La salle d'interrogatoire était vide en dehors des deux agents de police et moi bien sûr. Enfin, vide, ce n'est pas tout à fait exact. Je pouvais légèrement distinguer les ombres derrière le faut miroir du mur. Je n'avais pas été arrêté, non! J'étais là pour répondre à des questions au sujet de mon meilleur ami:
Upton Caïn Æđelstan. Cela faisait bien dix bonnes minutes que je poireautais sur cette chaise lorsque le premier agent fédéral vint à ma rencontre. Il s'assit face à moi et sa coéquipière à sa droite. Puis commença alors la longue journée de mensonge.
Les policiers voulaient savoir où il était passé. Apparemment, j'étais la dernière personne à l'avoir vu. Je savais parfaitement pourquoi on m'avait forcé à venir, à rester clouer sur cette chaise et à discréditer mon meilleur ami.
Il était soupçonné de meurtre.
Je savais très bien que c'était faux, enfin, pas tout à fait vrai. J'y étais. J'ai vu. Ensuite, je l'ai aidé. Aidé à se cacher, à fuir l'injustice, je lui ai apporté de quoi survivre une semaine durant dans la forêt. Je veillais à ce que personne ne le decouvre. Puis un jour, il m'a demandé d'arrêté et le lendemain il a disparu. Depuis, je continue à l'innocenter. Il ne mérite pas la prison.
Je restais muet devant le binôme en uniforme. Ils ne sauront rien. Ils n'en valent pas la peine. Mais à toi je vais te le dire et ensuite, comme moi, tu comprendra pourquoi il faut le protéger.
☆☆☆☆☆
C'était en janvier. L'hiver avait mis un temps fou à venir et l'air était encore suffisamment chaud pour que nous nous baladions en t-shirt. Ce jour n'était pas comme les autres car nous avions préfèré sortir dehors plutôt que de jouer aux jeux vidéos. Nous traînions dans les rues sans but précis. Nous avions presque atteint la grande place quand c'est arrivé.
Je jouais encore avec mon petit couteau suisse que ma mère m'avait offert à mon anniversaire. C'était le même que mon arrière-grand-père, comme une sorte de tradition dans la famille lorsqu'un garçon atteignait la majorité. Au début, ma mère voulais absolument qu'Upton en ait un aussi. N'ayant jamais connu sa mère, la mienne lui servait de remplacement. Mais il avait réussi à l'en dissuader. Il trouvait toujours les bons mots.
Il marchait devant moi, les mains dans les poches, le regard passant sur tous les recoins de la ruelle, comme à son habitude: il calculait tout encore une fois. La seule chose qu'il n'avait pas prit en compte dans ses équations, était que le vieil homme qui arrivait d'en face n'était pas vraiment un homme et pas vraiment vieux.
C'est bien ça... une erreur de calibrage et de timing. L'homme qui venait portait un chapeau qui lui couvrait le visage mais quand nous fûmes assez proches, nous vîmes la véritable apparence de ce démon.
Je m'en souviendrais sûrement toute ma vie de ce monstre qui nous a salué d'un hochement de tête.
Il n'avait plus rien de réel: ses yeux jaunes brillaient de folie, deux cornes étaient plantées dans son front, ses lèvres s'étaient retroussées laissant apparaître deux immenses canines miroitantes. Le Diable. C'était le Diable.
Il s'était soudainement mit à courir vers Upton, visant de ses crocs la gorge de mon ami. Celui-ci avait réagit au quart de tour. Pendant que je restais bêtement bouche bée, lui m'avait prit le canif des mains et l'avait dirigé sans hésitation vers le monstre qui s'y était empalé, entraîné par sa vitesse.
Le lendemain, tous les journaux parlaient du vieil homme retrouvé poignardé dans une ruelle.
☆☆☆☆☆
Si nous étions restés chez moi à jouer aux jeux vidéos, nous ne nous serions jamais trouvés dans cette ruelle et nlus n'aurions sans doute jamais croisé la route de la bête. Si nous avions pas eu de tradition idiote dans la famille, je n'aurais jamais joué avec ce couteau en pleine rue et Upton n'aurait jamais planté le vieil homme. Peut être si les choses s'étaient passées autrement, peut être ne serais-je pas assis sur cette chaise à regarder les deux policiers, peut être Upton ne se serait évanoui dans la nature.
J'ai reçu une lettre aujourd'hui. Ça fait longtemps que je n'en n'ai pas reçu. C'était d'autant plus surprenant qu'elle venait de mon meilleur ami. Il n'y avait que quelques mots dessus.
Merci. J'ai retrouvé ma mère.