Avant de commencer quoique ce soit, il faut bien préciser que Criostal n’intervient jamais, ô grand jamais dans les conflits. Elle les fuit comme la peste et, dès qu’il y a de l’animosité dans l’air, elle court se réfugier derrière les murs en pisés de son bungalow. Bien sûr, ce ne sont pas des situations récurrentes à la Colonie, car la plupart des pensionnaires s’entendent bien… Mais cela arrive et, avec son véritable talent pour se retrouver là où il ne faut pas, elle a souvent la malchance d’assister à des scènes qu’elle aurait préféré ne pas voir. Le déni de cette réalité assez dure a pourtant plutôt bien marché – du moins, jusqu’à maintenant.

Criostal marchait tranquillement, rentrant du réfectoire d’où elle venait de prendre son déjeuner. Peut-être parce qu’elle n’avait pas envie de croiser d’autres demi-dieux, ou tout simplement parce qu’elle ne voulait pas rentrer directement à son bungalow, mais dans tous les cas elle prit un petit chemin assez isolé qui lui paraissait bien charmant. Grossière erreur.

« T'es trop stupide ma petite, faut te réveiller tu sais, reprends une fille restée en retrait. Regarde-toi et ouvre les yeux : ce monde, c'est pas celui que tu crois être. Il est plein de violence et de haine. Tu comprends ça ? Les gens comme toi déshonorent le règne de notre père. (Elle entendit une sorte de bruit de crachat… Répugnant !) T'es dégoûtante. » Entendit-elle tout à coup, venant d’une sorte de petit coin encore plus reculé que le reste du chemin.

Se stoppant malgré elle, elle tendit l’oreille tout juste pour entendre des sanglots, mais semblant venir d’une seconde personne.  

Et puis, il y eut des bruits sourds. C’étaient des bruits qu’elle n’aurait pas souhaité reconnaître mais, bien contre sa volonté, son cerveau les associa immédiatement à des bruits de coups. Ce n’était pas des petites tapes amicales, mais beaucoup plus violents, des coups qui veulent faire mal – et qui le font, assurément. Ensuite, un appel à l’aide, et Criostal crût reconnaître la personne qui avait sangloté quelques instants plus tôt. Il y eut ensuite des bruits de voix, qu’elle ne parvint pas à identifier à cause du bourdonnement qui résonnait à présent à ses oreilles.

Elle aurait préféré ne pas avoir entendu tout cela. Entendre des gens pleurer, c’était sa faiblesse, enfin, son hypersensibilité était sa plus grande faiblesse. Elle ne pouvait laisser passer ça, parce que si elle le faisait, elle ne pourrait se le pardonner. Plaquant sa main contre sa bouche, elle tenta de reprendre sa respiration et de ne plus penser à tout cela. S’obligeant à se concentrer sur la couleur verte fulgurante des feuilles, elle parvint enfin à se calmer au bout de quelques secondes qui lui parurent durer une éternité.

Enfin, elle prit son courage à deux mains, mit de côté tout ce qu’elle s’était jurée de ne pas faire, et fit un pas vers là d’où elle avait entendu tous ces bruits de paroles. Elle n’y découvrit pas une, mais trois filles, ainsi qu’une quatrième, étendue au sol et dans un piteux état. Même si ce n’était pas le moment, Crio ne pût s’empêcher de la comparer à un oisillon tombé de son nid, et cette image lui donna un peu de confiance.

« Arrêtez ! » S’exclama-t-elle en venant se placer devant la jeune fille à terre, faisant barrière du mieux qu’elle pouvait du haut de son 1,56 mètre.

L’une des trois filles, la brune, ricana et la jugea comme si un gamin de 6 ans lui avait dit de lui laisser le passage. Crio se sentit soudainement minuscule et déglutit péniblement, sans pour autant changer de place. Elle était bien décidée à protéger la blonde coûte que coûte.

« Alors, Criostal, on a fini de faire la sieste ? » Fit la deuxième, visiblement très fière de sa réplique. La fille d’Hypnos se mordit la lèvre et décida de faire comme si elle n’avait rien entendu.

« Je vous conseille de partir très rapidement, avant que l’envie fulgurante d’aller faire part de vos exploits à Monsieur D me prenne. Trois contre une, c’est bien beau tout ça ! De la vraie cobardía, enfin, comme dites-vous, déjà… Lâcheté ? C’est cela ? Allez, dégagez maintenant. »

Elle croisa lentement les bras et planta son regard dans celui de celle qui semblait être la chef du trio. Au bout d’une minute, elles levèrent les yeux au ciel et partirent enfin, marmonnant entre elles des mots qu’il ne valait mieux pas essayer de comprendre. Dès qu’elles furent hors de vue, Crio’ se retourna et s’agenouilla auprès de la jeune demi-déesse, dont les bleus témoignaient de la réelle violence dont avaient fait preuve les trois pestes. Elle avait envie de la prendre dans ses bras et de l’emmener dans un endroit sûr et calme, sans vraiment comprendre pourquoi, après tout c’était la première fois qu’elle croisait ce petit ange à la Colonie.

« Est-ce que tu m’entends ? » Demanda-t-elle doucement.