Elle leva les bras, et laissa le vent s'engouffrer dans son t-shirt trop grand pour sa frêle silhouette. Elle était au bord de ce ravin, au bord de ce qui semblait être la limite de ce monde. Le soleil disparut derrière les nuages blanchâtres, pour ne laisser qu'un ciel taché de sang. Il ne resta plus de cet endroit que le vestige d'une beauté antérieur, datant d'il y a à peine quelque minutes.

Le froid vint mordre son corps quand elle sortit de ce qu'elle aimait appeler son chez-soi. Armé d'un simple châle et d'une paire de lunette de soleil miteuse, elle descendit la rue menant chez le petit épicier qu'elle adorait pour sa simplicité et ses bras prix. Pianotant sur son téléphone, elle laissa la jeune femme devant elle passer les articles dans un soupir, signe d'un ennui. Elle ne lui adressa guère de sourire ou de remerciement, le fait de lui rappeler sèchement qu'il lui manquait quatre dollars était une raison suffisante pour ne pas être amical. Elle arracha le sac des mains de la demoiselle, et reprit son chemin d'un pas hargneux. Elle était épuisée, et se demandait où diable avait elle pût trouver la force de descendre ces interminables marches. Passant devant le panneau " en panne " sans même rouspéter, elle n'en avait même la force. Sa porte se referma dans un fracas qui fit trembler la bâtisse qui lui servait de maison. Laissant tomber le sac blanc sur sa table, elle s'écrasa contre son matelas dans un soupir de soulagement. Étendue sur le lit, elle voulait réfléchir. Mais à quoi pouvait-elle réfléchir ? Elle chercha dans sa mémoire un quelconque événement dont il serait amusant de se rappeler, pourtant ne lui répondit que le vent faisant claquer ses volets. Elle ferma les yeux, voulant s'endormir, s'échapper de cette réalité qui aujourd'hui l'agaçait. Elle se recroquevilla sur elle-même, et pensa. Pensa à des choses, des responsabilités et une certaine vision du monde. Elle s'étonna elle-même, car oui, réfléchir pendant des heures n'étaient pas ce qu'elle préférait, foncer sans réfléchir était bien plus amusant. Elle réfléchit à ce qu'elle avait bien pu foirer dans sa vie pour se retrouver sur son lit à réfléchir à des questions existentielles inutiles qui n'avaient aucune raison d'être. Fouillant dans les tréfonds de sa mémoire, elle voulait trouver la réponse à cette question. Pourtant, alors qu'elle allait mettre un doigt, un nom un visage sur cette erreur, le sommeil vint l'enliser dans ses songes les plus sombres et les plus légers.

