Hero ne rêve pas d'être une personne meilleure. Il rêve juste de s'enfuir très loin, là on ne pourra plus le poursuivre pour les crimes qu'il a commis - et ceux qu'il n'a pas commis. La fuite, il ne connaît que ça. Devant l'adversité, la difficulté, les responsabilités, devant la mort - il a toujours pris ses jambes à son cou pour s'enfuir loin, très loin, là où plus personne ne viendrait jamais le trouver.

Mais maintenant, prisonnier des quatre murs de cette chambre d'hôpital, il ne peut aller nulle part. Sa jambe gauche est recouverte de bandages, suspendue en l'air comme celle d'un mannequin désarticulé. Il a perdu sa liberté.  

Et il bouillonne. Tout son être brûle de l'intérieur. Il aurait voulu defoncer la porte et partir en courant comme il savait si bien le faire, mais son corps ne peut plus lui permettre ça. Il ne peut rien faire. Les heures s'écoulent au ralenti, ponctuées par la visite de docteurs et infirmières insupportables, leurs regards emplis de pitié. C'est qu'il leur fait de la peine à tous, le pauvre Hero (ou plutôt Andrew, à en croire le nom griffonné sur la porte de sa chambre pour cacher sa réelle identité). On murmure qu'il ne remarchera pas, du moins, pas comme il le voudrait. Adieu les courses poursuites dans New York, adieu les combats de nuit au fond de ruelles mal famées, adieu les fuites. Sa jambe supportera tout juste une randonnée de quelques heures. Il ne pourra plus rien faire comme avant. Il est devenu un handicapé, un mutilé, un infirme. Avec sa jambe sont parties sa liberté et sa dignité. Pour la première fois de sa vie depuis longtemps il se sentait pris au piège, à la merci de toutes les choses terribles qu'il avait fui toute sa vie. Comment pourra-il les éviter maintenant qu'il a perdu sa mobilité? Comment pourra-t-il échapper à tous ces gangsters qui veulent sa peau? Comment pourra-t-il échapper à la police la prochaine fois que l'un des officiers reconnaîtra son visage coupable? Comment pourra-t-il échapper aux conséquences de toutes ses erreurs s'il ne peut plus courir?

D'un geste violent il donne un coup dans le chariot, déclenchant une série alarmée de bip-bip qui ne font qu'accentuer sa frustration. Immobilisé dans son lit il fulmine en silence, accumulant sa haine et sa rancoeur au fil des minutes qui passent. Il en veut au monde entier pour l'avoir privé de sa jambe. Et surtout, il veut faire payer le monde entier pour ce qu'il a perdu. Tout, n'importe quoi qui puisse retirer ne serait-ce qu'un centième du poids pesant qui étouffe son coeur.

Ness est follement inquiet. Ça fait des heures qu’il court dans les rues de New York à la recherche d’Hero car la nouvelle d’un horrible événement est parvenu jusqu’à ses oreilles. Il paraît que les résistants ont été victimes d’une attaque alors qu’ils étaient en train de faire la fête dans un des bars chics de la ville. Une bombe aurait explosé. La créature n’a aucune information au sujet du nombre des victimes et si son petit ami en fait parti. Du coup, il a préféré aller vérifier par lui même, avec l’espoir de retrouver le demi dieu en un seul morceau.

Il faut dire que cet évènement n’arrive pas au meilleur moment. La relation entre Hero et Ness reste très tendue à cause de Leslie. Cette dernière a plutôt mal digéré le fait que son ex petit ami l’ai abandonné pour son meilleur ami. Elle est venue voir Ness pour se venger et la créature a bien cru qu’il allait y passer, surtout lorsqu’il a vu une horde de policiers courir à ses trousses. Miraculeusement, Ness a pu s’en sortir mais il reste très fâché contre Leslie mais aussi contre Hero. Même s’il ne le montre pas, il garde une profonde rancoeur vis à vis de cet épisode. Hero a très mal géré la situation et c’est l’eidolon qui en a payé le prix. Ness a toujours détesté prendre le rôle de la victime. Lui qui est le grand champion en ce qui concerne les coups bas et les mauvaises blagues, se retrouver être le dindon de la farce ne lui a pas du tout plus et il refoule cette honte qui pèse lourd sur son coeur.

Mais il est prêt à oublier cet mésaventure avec Leslie, surtout quand il sait qu’il va peut être retrouver son petit ami dans un état grave. Après avoir fait quelques hôpitaux de la ville, Ness est sur le point d’entrer dans le dernier de la ville. Lorsqu’il met un pied dans ce bâtiment, il retrouve cette espèce d’odeur étrange que tous les hôpitaux cachent derrière leurs portes. Une odeur qui se veut saine, une sorte de désinfectant qui élimine toutes les larmes que versent les visiteurs, les malades et les blessés et qui veut éradiquer les traces de maladies incurables, d’épidémies et de coeurs qui s’arrêtent de battre. Tous les hôpitaux sentent le désespoir refoulé et Ness déteste cette odeur qui lui rappelle trop ses inquiétudes. Quand ils voient le nombre de visiteurs attendre sur des petites chaises, tremblant, les nerfs à fleur de peau, la créature esquisse une grimace de dégoût et cherche un moyen d’esquiver l’épreuve de l’attente. À l’abris des regards, il décide de s’emparer du corps d’une jeune infirmière et de faire toutes les chambres jusqu’à ce qu’il puisse tomber sur Hero.

