Dix-neuf ans plus tôt. Première fête.

«-Je t’aime.
Ariane murmurait ses mots, le cœur battant, fébrile. Elle ne l’avait jamais dit à aucun homme avant. Ces 3 mots lui avait fait toujours peur. Mais lui, oh, elle l’aimait, elle en était sure. Ils ne s’étaient rencontrés que quelques mois auparavant pourtant. La scène était gravée dans sa mémoire, elle se la repassait sans cesse, comme pour s’assurer que cette rencontre avait bien eu lieu, qu’elle n’avait pas rêvé. Elle se souvenait que c’était sa première fête à New York, qu’elle était toute intimidée. Sa colocataire lui avait prêté une robe moulante qui mettait en valeur son corps galbé, et tous les garçons l’avait dévisagée. Elle s’était sentie femme pour la première fois. Finie la jeune adolescente complexée qui se cachait sous ses grands pulls !  Elle dansait, dansait, dansait. Elle qui avait toujours été un peu gauche, elle se déhanchait avec une assurance nouvelle. La soirée était remplie de monde, sa colocataire lui avait dit que toute la jeunesse branchée de New York s’était retrouvée. Ils étaient tous si beaux, si cools, si différents des gens qu’elle avait fréquenté dans sa banlieue parisienne huppée. Elle se sentait enfin à sa place. Le dj jouait un morceau assez bizarre, on aurait dit un chant grec antique remixé sur de la techno. Elle avait des frissons, elle ne savait pas pourquoi. C’est alors qu’elle le vit dans la foule. Ce fut le coup de foudre. Autour de lui, la foule dansait de façon… mystique était le seul mot qui lui venait à l’esprit. Ils avaient tous les yeux révulsés, le sourire aux lèvres et ils se mouvaient comme des serpents, en ondulant leurs corps. Ils étaient ecstatiques. Ils semblaient tous presque fous. Surement l’effet d’une quelquonque drogue pensa la française. Ariane posa son regard sur celui qui semblait être le chef de cette foule en transe. Si elle avait déjà remarqué que certains fêtards s’était déguisés (elle avait été d’ailleurs draguée par un mec éméché déguisé en licorne),lui sortait du lot. Il ne portait qu’un pagne en peau d’animal et une couronne de fleurs qui auréolait ses cheveux bouclés. Il ressemblait à un dieu païen, sauvage et puissant. Il était beau, d’une beauté étrange qui la fascinait. Alors qu’elle le contemplait, hypnotisée, leurs regards se croisèrent. La jeune femme aurait voulu décroché le regard mais pour une raison inconnue, elle ne semblait pas en être capable. Ils restèrent là, a se regarder pendant ce qui lui parut une éternité. Autour d’eux, les gens continuaient de danser sur la musique qui semblait devenir de plus en plus oppressante. L’inconnu, tout en continuant de la regarder, commença à s’avancer vers elle. Ariane avait l’impression qu’elle ne pouvait plus respirer, comme si tout l’air de la pièce s’était enfui. Elle s’agrippa son verre de whiskey, sa bouée de sauvetage. Oh non ! Que faire ? Elle se sentait aussi tremblante que lors de son premier baiser. Elle essaya de se calmer, en vain. L’inconnu se rapprochait dangereusement comme un prédateur vers sa proie. Il fut devant elle en quelques secondes qui parurent à Ariane une éternité. De près, son aura divine était encore plus impressionnante. Il était encore plus beau, ses yeux sombres comme les eaux profondes lui donnait envie de se noyer dedans. Son torse, ruisselant de sueurs était bien  définis, sculpté. Il lui rappelait ces statues grecques qu’elle avait tant de fois admirées au Louvre Elle déglutit, et essaya tant bien que mal de lui parler sans perdre tous ses moyens.

-Sa..Salut, chouette soirée hein ? Euh, j’aime bien ta couronne !

Ariane était mortifiée. Putain. Elle aurait voulu se frapper. Sérieusement y’avais pas plus débile comme technique d’approche ! C’était trop la honte. Il allait lui rire au nez et elle ne le reverra plus jamais. Elle avait tout fait raté, encore une fois. Pourtant, à ces mots le jeune homme se mit à sourire, pas d’un sourire moqueur mais d’un vrai sourire, chaleureux et quelque peu malicieux. Sans dire un mot, et toujours le sourire aux lèvres, il l’as pris par la main et il l’emmena au milieu de la foule de danseurs.

Depuis cette soirée, Ariane et lui ne faisait plus qu’un. Ils étaient faits l’un pour l’autre, elle le savait. La vie avec lui était une succession de fêtes toutes plus délirantes les unes que les autres. L’avenir lui paraissait radieux, rempli de joie et d’amour. Elle se sentait même prête à fonder une famille avec lui.
Pourtant ce tableau n’était pas aussi idyllique qu’elle aurait voulu croire, il partait souvent sans dire où il allait et revenait le visage sombre et soucieux. Et si Ariane lui avait tout dit de son passé, lui, restait toujours très vague, évitant les questions personnelles. Mais Ariane, complètement dévouée à son amour, se fichait de son passé, seul leur avenir lui importait. Elle lui avait dit « je t’aime » pour la première fois. Plongée dans le noir de la nuit, accoudée à la fenêtre de leur minuscule appartement, fumant sa cigarette, elle attendait la réponse de son amant à sa confession. Ce dernier, lui tournant le dos, était assis sur le rebord du lit. Cela ne présageait rien de bon.

