-Et tu penses sortir avec lui un jour ou pas alors? Je demande d'un air distrait à ma meilleure amie tout en commençant à m'habiller, laissant mon pyjama sur mon lit défait. On vient à peine de se réveiller qu'on se retrouve à discuter au téléphone. Comme d'habitude, on a toujours des dizaines de choses à se raconter, qui ne peuvent jamais attendre. Mais en ce moment, je n'en peux plus de l'entendre parler de garçons, de la voir se maquiller plus qu'avant et de la sentir lointaine la plupart du temps. Le lycée l'a complètement changé, elle se retrouve avec une faible moyenne générale et elle ne pense qu'à sortir à la fin des cours. J'ai beau lui répéter que je ne veux pas traîner, elle ne cesse de me dire que je devrais me décoincer un peu.
- J'en sais rien Shae, tu sais l'amour ça ne se commande pas! continue telle de brailler.
Je sais bien que tous le monde change un jour, mais je commence sérieusement à me demander si on lui a fait un lavage de cerveau. J'ai déjà vu quelqu'un se transformer littéralement après cette expérience, dans un film. Mais si jamais je lui lance qu'elle est plus énervante qu'ordinaire, je ne suis pas sûre qu'elle le prenne bien. Enfin, la dernière fois que je lui ai reproché son manque de tact, elle a tourné les talons et ne m'a reparlé que le soir même. Un record pour nous deux. C'est vrai, on se connait depuis la maternelle, c'est la première à m'avoir adressé la parole. Je me souviens, elle portait deux nattes et ses ballerines étaient roses. Elle ne ressemblait en rien à maintenant, c'est bien dommage car au moins on s'entendait bien, on passait notre temps à rire et à s'amuser en désobéissant. On ne peut pas dire que j'aime suivre les règles et que je passe mon temps à réviser, c'est sûr que c'est plutôt le contraire. J'adore provoquer les gens et je ne me laisse jamais marcher sur les pieds. C'est peut être pour cette raison que je n'ai pas énormément d'amis mais je suis bien un fameux proverbe, il vaut mieux être seul que mal accompagné. Et forcément quand je dois choisir entre les deux je prends la première solution, c'est logique. Enfin, certaines filles seraient prêtes à ne rester qu'avec des personnes qu'elles supportent à peine pour le simple plaisir de se sentir entouré. Je trouve que c'est déprimant. Tout comme le fait d'aller en cours.
- Shae tu vas être en retard si tu continues!
Je m’attache rapidement les cheveux en me faisant une queue de cheval, puis je lance du premier étage:
- Ca va j'arrive!
Je saisis mon sac de cours Eastpak gris clair, puis déclare à Jo que je dois y aller avant de raccrocher. Encore une journée de travail forcé. Les cours, à part ceux de sport, c'est comme une torture pour moi. Je passe mon temps à rêvasser, attendant que l'heure tourne et que la sonnerie vienne me délivrer de chaque heure qui passe avec une lenteur extrême. Et lorsque je ne suis pas perdue dans mes pensées, je dessine sur mon cahier ou je me fais interroger sur une leçon dont je ne connais que le titre. Et encore, il faut que j’aie écouté pour le savoir, ce qui est à mes yeux un véritable exploit. C'est vrai, si j'essaye d'apprendre un cours assez sérieusement, je devrais recevoir une médaille! Mais non, c'est bien une bulle que je trouve en retour. Une belle bulle bien ronde qui me rappelle toujours que je ne suis malheureusement pas une surdouée et que je devrais peut être commencer à bosser. Mais c'est sans cesse la même chose, le lendemain j'ai autre chose de prévu de bien plus important que des maths ou du français. A quoi cela va t-il me servir de savoir effectuer une inéquation? Si quelqu'un se fait agresser dans la rue je ne vais pas prendre un carnet et lui réciter mes leçons, non un bon poing dans la tête du type qui est assez stupide pour s'en prendre à lui et c'est réglé. Si seulement mes professeurs pouvaient penser de la même manière...
- Shae! hurle ma mère en tapant du pied avec force.
Je descends les marches quatre à quatre, puis lorsque je suis assez près du sol, saute et dans un bruit sourd, atterri accroupi. J'ai l'habitude d'être en retard alors pour gagner un peu de temps j'ai trouvé cette technique qui me permets d'avoir de précieuses secondes en plus. Je me redresse puis esquisse un sourire:
- Je suis là!
Ma mère soupire puis, exaspérée, me réponds d'un ton qui ne présage rien de bon:
- Tu sais très bien que je déteste quand tu fais ça! Bon allez file, ton père t'attends encore pour changer.
Je prends mon casque et fonce dans le garage où mon père m'attend, sur sa moto. Elle est noire et rouge avec derrière de quoi poser un bagage de la taille d'une valise. J'y mets mon sac de cours et l'enfourche ensuite avant de m'accrocher autour du ventre de mon père et de lancer:
- Démarre!
