Une fois la conversation avec Meg terminée, j’avais eus un grand sourire, une bouffée d’espoir me gonflant la poitrine. J’étais plus heureuse que ce que je ne l’avais été depuis longtemps. J’allais peut-être enfin pouvoir me trouver une famille, une maison. Un endroit où je pourrais être moi-même. Sourire aux lèvres, je quittai l’endroit où je me trouvais et allai dans mon bungalow. Couchée sur mon lit, fermée à tous et chacun, je me foutais complètement des activités proposées, que je sois obligée d’y aller ou non. Prenant mon iPod et mettant mes écouteurs dans mes oreilles, je fermai les yeux lorsque la musique m’envahit enfin. J’essayais de ne pas trop me faire d’espoir, car que faire si la Déesse refusait ? Mon monde allait s’écrouler. Les yeux fermés, je soupirai. J’allais sans doute m’entraîner un peu ici à la Colonie et la quitter. Après tout, rien ne me retenait dans cet endroit où personne ne faisait attention à moi, à cet endroit où tous avaient peur de moi, me ridiculisaient. Je repensai à cette deuxième nuit, où j’avais finalement décider d’entrer dans la salle de bains des filles pour aller me doucher. Certaines avaient hurlé, d’autres m’avaient frappée, d’autres encore m’avait insultée et j’eus tôt fait de me faire prendre par le collet et me faire jeter hors de l’endroit. Larmes aux yeux, j’avais fini par aller me réfugier dans mon bungalow, et allai me laver tard ce soir-là, me croyant seule dans la cabine des garçons, puisque celle des filles m’était interdite. Encore une fois, même scénario, mais en pire.

Je pris conscience des larmes qui coulaient sur mes joues et ne fit rien pour les essuyer. Blessée, meurtrie et épuisée par ce combat, ces secrets et la douleur, je finis par sombrer dans le sommeil. La cloche annonçant le repas me tira de ma torpeur et de ce sommeil agité, non réparateur. Je me levai, gardai mes écouteurs dans mes oreilles et me frottai le visage pour y enlever les derniers vestiges d’un sommeil épuisant. Me levant de mon lit, je sortis hors de mon petit endroit personnel et allai rejoindre les autres à reculons vers la salle de repas en plein air. Je me pris une assiette de pâtes aux légumes et me levai pour aller faire une offrande aux Dieux. Debout devant le brasero, je jetai une partie de mon repas dans les flammes.

- Pour Lady Artémis. murmurais-je trop bas pour que quiconque entende. J’aimerais vous parler, Lady Artémis. Ce soir, au clair de lune, à la Colonie. Si vous acceptez … envoyais-je en projetant mes pensées vers ce que j’espérais être une prière pour la Déesse de la Chasse.

Je déglutis rapidement et retournai à ma place sans un regard pour personne. Mangeant en silence, les yeux baissés vers mon assiette, sans regarder personne, j’avais une boule dans la gorge. La nervosité. Allait-elle accepter ? Décliner mon offre de par ce corps impur, brisé et souillé ? Ce corps mâle qui n’était en aucun cas le mien ? Une fois mon repas terminé, je pris une petite part de tarte à la cerise, donnant encore une fois une part pour la Déesse de la Lune et retournai m’asseoir, mangeant sans trop d’enthousiasme. Avant que quiconque puisse me retenir, je m’enfuis de l’endroit, retournant dans mon bungalow effrayant et sombre.