Au bout de quelques minutes de recherche, il finit par le trouver, couché sur lui un lit, l’air misérable avec ses blessures apparentes et sa colère silencieuse. La chambre est sans dessus dessous, avec des choses renversées par terre et un Hero au bout de la crise de nerf. Ness - ou plutôt la jeune infirmière aux jolies jambes et aux cheveux dorés - accoure vers le demi dieu et prend son visage entre les mains. Il n’a pas remarqué ce qui est arrivé aux jambes de son ami.

- Putain Hero, t’es vivant ! J’ai eu tellement peur… J’ai fait tous les hôpitaux de la ville pour te retrouver bro ! Il s’est passé quoi au juste ?

« Putain Hero, t’es vivant ! J’ai eu tellement peur … J’ai fait tous les hôpitaux de la ville pour te retrouver bro ! Il s’est passé quoi au juste ? »

Si Hero avait pu bouger, il se serait probablement tourné dans le lit pour ne pas avoir à regarder Ness.

Si Hero avait pu bouger, en fait, il se serait probablement tiré de cet hôpital maudit depuis bien longtemps.

Mais c’était ça le truc. Il ne pouvait pas bouger. Ce putain de plâtre qui immobilisait sa jambe le retenait ici. Et même s’il n’y avait pas eu ce plâtre, sa jambe ne lui aurait pas permis de marcher bien longtemps. Comme sa jambe ne lui permettrait plus de faire tout ce qu’il voulait, comme avant.

Il ne devrait pas en vouloir à Ness. Rien n’est de sa faute, au fond.

C’était Hero qui s’était rendu à la fête des Résistants. Même s’il s’était juré de s’éloigner de leurs conneries, il s’était quand même rendu dans ce bar piteux. Qu’espérait-il y trouver ? Quelqu’un à qui se confier, après ses déboires avec Leslie ? Quelqu’un avec qui danser et oublier ce mal qui le rongeait ? Il n’avait rien eu de tout ça. Juste des regards au mieux indifférents, au pire dégoûtés. Il n’avait pas tenu longtemps avant d’aller se défoncer. Et défoncé, il était allé trouver son meilleur ennemi, tout ça pour qu’une bombe explose et réduise sa vie en morceaux. Le pire dans tout ça, c’était qu’il avait été trop défoncé pour réaliser ce qui venait de se passer. La drogue avait effacé toute sa douleur, il n’avait rien compris. Ce n’était qu’à son réveil à l’hôpital que la vérité l’avait écrasé. Depuis, il ne s’en était toujours pas remis.

« On s’est fait attaquer. A la résistance, on fêtait un truc et tout allait bien, tout… et tout a volé en éclats et tout est devenu noir et je me suis retrouvé… ici, là, et je peux plus marcher. »

Son poing tremblant serre le drap entre ses doigts jusqu’à ce que ses jointures deviennent blanches, mais ce n’est pas suffisant. Il a besoin de serrer encore plus fort, de faire encore plus mal, d’aller encore plus profond. Il se force à enfin regarder Ness, ou plutôt le corps que l’eidolon a possédé pour pouvoir entrer dans sa chambre.

Et ça le frappe en plein cœur.

Ness n’a qu’à changer de corps s’il rencontre un problème. S’il a un accident, il peut tout simplement prendre un autre corps et tout rentrera dans l’ordre. Rien n’est définitif pour lui, rien ne peut le poursuivre. Il est un fuyard, comme Hero, sauf que lui a vraiment zéro attache. Et c’est pour ça que Hero l’aime, parce qu’ils sont les deux facettes de la même pièce, parce que le monde peut brûler autour d’eux sans que cela ne les touche du moment qu’ils sont ensemble. Ils fuient, ensemble. Du moins, ils fuyaient. Maintenant, Hero n’est même plus sûr de pouvoir marcher correctement. Il aimerait pouvoir changer de corps, changer de vie, aussi simplement que ça l’est pour Ness. Mais il ne peut pas. Il est condamné à rester avec ce corps, avec ses problèmes, avec sa vie de merde jusqu’à ce qu’il finisse par crever.

Et il sait qu’il ne devrait pas, mais à cet instant il ne peut pas s’empêcher de détester Ness pour posséder tout ce qu’il n’a pas.

