Entre les cliquetis et les bruits des machines, les paroles des passants et les nombreux cris de joie et de désespération, la demoiselle sent son corps déjà fébrile s'exciter. Il se rend compte que ce lieu n'est pas ordinaire, et si Serafina a prise la décision de se rendre dans ce lieu hors de l'ordinaire, dangereux et connu des demi-dieux, c'est pour échapper à ce présent qui la ronge à tous les jours. Mais cette raison s'efface peu à peu de son esprit alors qu'elle goûte aux nombreux amuse-bouches qui se trouvent sur les tables et qui sont amenés par les serveurs. Celui en forme de Lotus fond sur la langue de la belle rouquine, et avec une confiance en elle inégalée à ce jour, elle défait les plis sur sa magnifique robe noire enfilée pour l'occasion et fait claquer ses escarpins jusqu'à la table où il semble manquer un joueur. Bien entendu, avant tout, elle a pris le temps d'échanger toutes ses économies pour les jetons.
Toutes.

La folie gagne l'ambiance lorsque Serafina est ensorcelée par une chance absolue, et avide d'en avoir davantage, conquise par le jeu, elle recommence, encore et encore. Elle gagne toute la soirée, se fait des milliers de dollars et ne pense pas une seconde à empocher l'argent. Non, au lieu de tout cela, le jeu continue, encore, encore. La chance tourne et retourne, se défait d'elle puis revient au galop lorsqu'elle est sur le bord de partir de ce lieu maudit.
Maudit, mais ça, elle n'en a aucune idée. Ses souvenirs, sa mémoire, son propre prénom s'effacent lentement mais sûrement de son esprit. Les mailles de son cerveau sont attaquées par ces délicieux gâteaux et verres, apportés à profusion pendant son séjour dans le Casino. Elle s'y sent bien, elle ne ressent pas le danger qu'il apporte à ceux de son espèce. Si ensorcelée que la belle ne remarque pas que le trois-quarts des travaillants sont des monstres, assoiffés du sang frais de la belle fille d'Apollon séjournant en leur lieu sacré.

L'alarme est toutefois sonnée lorsque trois demi-dieux pénétrent l'antre et commence à tout mettre sans dessus-dessous en hurlant. Hurlant un nom qui lui est familier sans qu'elle ne comprenne exactement pourquoi.

« Serafina! »

La voix aussi lui est familière mais elle continue de jouer, envoûtée par une chance monstre, cette fois. Niké l'accompagne au plus haut de sa forme, mais elle ne se doute pas que toute cette chance provient à chaque fois qu'elle tente de partir, et l'enchante encore, et encore. Cette satané déesse profite bien de l'addiction de la demoiselle. Le jeu n'est pas une rigolade, pas pour quelqu'un comme Serafina. Quelqu'un qui a des problèmes avec l'obsession, l'addiction. Un passé dangereux que la belle aurait préféré éviter.

« SERA! »

La vox crie son nom. Son nom? Huh? La rousse se retourne et aperçoit un brun accompagné d'une fille qu'elle reconnaît à peine et un autre adolescent, ou jeune adulte, qu'elle ne reconnaît pas du tout. Sans comprendre comment, elle est transportée en dehors du Casino Lotus, et une fois à l'extérieur du bâtiment, un choc saisit tout son corps.
Cette chance, c'était un mensonge. Ces sourires, ces verres, cette nourriture, ensorcelés. Cet argent, ces jetons, perdus. Ces souvenirs, son passé, son présent, bien réels.

Serafina grogne de toutes ses forces et sent sa tête qui tourne. Les verres avalés font lentement leur effet alcoolisé, rattrapent la belle demi-déesse qui flanche légèrement sur le côté. Endormie, passive, Nate la prend dans ses bras pour la ramener au QG de la Résistance. De toutes façons, ils auront beaucoup de choses à se dire au matin. Après tout, c'est de la faute du garçon si la demoiselle s'est enfuie si loin de chez elle.


« Alors, tu vas m'expliquer ce qui t'as pris? » Serafina est réveillée par une tête assourdie par les bruits ambiants, et par les paroles acerbes de celui qu'elle croyait être son âme-soeur, jusqu'à hier. Sauf que leur dispute a pris des proportions indécentes, et les paroles qui ont été jetées par la Colère l'ont blessée, les ont blessés. Pourtant, il est quand même allé la chercher. « Combien de temps? » C'est tout ce qui intéresse Sera. Combien de temps s'est-elle égarée aussi loin de chez elle? « Une semaine et demi. J'ai compris où tu étais quand j'me suis souvenu de... » « Mes problèmes? Dis-le, Jonathan. Mes. Pro. Blè. Mes. » Le venin qui s'extirpe de ses lèvres est dangereux, et Nate le sait. Surtout lorsqu'elle utilise son prénom complet.

Pourquoi devait-elle se rappeler qu'elle est une fille d'Apollon?
Pourquoi devoir se rappeler qu'elle est la fille d'une accro à l'héroine, accro décédée des mains de sa fille en colère, suite à une perte de contrôle, aussi?
Pourquoi devoir se rappeler qu'elle est une demi-déesse, combattant pour la Résistance, pour leur singularité, pour la défaite des Dieux face à leurs enfants, délaissés, abandonnés de leurs parents prétentieux?