Elle était sur cette petite plage australienne. C'était son havre de paix. Personne n'osait fouler le sable de cette plage hormis elle, et elle n'avait jamais su pourquoi d'ailleurs, sans doute était-ce car elle était difficile d'accès, et donc difficile à trouver. Elle ramena ses jambes contre sa tête, elle voulait seulement contempler ce paysage et se laisser bercer par le bruit des vagues se fracassant contre les parois rocheuses. Elle était encore blonde à cette époque, platine même. Elle aimait la douceur et la tranquillité à ce moment, chose qui diffère en tout point de la personne qu'elle était aujourd'hui. Elle ne savait pas réellement pourquoi elle aimait tant aller dans cet endroit perdu dans les tréfonds de la côte australienne. Cette plage était jonchée de déchet en tous genre, et l'eau était parsemée des taches noirâtres qui contrastaient avec le bleu si pur de l'océan. Elle poussa un soupir, et se releva, faisant voler le sable qui était sur sa robe bleutée. Elle s'éloigna de l'eau, pour escalader le petit mur qui empêchait les fauteurs de troubles de s'inviter sur cette plage. En peu de temps, elle déboula sur une rue vide de toutes âmes, hormis l'enseigne lumineuse d'un bar. Elle courut tout simplement jusqu'au panneau signifiant l'arrêt temporaire de son bus à cet emplacement. Bus qui arriva d'ailleurs quelques secondes plus tard. Roulant sur la terre sablonneuse, elle regardait pensive le paysage défilait sous ses yeux azur. La route fut longue, mais elle fut l'exutoire de ses pensées les plus sombres, pour ne laisser qu'une coquille vide et fatiguée, voulant simplement rentrer chez elle. Elle toqua faiblement à la porte, et une certaine colère s'empara d'elle quand personne ne lui répondit. Elle déboula comme une furie dans le hall d'entrée, le tintement des clés, trouvées sous le paillasson, s'agitait avec la résonance de ses semelles sur le parquet. La faim lui tiraillait l'estomac, et c'est en se tenant fermement son ventre qu'elle se dirigea vers la cuisine, pour s'abreuver et se sustenter des mets délicats dont débordait la pièce. Un morceau de cookie dans la bouche, elle regarda le comptoir qui était parsemé de feuilles et de paperasses en tous genre. Pourtant, son cœur s'arrêta de battre quand elle prit une feuille entre ses doigts et lu en diagonale son contenu. Une brusque nausée vint s'emparer d'elle, et ses doigts desserrèrent leur emprise du morceau de gâteau qui s'écrasa contre le sol avant de s'écraser en mille morceaux. Elle plaqua immédiatement sa main contre sa bouche, prévoyant une remontée peu féminine. Ses iris parcoururent à nouveau la feuille, et la nausée se fit plus violente. Elle ne savait pas pourquoi elle réagissait ainsi à cette situation, sans doute était-ce la faute de ce vide que lui avait laissé le voyage en bus ? Ou alors était-ce les autres pensées innocentes qui contrastaient avec cette découverte ? D'une part, elle savait qu'elle n'aurait jamais dû rentrer avant plusieurs heures, ce qui expliquerait la raison de cette pagaille et de ces papiers placés de manière si ostensible. Cette rapide analyse lui permit de se calmer, pour laisser la colère supplanter la peur et l'incompréhension qui l'habitait jusque-là. ❝ Barbara ... Processus ... Adoption ... 19 Juin 1995. ❞ Quelque chose la dérangeant dans ce qu'elle venait de lire, elle se dit pendant un instant que tout ceci ne devait être qu'un rêve, car les situations impossibles et absurdes de films refirent surface, ce qui la réconfortait dans l'idée que tout ceci n'était point réel. Elle se pinça, sans s'en rendre compte, et poussa presque immédiatement une grimace. Son cœur tambourinait sa poitrine, et son sang bouillonnait dans ses veines. La colère monta trop vite, bien trop vite. Menteurs. Menteurs. Menteurs. Tout ceci se répétait dans sa tête. Pourquoi lui avait, il mentit ? Certes, sa réaction était absurde et démesurée, mais cela lui importait peu, à cet instant, elle voulait juste hurler. Elle préféra monter dans sa chambre, rassembler des affaires diverses, prendre toutes les économies et se barrer. Elle voulait juste partir de ce mensonge. En elle, elle savait qu'elle aurait pu leur pardonner, mais l'envie de quitter cet endroit était trop forte. Et cette petite bêtise avait suffi à être une assez bonne raison pour partir sans prévenir. Enfin, à part un petit papier suivit d'une excuse et du papier qui était son chaos et son salut. Elle se sentait légère à présent, elle était libre. Elle rit à cette réaction de colère et d'incompréhension. En vérité, tout ceci était véhiculé par l'envie et la joie d'avoir trouvé une excuse bidon pour partir de cet endroit. Même si en elle demeurait une question. Qui sont ses parents ?

Après cet événement, tout, c'est enchaîné. Les voyages, les amis, les rencontres. Sa teinture était le résultat d'une escapade un peu trop tardive à Tokyo. Elle avait fini par déambuler dans les rues de New-York, à la recherche d'un hôtel. Elle ne souvient pas dans quelles circonstances exactes elle est entrée plus ou moins en contact avec sa mère, mais se devait une nuit de ces soirées sans fin. À vrai dire, elle s'en fichait un peu de cet héritage, et ne voulait aucune reconnaissance de sa part ni de quelqu'un d'autres. Alors aujourd'hui, elle est là, dans son lit, elle se souvient. Elle se souvient pourquoi sa vie est ainsi, car elle l'a choisie telle qu'elle l'est. Elle avait malheureusement trop voyagé pour pouvoir être emmené dans ce fameux camp. Elle n'a jamais réellement voulu aller plus loin. Un sourire malicieux vint se creuser dans ses joues.

Et pourquoi ne pas s'amuser un peu, et changer de vie ?