Au dehors, la nuit commençait lentement à tomber, et plus elle tombait, plus ma nervosité augmentait. Après plusieurs grandes respirations, qui ne furent d’aucune aide, je sortis de mon bungalow, un large chandail à capuche noir sur mon frêle corps, des jeans troués de la même couleur. Des converses aux pieds, la capuche sur la tête, rien ne pouvait laisser croire que j’étais une fille. Mes cheveux aux épaules tombant devant mes yeux, j’allai m’adosser contre un arbre, assise par terre devant la plage, tout près de l’orée de la forêt. Fixant les étoiles et la lune des yeux, je laissai l’air marin et pas si froid finalement, calmer lentement mon esprit. Le doux bruit des vagues, l’odeur éloignée du champ de fraise et l’odeur des arbres de la forêt me faisait me sentir plus calme. Mille et unes pensées se bousculaient dans ma tête. Allait-elle venir ? Je frissonnai d’anticipation. Allait-elle me rejeter dû à ce corps qu’on avait souillé ? Ce corps dont on avait touché et entaché la pureté contre mon gré ? Remontant lentement les manches de mon vêtement, je regardai et touchai du bout des doigts les multiples et innombrables cicatrices qui barraient mon bras. Pour le moment, elles ne faisaient pas mal. Non, la vraie douleur était celle de mon âme et celle du poids des souvenirs qui hantaient mon esprit jour et nuit, tournant en boucle sans me donner une once de répit. Soudainement, la lune semblait plus brillante, plus argentée et illuminait gentiment tout autour d’elle. Mon souffle se coinça douloureusement dans ma gorge et mon cœur se mit à battre à toute vitesse. Déglutissant nerveusement, je me retournai vers ce que j’espérais être la Déesse, tremblante de la tête aux pieds. N’osant lever les yeux, je restai prostrée au sol. Ma tête se tourna lentement et je vis une paire de pieds affublés de bottes. Le moment de vérité était enfin arrivé.
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Un frisson parcouru la jeune fille et elle sentit une présence derrière elle, une présence assez forte, puissante, assez pour que les poils de ses bras se redressent. Un monstre, ou une divinité. Un léger sourire pointa le bout de ses lèvres vers le haut et elle releva la tête de sur ses genoux, où elle l’avait déposé en attendant au clair de lune la réponse de la Déesse de l’astre nocturne. Drew se retourne doucement vers la Déesse et celle-ci dépose au même moment une main presque maternelle sur l’épaule de la jeune fille, qui frissonne d’effroi au contact, la peur au ventre, mais elle relâche doucement un respire qu’elle ne savait pas retenir lorsqu’aucune vision horrible ne survient. Elle ferme les yeux une fraction de seconde et prend une bonne inspiration avant de laisser les muscles de son corps se détendre lentement. La jeune fille déteste au plus haut point se faire toucher, mais pour la Déesse, elle fera une exception, car après tout, celle-ci ne lui fera jamais de mal. Jamais. La fille de Moros n’arrivait pas à croire que la Déesse ait répondu à son appel. Un sourire s’étira encore sur ses lèvres à la mention de « jeune fille ». Enfin ! Cela envoya une grande vague de chaleur, bonheur dans son cœur. L’organe porteur de vie faisait des soubresauts dans sa poitrine. Le stress, la joie, l’angoisse. Comment toutes ses émotions pouvaient se mélanger ensemble ? Elle n’en savait rien, et elle croisa ses mains ensemble pour les empêcher de trembler de nervosité. Elle se sentait enfin vivante, libre; comme un poids enlevé de ses épaules, charge trop lourde désormais inexistante. Elle se sentait briller, comme une supernova. Comme une luciole au creux de la nuit la plus noire, elle brillait faiblement, assez pour faire comprendre à ceux qui l’entouraient qu’elle existait, qu’elle n’était pas que cette ombre dans l’obscurité.

La Déesse lui demanda ce qu’elle pouvait bien faire pour elle. Tout se mélangeait dans la tête de la jeune adolescente, trop de questions, trop de choix, trop de choses qu’elle aimerait changer. Son corps, cet horrible organe qui pendouillait et l’effrayait, la faisait se sentir mal d’être, qui lui donnait envie de cesser d’exister. Sa voix, au moins, était parfaite. Elle aimerait changer cette vie, laisser son passé derrière elle et débuter quelque chose de nouveau. De se sentir entière à nouveau, de ne plus jamais à avoir peur que quelqu’un pose ses mains sales sur elle et la salisse, la démolisse, l’anéantisse. Elle voulait redevenir entière, propre, elle voulait laver cette souillure de son corps. Ses yeux s’assombrirent une fraction de seconde sous l’assaut des souvenirs.

- Je … J’aimerais …. J’aimerais rejoindre la Chasse, mais … mais je …. Elle étouffa un sanglot soudain, qui la prit par surprise.

Elle se mordit la lèvre jusqu’au sang. Comment expliquer que son corps n’était plus pur, qu’elle ne respectait plus l’une des conditions d’entrée dans la Chasse ? Sans compter qu’elle était née dans le corps du sexe opposé. La pression, la douleur, la peur du rejet. Le dégoût de soi, tout cela menaçait de remonter à la surface et elle peinait à ne pas exploser.

- Avant tout …. Je … pleura t-elle dans un murmure presqu’inaudible.

Elle n’arrivait pas à le dire. La peur l’envahissait comme une vague trop puissante, glaciale menace d’engloutissement, de noyade. Elle avait de la difficulté à respirer, à travers ses sanglots, les larmes brûlantes qui coulaient le long de ses joues glacées. Elle se recroquevilla sur elle-même, petite boule de misère où elle espérait que plus rien ne passe, que la douleur ne puisse pas l’atteindre. Elle avait envie de hurler, se mordait les joues pour ne pas crier son agonie, laissant ses sanglots déchirer l’air froid de la nuit. Elle tremblait et sa respiration saccadée ne l’aidait pas plus.

- Je ne veux plus de … ça ! lâcha t-elle avec un dégoût profond, en pointant son bas-ventre, espérant que la Déesse comprenne.

Autour d’elle, les Ombres se rapprochaient, la laissant comme une silhouette noircie dans les ténèbres, presqu’imperceptible. Elle n’avait pas conscience de ce qui se produisait. Tout ce qu’elle voulait, c’était cesser de souffrir. Les sanglots lui déchiraient la gorge, brûlait son âme, la laissant déchirée et brisée. Aidez-moi! Criait son âme. Aidez-moi!

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