« T'aurais pas dû m'ramener. » « Ah, parce que j't'aurais laissée pourrir là-bas? Tu vaux mieux que ça, Sera! » « Ouais, bah c'pas c'que tu disais hier! Fous-moi la paix, Nate. »

Discours de sourds. Tous les deux ne veulent pas admettre leurs tords, tous deux ne veulent pas se dire ce qui doit être dit à voix haute. Putain de bordel de merde. Pourquoi Sera avait-elle dû s'attacher à un con pareil? Insupportable, ce demi-dieu à l'arrogance démesurée.
Elle passe une main sur son visage délabré, et se dit qu'elle doit vraiment se laver. Elle cherche la salle de bain du regard et se rend compte qu'elle n'est même pas dans sa chambre à elle.

« Puuuutain. » Soupir de découragement. « Tu croyais quand même pas qu'on allait te laisser seule, hein? » Nah. Elle le savait, ils allaient la surveiller comme des pestes.
Parce que déjà, ils tenaient à elle même s'ils disent le contraire.
Ensuite, ils sont en guerre.

Le souvenir revient à la belle rousse. Ils ont rejoint la Résistance parce que déjà, leurs conditions sont bien meilleures qu'à la Colonie. Ensuite, ils se sont dits que s'ils voulaient montrer à leurs parents qui sont les plus forts, qu'ils avaient bien du chemin a faire et qu'il vaudrait mieux se tenir avec des Demi-Dieux, qui souhaitaient apprendre à combattre. À venir à bout de ces saletés de parents qui n'assument pas leurs conneries. Parce que c'est de leurs fautes à eux si leurs parents sont les plus grands f*ckboys et f*ckgirls de l'histoire? « Bordel. » La mémoire qu'ils doivent se préparer pour la guerre est fraîche. De quand cela date-t-il. « Quel jour sommes-nous? » Paniquée, Serafina ne comprend pas pourquoi elle a de si grands trous noirs. « Calmes-toi, Sera. C'est les effets du lotus, ça disparaîtra. » « Mais la bombe... »

L'attentat.
La bombe.
Demi-dieux sur le sol, demi-dieux blessés. Attendat dangereux, attentat mortels. Amis blessés et beaucoup qui ne s'en sortiront jamais. Serafina sert les points en se rappelant de l'assaut qui leur a été donné de connaître. Elle-même a été blessée dans l'espoir que la Colonie a eu d'atteindre les Résistants. Sera touche son dos et elle sent encore les blessures fraîches y guérir, malgré le nectar et l'ambroisie donnés. Les cicatrices sont bien là, ineffaçables. « Oh. » Elle se calme, d'un coup. Elle ne se rappelle pas de tout, les effets de la drogue encore dans son corps, mais la demi-déesse sait qu'elle n'aurait pas dû partir comme ça. Elle aurait pu mourir, attaquée par les monstres ou par d'autres demi-dieux. Elle a eu énormément de chance, et c'est assurément pour ça qu'elle est maintenue ici. « J'ai pas réali... » « C'est pas grave. » « SI, SI, Nate. J'aurais pu crever, et toi, “c'est pas grave” ? Encore une fois, on voit à quel point tu tiens à ma personne! » Encore en colère, elle a beaucoup de mal à lui pardonner ses paroles. Celles de leur dispute, celle qui a causé sa fuite. Elle serre les poings et elle se recroqueville sur elle-même dans la chambre. « Laisse-moi, s'il-te-plaît. Monte la garde si tu veux, mais laisse-moi. »  Elle a juste envie d'être seule un peu, la rousse. Sera n'en demande pas tant que ça, elle est juste trop téméraire, trop inconsciente des dangers qui rôdent. Elle a failli mourir il y a deux semaines à peine et elle, elle décide de fuire comme ça? Quelle conne elle a été. Elle a perdu beaucoup de personnes, dans cet attentat et elle espérait un peu oublier ce qui venait de se produire, les conséquences de leurs actions. Pourquoi ne peuvent-ils pas être en paix?

Elle n'a pas rejoint les rangs de la Résistance pour être constamment en guerre contre les autres demi-dieux. Non, elle ne partage tout simplement pas leur amour pour leurs parents divins, ni leur admiration. Pour elle, Apollon est un f*ckboy ayant baisé sa mère et s'en étant sorti comme s'il ne s'était rien passé. Il a rendu sa mère désespérée, il l'a rendue elle dangereuse pour elle-même et pour les autres l'entourant. La Résistance a été une seconde maison, une seconde famille.
Serrant son Lionceau, Simba, qui vient ronronner à ses pieds alors qu'elle se demande pourquoi elle a pris tant de décisions qui ne s'avèrent pas justes, pas équitables. Elle le caresse en se demandant si tout ne serait pas plus simple en tant qu'humaine, normale?
Si autrefois elle a eu l'ambition de devenir la meilleure, d'atteindre les sommets, maintenant, elle est pleine de doutes.
Arrivera-t-elle à planter une lame dans le coeur de son père, ou tout cela n'est-il qu'un autre enchantement causé par le Lotus, venant empoisonner ses rêves aussi?