Mon père actionne le moteur et nous partons en trombe en direction de mon lycée. Le vent fouette mon visage alors je baisse la visière et profite de la route. Pour une fois il fait beau, le soleil n'est pas caché par les nuages et le vent balaye mes cheveux en arrière me faisant sentir en liberté. Quelques minutes plus tard nous sommes arrivés. Je descends en soupirant, déçue de devoir abandonner si vite la route pour me consacrer à mes études et à l'ennui.
Je rejoins mes deux amies, Jo et Emily puis nous entrons en classe. Emily est différente de mon amie d'enfance, elle est beaucoup plus sage et réfléchie. Elle ne rate jamais une heure de cours et connait énormément de choses. On dirait un dictionnaire! Enfin, plus que huit heures à tenir dans ce trou à rat. Je jette mon sac à côté de mon bureau et tire ma chaise sans la moindre délicatesse. Heureusement que dans deux mois c'est les vacances. Il n'y a que deux jours dans l'année que je peux supporter: le premier parce que je suis curieuse de savoir mon emploi du temps et tout ce qui a changé, et le dernier car il signifie la liberté. Les vacances, il n'y a vraiment que ça de vrai. Je me vois déjà en train de surfer sur une plage à San Francisco avec mon père ou faire de l'équitation, des grains de sable s'échappant des sabots de mon cheval au ralenti tandis que nous galopons, profitant de cet instant pour s'en aller de notre quotidien monotone et désespérant.
- Mademoiselle Shae? Pouvez-vous nous honorer de votre présence?
Des ricanements se font entendre des quatre coins de la classe et je lève les yeux vers Mme Collins, mon enseignante de littérature anglaise. On dirait qu'elle est tout droit sorti d'un roman de Jane Austen. Elle est plutôt mince, brune et très strict. Elle ne s'habille que de gris ou de noir et ses lunettes sont rondes. C'est le genre de personne que je ne peux pas supporter. Mais je ne supporte pas grand monde alors vous me direz, une de plus, une de moins quelle différence?
- Oui? je réponds tout en souriant légèrement.
La professeure me regarde avec intention quelques instants qui me semblent durer une éternité, puis elle reprend la parole pour m'annoncer une excellente nouvelle:
- Vous avez une heure de retenue. Pour toutes les fois où je vais demander de m'écouter au lieu de rêvasser ou de bavarder avec votre camarade de classe. Vous êtes un élément perturbateur de la classe et je n'apprécie pas vos manières, mademoiselle. Maintenant redressez vous et écoutez le cours avant que je ne change d'avis et que je ne vous exclue définitivement de ce cours que vous semblez trouver si intéressant.
Un rictus se forme autour de sa bouche et je me mets à râler à voix basse. Ma voisine de classe m'entends et rit doucement, mais pas longtemps car dès qu'elle sent le regard du Corbeau se poser sur elle, elle se pince les joues et recommence à écouter le cours.
Enfin une douce musique résonne à mes oreilles, celle de la délivrance alors je range mes affaires rapidement. C'est la pause. Jo se pose à mon niveau et rejette sa chevelure blonde en arrière. Emily arrive par derrière, du fond de la salle. Elle me regarde des ses yeux foncés tout en fronçant les sourcils de désappointement. Pour toute réponse, je hausse les épaules.
- Une heure de colle? Sérieusement Shae?!
Emily est très sérieuse, elle ne rate jamais une seule journée de cours et ne bavarde pas en classe. Elle est très intelligente et déteste me voir échouer. Sauf que cette fois-ci je ne vois pas en quoi c'était ma faute! Je n'ai rien fait pour mériter une punition pareille.
- Avoues quand même que Mme Collins y est allée fort Emily! rétorque Jo, pour me soutenir, tout en me faisant un clin d'œil discret.
Mon amie finit par hocher la tête. Nous sortons dehors et savourons un bref moment l'air frais. Je discute un peu mais le devoir nous rappelle déjà alors nous rentrons. Trois heures plus tard et un ventre qui cri de plus en plus famine après, il est temps d'aller manger. Nous nous rendons au réfectoire où des salades, de la viande et de petits pois à moitié chauds sont au rendez vous.
- Comment est-ce qu'ils font pour rendre la bouffe aussi dégueulasse? lance Jo en se pinçant le nez.
- J'ai une théorie la dessus mais je ne suis pas sûre qu'elle te plaise, je réponds en souriant légèrement, tout en saisissant un plateau encore mouillé et faisant la queue.
