Au milieu d'une salle de classe vide, minuit sonnait. Une femme d'une trentaine d'années, assise à une place d'écolier, feuilletait un énorme livre sur les Dieux de la Grèce Antique. Arrivée à la page correspondant à la Déesse Héra, elle s'arrête, considérant un instant l'image imprimée, et se mit à lire.

« Fille des fiers titans Cronos et Rhéa, Héra, Déesse du mariage, règne sur l'Olympe avec son époux Zeus. Elle était née, disaient les Samiens, sur l'île de Samos, au bord du fleuve Imbrasos, auprès d'un osier qu'on voyait encore au temps de Pausanias. A peine eut-elle émit son premier cri qu'elle fut arrachée des bras de sa nourrice, Macris, par son père. Elle rejoint donc, en tant que troisième enfant des titans, le sort funeste de sa fratrie, et fut engloutie par Cronos. Il est dit que lorsque se déroula la guerre entre les Dieux et les Titans, Rhéa, sa mère, la confia à Océan et Thétys qui vivaient aux confins du monde. La Déesse leur garda une profonde affection et une grande reconnaissance, si bien que lorsque Océan et Thétys se disputèrent, Héra sauva leur couple. Zeus victorieux, ayant eu de nombreuses conquêtes mais ne pouvant trouver en elles une femme digne d'être reine, chercha donc sa sœur à Cnossos en Crète, ainsi qu'en Argolide, où il la courtisa sans succès. »

Arrivée à ce passage, la jeune femme referma le livre. Au bord de ses yeux, d'où brillait une lueur de fierté, des larmes perlaient. Cette Déesse, c'était elle. La suite de l'histoire, elle la connaissait trop bien. Elle allait s'unir à Zeus, et quelques jours après leurs fiançailles, il était déjà dans les bras d'une autre, sans même qu'elle ne s'en rende compte. Puis viendrait leur nuit de noces, qui allait durer 300 ans, soit un record d'années de fidélité de la part de Zeus.
Elle soupira. Au moins lui avait-il donné trois merveilleux enfants. Deux filles, Ilithye et Hébé, et un garçon, Arès… son seul fils légitime. Car il y en avait un autre, celui qu'elle aimait le moins, et qui pourtant n'est le fruit que d'elle même, Héphaïstos. Elle le conçut seule, comme Zeus conçut Athéna. Elle l'exécrait presque : il venait d'elle, entièrement, et il était affreux.

Jalousie, douce jalousie... Les enfants que Zeus eut avec d'autres femmes étaient tous d'une beauté remarquable : Apollon, Artémis, Dionysos… Et ils étaient tous assis là, devant elle, lors de chaque conseil Olympien. Elle s'était mise à détester les Sang-Mêlés, ne pouvant en avoir elle même, car son orgueil et sa place l'en empêchait. Depuis plusieurs siècles, elle leur menait la vie dure, maudissait leurs couples, et veillait à ce qu'il n'atteignent jamais un âge avancé.

Perdue dans ses réflexions, la Déesse se prit la tête entre les mains. Un seul visage la hantait, celui de Luke Alsen, fils de son époux. Depuis que Zeus l'avait reconnu comme tel, elle l'avait suivit dans toutes ses péripéties. Elle avait d'abord été offensée par sa vie, le simple fait qu'il respire lui donnait envie de vomir. Mais elle ne pouvait s'empêcher de constater à quel point le jeune homme ressemblait à son père. Il était exactement l'enfant qu'elle aurait voulu avoir.
Oh ! Comme elle avait souhaité l'évincer, le détruire ! Mais à chaque tentative, elle se ravisait. Par elle ne sait quel malheur, la Déesse n'était capable de mener ses menaces à exécution. Elle s'était alors dit que, ne pouvait se résoudre à atteindre le fils, elle s'occuperait de la mère. Mais en passant sur Terre pour la première fois depuis des lustres, et en regardant autour d'elle les couples séparés, mortifiés, crachant leurs haine et se séparant pour un rien, elle comprit qu'elle ne pouvait agir ainsi plus longtemps.

La Déesse du mariage, des couples et de la fertilité avait abandonné son nom par rage. Et les humains en subissaient les conséquences. Héra releva la tête, et vit accrochée à côté du tableau à craie une photo de classe. Curieuse, elle s'approcha, et se mit à regarder chaque enfant qui y était présent. Aucun de ces enfants ne souriait. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Sa colère et sa jalousie l'avaient tellement altérée qu'en cet instant présent de lucidité, elle ne se reconnut plus.
Héra ouvrit les yeux, et comprit. Ce qu'elle avait toujours été, c'était une mère attentionnée et protectrice, non pas une épouse maudite. Même si l'amour qu'elle éprouvait pour Zeus était aussi pur que les premiers jours, elle se résolut.

Si elle devait se faire dicter sa vie, elle se laisserait guider par ses enfants, non pas par un époux infidèle.