-Ariane…Il faut qu’on parle»

Deux ans plus tôt .Dernière fête.

« -Mais que t’arrives-t ‘il Gaspard ? Tu souris ? Sérieux, j’ai toujours cru que ta bouche –que soit dit en passant m’excite affreusement - en était incapable !

-Oh, fermes là et embrasse-moi !

Passant la main dans les cheveux bouclés de Gaspard, Charlie embrassa le brun avec ferveur. Oui, Gaspard était heureux. Il avait dix-sept ans et ne s’était jamais senti aussi vivant. Ses problèmes lui paraissaient loin. Il était aussi heureux qu’un sang mêlé pouvait l’être. Ce soir, pas de monstre cherchant à le dévorer, ni de dieu venu chercher la bagarre. Il pouvait enfin passer une soirée normale. En effet, ça pouvait paraitre cliché de dire ça mais Gaspard n’était pas comme les autres adolescents de son âge. Il était le fils d’un dieu grec, Dionysos et il avait peu de chance de vivre jusqu’à son vingtième anniversaire. Son « père » lui avait appris ça le jour de son huitième anniversaire. Surprise ! Comme si s’occuper d’une mère complétement folle n’était pas un poids assez lourd pour les frêles épaules d’un petit garçon, voilà qu’il fallait en plus éviter de se faire tuer par des créatures mythologiques. Heureusement, il y avait Charlie. Ah, Charlie… Le fils de Morphée avait toujours été là pour Gaspard, dans un premier temps pour le protéger des monstres et dans un second pour lui faire découvrir sa bisexualité. Ils avaient tous deux refusé de vivre à la colonie malgré l’insistance des différents satyres venus à leur rencontre. Ils étaient bien mieux  juste tous les deux, à vivre d’amour et d’eau fraiche. Certes, c’était une vie dangereuse mais Charlie, tel un preux chevalier était toujours là pour occire les méchants de son épée. Ils se retrouvaient la plupart du temps dans la boite de nuit ou Charlie faisait le plongeur. Ce soir-là ne faisait pas exception. Gaspard était déjà bien défoncé, et il se sentait bien, la musique lui résonnait dans la tête, il voulait danser. Le fils de Morphée observait son copain avec amusement, bien qu’il n’approuvait pas les penchants de ce dernier pour les différentes drogues qu’il prenait, il était soulagé de voir Gaspard enfin sourire.

-Bon, tu viens danser ? demanda le brun, ne tenant plus en place.

-Attends deuspi, faut que j’aille vider les poubelles. J’fais ça et j’suis tout à toi bambino. » Lui répondit le blond  d’un ton enjoué.

Seul au milieu de la foule, le fils de Dionysos était beaucoup trop défoncé. Il avait du mal à se concentrer ; les objets et les gens se confondaient, sa vision était un peu floue. Pris d’un soudain vertige, il se laissa tomber dans un fauteuil en acajou. Il ferma les yeux un petit moment. Quand il les rouvrit, Charlie n’était toujours pas revenu. Ce n’était pas normal. La panique l’envahissa soudainement, et se frayant un passage à travers les gens il courut jusqu’à la porte de derrière, qui donnait sur les poubelles. En voyant le spectacle qui s’offrait à lui, le jeune homme poussa un hurlement. Charlie, étendu sur le sol, l’épée encore à la main, le corps complétement massacré, se vidait peu à peu de son sang. Il lança un très faible « dégage» adressé à Gaspard. Le monstre à l’origine de ce crime était une Harpie qui se réjouissait d’avance de son diner. Ensuite tout alla très vite comme dans un mauvais film d’action un peu bâclé. Le cri de Gaspard attira l’attention de la harpie et sa joie fut décuplée : deux sang mêlés pour le prix d’un ! Alors qu’elle fondait sur sa proie paralysée par la peur et le chagrin, elle reçut un coup de poignard dans le ventre. Il devait sa vie à un satyre, qui par un hasard  heureux, était venu dans la boite de nuit afin de s’occuper d’un autre demi-dieu .Le satyre se précipita vers Charlie et tenta de le ranimer. Mais ces plaies étaient beaucoup trop profondes et déjà, il était agité de ces dernières convulsions. Le satyre lança un regard empli de  tristesse à Gaspard et ferma les yeux de ce qui fut son petit ami. Le jeune ne pouvant plus supporter l’horreur de ce qui venait de se produire, tomba, inanimé.

Présent.

Gaspard vit désormais à la colonie. La mort de Charlie à complétement chamboulé son existence. Il est terrifié du monde extérieur et n’est plus capable d’y mettre les pieds.Ce n’est plus que l’ombre de lui-même,chaque jour le rapprochant un peu plus de la folie.