Quand on joue de la guitare, on peut se la raconter. On se ramène avec son instrument dans le dos, on se pose dans un coin avec ses amis et on commence à jouer et chanter. Alors là, on possède la classe absolue. Le monde s'arrête pour écouter, ou venir applaudir. Et puis on se donne en spectacle l'air de rien, n'importe où et n'importe quand, ça passe sans problème.

Rose elle, joue du piano.

Alors allez vous ramener avec un piano sur le dos, vous poser au milieu d'un parc et jouer. Vous allez attirer l'attention certes, mais pas à cause du morceau interprété : plutôt à cause du piano, trônant au milieu de nulle part. Les gens seront plus intéressés par comment vous l'avez amené jusqu'ici plutôt que par la musique.

Enfin. Elle n'allait pas se plaindre. Le piano était une passion pour elle, et compensait son inaptitude à chanter. Le piano chantait à s'accompagnait tout seul, parfait compromis pour Rose, qui avait une voix à faire la pluie pour le mois à venir. Ainsi, elle se jetait corps et âme dans le piano, qui était sa façon à elle de vivre la musique, bien qu'elle ait secrètement toujours eu envie de savoir chanter, même rien qu'un peu.

En cette fin d'après-midi, la jeune blondinette avait décidé de marcher un peu durant son temps libre, pour être au contact de la nature et se recueillir un moment avec elle-même. Dit comme ça, elle passerait pour un vieux moine en fin de vie. Cependant, ces moments-là étaient privilégiés pour Rose, qui se aimait se sentir en paix entourée de la présence apaisante de la nature. Les doigts pianotant un air aléatoire sur sa cuisse, la sang-mêlée s'enfonça dans la forêt d'un pas joyeux et insouciant, espérant croiser la route de quelques papillons ou coccinelles.

- Bonjour toi ! fit-elle en passant devant une nymphe, qui lui répondit d'un signe de la main.

Ce genre de petites choses la rendaient heureuse. La forêt recelait de rencontres anodines mais plus uniques les unes que les autres. Et c'était bien pour ça que la blondinette aimait s'y promener. On y faisait toujours des découvertes, et d'une simplicité étonnante. Un peu comme Rose en fait.

D'humeur enchantée comme à son habitude, elle parcouru une petite distance avant de trouver un grand arbre au pied duquel elle s'adossa. Respirant l'air sylvestre à plein poumons, elle ferma les yeux et se laissa porter par les doux bruissements du vent. Elle allait presque s'endormir lorsqu'un fredonnement d'abord discret puis de plus en plus présent se fit entendre. Intriguée, Rose rouvrit les yeux et tendit l'oreille. Une mélodie familière provenait de sa gauche, et elle tenta de se rappeler le nom de la chanson, sans succès. Quelques secondes, elle laissa la voix mélodieuse de la jeune fille la bercer, puis elle hésita à la laisser s'en aller ou tenter de la rattraper. Cette voix l'obsédait presque, tant elle la trouvait pure et belle. Elle se damnerait pour avoir un dixième de cette voix. Finalement, elle ne pu se résoudre à la laisser filer et se dirigea furtivement vers la direction de sa provenance, en tentant de se faire la plus discrète possible pour ne pas la surprendre.

La chanteuse apparut enfin dans son champ de vision, au détour d'un petit sentier. Tout de suite, Rose s'en approcha et, l'espace d'un instant, n'osa pas l'interrompre. Mais prenant son courage à deux mains, elle toussota et commença timidement :

- Hum euh salut, je suis désolée de te couper comme ça mais...

Et elle se rendit compte qu'elle n'avait pas vraiment de raison de l'avoir abordée.

- J'ai juste trouvé ta voix magnifique, finit-elle avec sincérité.

Elle lui adressa un petit sourire et soupira, la regardant avec des yeux admiratifs.

- Je donnerai n'importe quoi pour avoir le dixième de ton talent !

Enthousiasmée, la jeune fille en oublia complètement la politesse et ne se rendit même pas compte qu'elle avait surgi de nulle part, sans se présenter ni rien. Elle n'avait en tête que la voix sublime qui lui avait été donné d'entendre.