Il pleut. Caspar préférerait être chez lui, au chaud, peinard. Au lieu de quoi, il roule. Il apporte la dose habituelle du jeune Jack. À l'autre bout de New York, évidemment. Il roule vers Manhattan et la pluie infiltre ses vêtements.
Arrivé devant l'immeuble, il sonne à l'interphone, choisissant un nom au hasard. Il recommence deux fois et entre enfin. Il monte les étages, frappe à la porte. Aucune réponse. Caspar râle. Il frappe à nouveau, puis appuie sur la sonnette pendant deux longues secondes. Pas discret, mais efficace.
Il baisse sa capuche humide au moment où la porte s'ouvre. Surprise. Une fille. Là où il s'attendait à voir Jack apparaît une jeune femme aux cheveux platine.
Et tout son petit plan s'écroule. Ne pas te tromper d'immeuble, d'étage, de porte. Frapper. Il ouvre la porte, tu lui donnes le paquet. Il paie, tu dégages. Caspar se remémore les étapes de cette transaction pourtant anodine, habituelle. Cela fait déjà plusieurs mois qu'il fournit de la drogue au jeune homme. Il ne peut pas s'être trompé d'adresse. D'un revers de main, il essuie une goutte perlant de son nez. Il se redresse, mime la nonchalance et répond à la jeune femme. « Vous êtes..? » Elle le regarde d'un drôle d'air. Crétin. Il n'a pas dit bonjour, il lui pose directement une question. Il a tout faux. Et il est en train de paniquer comme s'il faisait ça pour la première fois. « Desolé. Bonjour. Vous savez si Jack revient bientôt ? » Caspar enfonce les mains dans les poches de son jean et se met à faire rouler son skate à ses pieds.

Caspar cesse aussitôt de jouer avec son skate pour dévisager son interlocutrice. Une sœur jumelle, manquait plus que ça. Caspar comprend tout de suite qu'elle n'est pas du genre à se droguer. Peut-être n'est-elle même pas au courant pour son frère.
« Ce soir seulement ? Il est quelle heure ? » Caspar n'a pas envie d'attendre le retour de son client, et encore moins de repasser plus tard. « J'ai... un truc à lui donner. En main propre de préférence. Pas que je ne te crois pas, mais comme on ne se connaît pas... On sait jamais. » Il hausse les épaules et sourit. C'est lui le type louche et il fait semblant de douter d'elle.
Sauf que le sourire n'y change rien. Caspar est toujours aussi louche aux yeux de la jeune femme. Elle a besoin de son nom. C'est compréhensible, mais ça ne l'arrange pas. De toute façon, Jack ne connaît pas son prénom. Si sa sœur lui disait qu'il était passé, Jack ne le reconnaîtrait certainement pas. « Ben » ment Caspar. Lorsqu'il n'a pas le choix, il donne le diminutif d'un autre prénom. Il n'a pas de surnom, contrairement à la plupart des dealers. Pour eux, il est Caspar. Pour tous les autres, il n'est personne. Après tout, peut-être que Jack connaît un Ben. Caspar espère juste que sa sœur, elle, ne le connaît pas.
« Tu sais où je pourrais le trouver ? C'est assez urgent. » Il ramasse son skate d'une main et garde l'autre dans sa poche. Caspar n'a qu'une envie. Partir. Avant qu'elle ne lui pose d'autres questions qui le compromettraient.

Le ton de la jeune femme se fait plus cassant. Si ses yeux ont d'abord exprimé le doute, il reflètent maintenant son mépris pour Caspar. Pas vraiment pour lui, mais surtout pour ce qu'il fait. Il en a déjà trop dit. Elle a compris. Et elle s'en prend à lui. Caspar est sur la défensive. Néanmoins, il réplique. « C'est pas de ma faute si ton frère se drogue. » Tant pis pour la discrétion et l'envie de partir. Elle sait tout, autant jouer le jeu, puisqu'elle ne veut pas lui dire où est son frère. « Et non, je ne vend pas de la "daube" à ton frère. Je vend la cocaïne, moi. La meilleure de New York, mademoiselle. » Caspar mime une petite révérence et arbore un sourire narquois. Il joue avec le feu. Elle pourrait crier, lui claquer la porte au nez, appeler la police. Il pourrait fuir en courant, se servir de ses pouvoirs. Ou continuer de lui parler. Parce que, finalement, il s'amuse malgré le danger de la situation. Il fuira plus tard.

La jeune femme commence à s'énerver. Caspar recule un peu, histoire d'être à quelques pas de l'escalier. Au cas où la discussion tournerait mal. « Je pars, si tu veux. Mais ça ne m'empêchera de revenir un autre jour. Ton frère aura sa drogue, j'aurais mon argent. Je serais heureux et lui aussi. Très heureux même ! » Il laisse échapper un petit rire, qui résonne dans la cage d'escalier. Un peu inquiétant, même si ce n'était pas son but.
Caspar hausse vaguement les épaules en réponse à ses propres réflexions. Il regarde ailleurs, l'air absent. Il cherche ses mots. « Je fais mon métier, OK ? Chacun son truc. Tu peux pas vraiment me blâmer pour ça. » En fait, si, elle pouvait. Si vendre de la drogue lui a autrefois été utile, il a aujourd'hui un métier tout à fait normal et même un bac. La drogue reste un extra. Un dangereux passe-temps.

Caspar encaisse le coup sans mot dire. Elle ne manque pas de courage, pour oser gifler un dealer. Un rictus moqueur marque le visage de Caspar. Il plante ses yeux bleus dans ceux de Lavinia. Il entrevoit son pire cauchemar. Il ne la quitte pas des yeux, jusqu'à la rendre mal à l'aise s'il le faut. Il envisage sérieusement d'utiliser son pouvoir contre elle. Rendre son cauchemar réel, jusqu'à ce qu'elle le vive, jusqu'à ce qu'elle en souffre. Il conçoit qu'il puisse énerver la jeune femme, mais elle le craint quand même. Peut-être sent-elle la peur que Caspar est prêt à lui faire subir. Un instant, il laisse la rancune l'envahir, alors que Lavinia le menace. Au mot « police », Caspar tressaille. Il sent la nervosité remplacer lentement son ressentiment. Ses jointures craquent. Son skate glisse dans ses mains moites. Il tente d'atténuer sa nervosité. De la faire disparaître. Mais elle est bel et bien présente.
Caspar rompt le contact visuel. Son attitude change aussitôt. Il est soudainement passé de la colère à l'anxiété. Alors Caspar fuit. Un dernier coup d’œil à la jeune femme et il descend les escaliers sans se retourner.