thérapéia haussa un sourcil, intriguée. Vraiment, cet intérêt vif et soudain était très étrange. Thérophonè la salua rapidement avant de presque lui arracher des mains le carnet de note qu’elle lui tendait. Cette fois-ci se furent les deux sourcils qui se haussèrent alors que Thérapéia contemplait sa cousine feuilleter ses notes.

« —Je peux savoir ce qu’il te prend d’un coup ?
—Hippeus m’a demandé quelque chose et je veux pouvoir lui répondre, marmonna-t-elle.
—Tu risques d’avoir besoin de beaucoup plus que des notes pour répondre à ce genre de question, commenta platement Thérapéia.
—Je suis sa mère ! protesta Thérophonè en relevant la tête. Je suis censée pouvoir répondre à toutes ses questions !
—Ma mère ne répondait pas à toutes mes questions sur le monde humain, remarqua sa cousine. J’ai cherché seule ou posé des questions aux gens qui savaient. Envois-moi ton fils la prochaine fois, ou demande-moi tout simplement. Je ne vais pas refaire ça une deuxième fois, bailla-t-elle en s’étirant. »

Thérophonè grimaça mais lui serra la main avec un large sourire pour la remercier. Thérapéia envoya un regard ironique à sa fière cousine et agita la queue en avançant. Le trajet fut fait en silence, Thérophonè plongée dans ses notes et Thérapéia la guidant quelque peu pour l’empêcher de se heurter aux obstacles.

C’était un moment paisible qui s’évanouit à l’instant où elles atteignirent leur camp. Les centaures étaient des créatures nomades mais leur clan s’était établi ici dans l’enfance de Thérapéia. Elle comprenait pourquoi, cette forêt était dans le grand nord des Etats-Unis et particulièrement abondante. C’était un endroit parfait, quand bien même ils ne chassaient pas souvent à cause de la surveillance étroite des animaux par les humains. Ils achetaient le plus souvent dans les différentes villes qu’abritait la forêt. Ils étaient une trentaine alors c’était parfaitement gérable.

Dans le camp régnait une atmosphère presque étouffante ; les enfants seuls étaient hermétiques à la tension ambiante. Thérapéia grimaça, parfaitement consciente que c’était la guerre entre demi-dieux qui les impactaient. Ils étaient à l’abri de tous dangers, leur clan était peu connu et très éloignée de la Colonie des Sang-Mêlés, presque à l’autre bout du pays. Et pourtant, ils étaient impactés. De ce qu’ils avaient appris la Résistance voulait éliminer tout le monde mythologique. Si Thérapéia trouvait cela irréaliste compte tenu que l’Olympe était l’Occident elle savait aussi que, sans le soutien des demi-dieux, le monde aurait couru à sa perte plusieurs fois.

Là venait la question de leur rôle dans cette guerre. Certains voulaient rallier l’Olympe pour la protéger ; d’autres n’y voyaient qu’une guerre civile sans plus d’importance que les précédentes. Il y avait une autre faction qui préférait voir jusqu’où était prêts à aller les demi-dieux. Si c’était inévitable alors ils prendraient part à la guerre mais ne comptait devenir des va-t’en guerre et risquer leur clan en entier.  

Hippeus galopa vers eux, un large sourire sur le visage quand il vit sa mère et sa tante et Thérapéia chassa ses pensées sombres en le serrant contre elle. Seules les Moires connaissaient la réponse, il n’y avait pas lieu de se torturer l’esprit jusqu’à ce que leur arrive le signe d’entrer en guerre.