« Mais qu’est-ce que t’en as à faire, hein ? Regarde comment c’est facile pour toi de passer d’un corps à l’autre, de changer d’identité à chaque instant, au moindre problème. Tu peux pas comprendre ce que ça fait d’être coincé. »

Voir Hero impuissant le brise. Jamais il n’a vu son ami dans cet état. Il a toujours vu un Hero en pleine forme, toujours prêt à faire la moindre connerie pour assouvir ses propres plaisirs. Il n’est pas quelqu’un qui s’empêche de faire des choses, au contraire, il a toujours cherché à s’épanouir d’une façon ou d’une autre. Malgré les malédictions et les malchances qui le guettent à tous les coins de rue, avec Ness, il met de côté tous ses problèmes pour pouvoir s’éclater un maximum avec celui qui est devenu bien plus qu’un meilleur ami encore. Mais aujourd’hui, même la présence de l’eidolon n’arrive pas à le rassurer, à lui donner envie véritablement de vivre. Cloué sur ce lit, le corps ravagé par une déclaration de haine et de vengeance, Hero n’aspire plus que de la pitié. Le peu de fierté qu’il trouvait encore auprès de Ness a été exterminée par cette chose qui a détruit une partie du corps du fils d’Eris. Hero n’est plus que l’ombre de lui même.

- On s’est fait attaquer. A la résistance, on fêtait un truc et tout allait bien, tout… et tout a volé en éclats et tout est devenu noir et je me suis retrouvé… ici, là, et je peux plus marcher.

La petite infirmière que Ness contrôle le regarde avec effroi. Il s’en doutait, la cause de ce massacre ne pouvait qu’être terroriste. Hero sert les draps avec colère et impuissance. La créature le regarde, anéanti de voir celui qu’il aime en proie à une véritable souffrance qu’il ne peut résoudre. Il aurait aimé trouver le moyen de réparer Hero, de retrouver cette part qu’il a perdu lors de l’attentat. Il aurait tout fait pour lui, pour retrouver le Hero qu’il aime. Mais Ness ne peut rien faire. La créature qu’il est ne peut rester que impuissante face à cet acte complètement humain. Ness est encore une fois spectateur des passions destructrices des humains qui les conduisent à conduire des actes aussi infâmes que celui qu’a vécu son meilleur ami.

Mais Hero reste désespérément silencieux. Ness non plus, ne sait pas quoi dire, puisqu’il reste prisonnier de son impuissance, juste bon à constater que le demi dieu n’est plus en état de faire toutes les courses poursuites qu’ils faisaient il n’y a pas si longtemps. Hero semble être possédé par des pensées mauvaises. Le fantôme le connaît, ce visage inhabituellement dur annonce l’émergence d’un autre Hero, un Hero sombre, un Hero qu’il ne va malheureusement pas aimer.

- Mais qu’est-ce que t’en as à faire, hein ? Regarde comment c’est facile pour toi de passer d’un corps à l’autre, de changer d’identité à chaque instant, au moindre problème. Tu peux pas comprendre ce que ça fait d’être coincé.

Hero ne s’en est jamais pris à Ness. Il ne lui a jamais parlé de cette manière. L’eidolon reste interdit face à la remarque de l’homme qu’il aime pourtant énormément. Il maudit toutes les personnes qui sont à l’origine de cette attaque, d’avoir emporté avec les morts probables, tout ce qui le faisait frissonner chez Hero. Il est en colère mais encore une fois, il sait qu’il ne peut rien faire. Il sait aussi qu’il va devoir subir tout ce que le demi dieu va dire par la suite, tous les mots qu’il a sur le coeur. Le fantôme est bien au courant de l’appartenance du fils d’Eris à la Résistance. Il n’a jamais accepté son statut de demi dieu qui lui a voulu de nombreuses tragédies. Cet attentat est encore un coup de son malheur qui le rappelle à chaque fois sa condition de demi dieu qu’il a toujours tenté de rejeter. En vain.

Ness tente de s’approcher de lui et de le serrer dans ses bras. Il sent Hero à la merci de sa colère mais il cherche tout de même à le rassurer comme il peut. C’est tout ce qu’il peut faire au fond. Il n’a pas la puissance de réparer le passé mais il veut que Hero sente et comprenne qu’il restera toujours auprès de lui, qu’il ne l’abandonnera jamais et ce même dans les pires épreuves. Pourtant, la colère dépasse le fils d’Eris, il le sent. Il a l’impression que même ses mots et sa tendresse ne vont pas l’aider à aller un petit mieux.

- Hero, mon vieux, ça va aller… Ne te laisse pas abattre, au moins tu es encore en vie. Tu sauras te relever comme toutes les autres fois.

Mais Ness n’apporte pas beaucoup de convictions dans ce qu’il vient dire. Il sait que quelque chose en Hero s’est brisé à jamais. Même l’amour ne peut le réparer. L’eidolon anticipe une suite qui va à son tour le briser. Il attend ce moment comme un second attentat, celui qui le touchera lui et plus l’homme qu’il l’aime.