Chère maman, cher papa,

C'est égoïste de ma part de vous écrire cette lettre alors que nous savons très bien que vous ne la verriez jamais de mon vivant... Plus j'y pense, même lorsque je ne serais plus de ce monde, il serait trop peu probable que vous la voyez.

Plus j'écrivais sur la feuille en face de moi, plus mes yeux me jouaient des tours. Je voyais les lettres trembler et j'arrivais difficilement à distinguer mes e de mes a. Je soupirai et j'ouvris encore une fois la bouteille de whisky, pris une grande gorgée, pinça mes lèvres et ferma les yeux en réaction au goût puissant de l'alcool. Mes sens étaient embrouillés, c'était une évidence et ma dyslexie ne rendait pas les choses plus faciles.

Enfin, je ne sais pas pourquoi je m'entête à vouloir vous laissez des traces de mon existence, ce n'est pas comme si nous avions été une vraie famille.

Je plissai mes yeux, me doutant que cette phrase était trop froide et sèche. Je raturai le passage d'un geste vif, je soupirai et je me remis à écrire.

Sachez que c'est alcool qui dicte mes gestes, alors je parlerai sans filtre. Je vous aime et je suis terriblement désolé d'être parti sans vous avoir averti, vous ne méritez absolument pas toute la misère que je vous fait endurer. Je sais, vous avez des millions de questions, mais sachez que pour votre sécurité, je vais vous dire que le strict nécessaire pour que vous arrêtiez de vous morfondre.

Je déposai le crayon sur la feuille qui commençait peu à peu à se remplir de symboles. Je soupirai, plaçant mes deux mains sur mon visage, qui devenait de plus en plus engourdit à mesure que l'alcool entrait dans mon système. Des souvenirs plutôt que des mots apparurent dans mon esprit.

Je me souviens comme si s'était hier: Une journée pluvieuse, une jeune rouquine frappa à la porte de la maison familiale, toute apeurée. Je me souviens de m'être senti envahi par une panoplie d'émotions en quelques secondes. J'arrive encore à sentir l'incrédulité à la suite de ses propos, puis une peur sans nom en réalisant qu'il y avait quelque chose en en moi qui m'urgeait d'ouvrir mes yeux. Je savais que je ne devais pas, que dis-je, que je ne pouvais pas resté à la maison. Je suis persuadé que vous pensez que ce n'est pas une raison suffisante pour fuguer. Vous avez raison, il y avait plus, mais ce sont des détails que je laisserais dans le passé, voulez-vous? C'était le choix le plus sécuritaire pour tout le monde.

Je déposai le crayon pour une énième fois, relisant le passage que je venais à peine d'écrire, tout en faisant apparaitre distraitement une petite lame de glace que je faisais tenir en équilibre sur le bout de mon doigt. J'émis un léger rire en jugeant fortement les mots que j'ai écrits sur la feuille.

-Je n'ai définitivement pas assez bu pour continuer à écrire. Dis-je a voix basse pour moi-même en lançant la lame de glace dans les airs, je fis claquer immédiatement mes doigts, transformant ma création de glace en petite poussière fine qui disparut presqu'instantanément.

Les premiers jours avaient été très difficile pour moi et Sera. Nous avions voulu nous enfuir par colère et tristesse, mais une fois que nos émotions se sont calmées, nous étions tellement perdus... La faim et la fatigue nous ont frappées de plein fouet à peine deux journées après être partis. Ajoutons à ça les rencontres douteuses que nous faisions.

Tranquillement, perdu dans mes pensées, je fis glisser mes doigts sur mon avant-bras pour toucher une cicatrice effacée par le temps, mais dont la douleur restera toujours un souvenir vif dans mon esprit.

Je pense que c'est cet escapade qui m'a permis de voir le monde comme il est vraiment. Sombre, froid et cruel. Si ça n'avait pas été de Seraphina, je suis persuadé que vous ne liriez pas cette lettre présentement. Probablement que je serais six pieds sous terre, comme Alex ou Sophie ou encore changé à tout jamais...

Mes yeux commencèrent à montrer des signes de faiblesses. Je pris une dernière gorgée de whisky et j'essayai de plier la lettre en deux. J'ouvris ma petite boite de documents importants, glissai la lettre en dessous de la pile, y plaçai également mon crayon et refermai la petite boite à clé. Clé que je fis disparaitre d'un claquement de doigt, puisque la vraie version n'existait plus depuis des années déjà.

J'éteignis les lumières et je ne dirigeai vers mon lit. Arrivé dans mon petit nid douillet, je me suis mis à réfléchir encore. La journée avait été épuisante, entre la planification et l'exécution d'une mission de sauvetage. En effet, cela faisait plusieurs jours, exactement dix jours, que Sera était portée disparue, alors qu'elle avait quitté le quartier général en furie. J'ai honte de dire que cela m'a pris autant de temps avant de réaliser que le seul endroit où elle pourrait être durant ces dix jours-là était plus qu'évident.

J'ai rejoint les Résistants il y a quelques temps déjà, sous la forte pression de Sera, qui s'est montré très convaincante. Certes, je ne partage pas les mêmes les convictions qu'elle, mais il n'empêche pas que je veux me battre pour la liberté de mon destin. Je veux vivre une vie paisible avec Sera, n'est-ce pas trop demandé ? Dire que j'ai perdu dix journées à planifier des trucs avec les résistants et travailler. Quel énorme débile, je suis.

Mes dernières pensées ont été pour les attaques qui se sont produits récemment. Je suis du genre attentif lors des rencontres d'équipe et je suis reconnu pour cela, mais lorsque je parle les gens m'entendent et savent le fond de ma pensée. Je leur avais dit d'adopter une tactique plus passive sur la colonie, je me souviens que je les avais prévenus des représailles. Sera avait été d'accord avec moi et d'autres aussi, d'ailleurs, avaient partagés la même idée que moi.

Durant l'attaque, ceux qui avaient désapprouvé la violence n'ont pas eu le choix de se battre quand même, mais jamais ils n'ont eu recours à tuer. Qui sommes-nous pour décider de ce genre de choses, de toute façon? Déjà que les dieux agissent a leur gisent sur nos vies, il n'est pas question que nous devenions comme eux. Pourtant, ça n'a pas empêché certains des nôtres d'agir de la sorte...

La colonie, elle, a décidé de contre-attaqué avec une putain de bombe. Ça avait été rapide et efficace, nous avions eu du mal à nous en remettre. Sera... Sera est désormais marquée à vie par cette attaque. Vivre une vie en chaise roulante, c'est l'enfer et elle ne mérite pas autant. Heureusement que ses pouvoirs l'aide à vivre une vie un peu plus facile. Je n'ai personnellement presque pas eu de blessure, mais... je me souviens d'avoir tué. Pour la première fois. Je me souviens du moment où l'adrénaline a afflué dans mes veines. Lorsque j'ai vu Sera se faire exploser la gueule, c'est comme si un interrupteur s'était enclanché. L'adrénaline coulait a flot. Je ne me souviens plus de beaucoup, mais une image restera a jamais gravé dans ma mémoire. L'image d'un jeune demi-dieu inconnu, dague à la gorge, le regarde vide, mort. Je pense qu'il a essayé de m'embusquer lorsque j'emmenais Sera en lieu sûr, mais cela ne sera jamais une certitude. Comme certains disent, on n'oublie pas notre première fois.