A l'entrée du réfectoire, tout le monde se bouscule. Comme si ça allait changer la qualité de notre nourriture tiens. Je prends machinalement mes couverts et le verre le plus propre que je trouve, ainsi qu'une assiette garnie de jus de petit pois et de viande encore rose et pas assez cuite. Emily désigne de la tête une table dans un coin, près de la fenêtre et de sa main libre, passe une mèche de sa longue chevelure brune et bouclée derrière son oreille. Nous la suivons Jo et moi sans plus attendre et nous asseyons lourdement. Il y a des morceaux de pain à moitié déchiquetés sur la table et finalement Emily se dévoue pour les déplacer ailleurs.
- Bon, qui va chercher le pichet? je lance en piquant ma viande avec ma fourchette comme si c'était du poison.
- Toi, rétorques Jo en découpant la sienne avec son couteau.
J'éclate de rire et me retournes vers la table la plus proche où des pichets remplis d'eau sont posés. Je les saisis sans plus attendre et les pose sur la table. Jo en choisis un et se sers. Je tends mon verre impatient et elle m'en verse à moitié à côté.
- Eh! je crie à moitié.
Je récupère le peu d'eau qu'il me reste et lui jette à la figure. Mon amie d'enfance s'apprête ensuite à me rendre la pareille lorsqu'Emily nous fait un regard noir à toutes les deux.
- Les pions arrivent vers nous. Bravo les filles! dit-elle en chuchotant.
Nous levons toutes les deux les yeux au ciel et finalement ils passent sans nous réprimander ou nous faire la moindre remarque.
- Tu vois?! lui lance Jo en se décontractant et se calant au fond de son siège.
Emily acquiesce puis prends un morceau de son pain et le fourre dans sa bouche. Elle ouvre ensuite son livre de biologie mais Jo n'a pas l'air du même avis.
- Ah non, tu ne nous ramènes pas les cours à table quand même! Laisse-nous juste le temps d'un repas avant de replonger là dedans!
Emily referme son bouquin et le range dans son sac à bandoulière noir.
- Ca va je vérifiais juste un truc! Pour l'interro de toute à l'heure.
Je fronce les sourcils et mâches mes petits pois avec dégoût. Lorsque je les ai enfin avalés je lance d'un ton très peu rassuré:
- Quelle interro? On a pas d'interros après n'est ce pas?
Mon amie studieuse baisse la tête d'un air désespéré.
- Shae! Ca t'arrive de noter tes devoirs?
Je la regarde, désemparée. En tout cas c'est sûr si je l'ai déjà fais je ne m'en souviens pas.
- Euh...de temps en temps, oui.
- C'est ça, menteuse! Dis-moi quand c'était la dernière fois pour qu'on rigole un peu!
Jo assiste à la scène en souriant. Je lui jette un regard en mode "c'est ça marre toi, après c'est à ton tour" et fais mine de réfléchir à la question de mon autre amie.
- La dernière fois, c'était...Ah je sais c'était le jour où j'ai vu Lucy l'homme préhistorique. Pourquoi?
Jo recraches toute l'eau qu'elle avait dans son verre et Emily grimace:
- Parfois je me demande vraiment ce que je fais avec vous.
- Nous aussi, et tous les jours Em', rétorque Jo pour la taquiner.
Un petit sourire s'affiche alors sur le visage couleur café au lait d'Emily qui finit son pain et en deux bouchées.
- Et bien, tu viens de manger la seule chose comestible du repas sans la savourer! Je lui lance en lui faisant un clin d'œil.
Emily pourrait manger n'importe quoi de toute façon, la plupart du temps c'est elle qui termine nos assiettes. Elle se nourrit pour quatre et pourtant elle est taille mannequin. C'est déprimant.
- Ca c'est vrai, renchérit Jo en jouant avec ses petits pois devenus complètement froids.
Elle pose ensuite sa fourchette sur son plateau et me donne un coup de coude dans les côtes pour me faire lever la tête en direction de la foule qui attend d'être servie.
- Quoi? Je la questionne en haussant légèrement un sourcil.
Jo se met subitement à rire.
- Mais regardes Noah. T'as vu comment il est craquant? Et puis ses abdos en cours de sport...Ne me disent pas que tu ne l'avais jamais remarqué?!
Je soupire. Et c'est reparti.
- Je suis en binôme avec lui je te signale donc oui, mais je ne le trouve pas magnifique pour autant. Franchement a part ses tablettes de chocolat, il n'a rien de spécial.
- Oh mais arrêtes un peu! Ses abdos sont parfaits et son visage n'est pas si terrible que ça.
- Non mais tu as vu son nez? lance Emily en s'incrustant dans la conversation.
Je penche la tête sur le côté, suivit par Jo qui répond, déprimée:
- Bon tu as peut être raison. Mais si jamais il fait de la chirurgie esthétique et que ça réussi aussi bien qu'à Blake Lively, je lui demande de m'épouser direct! Je ne compte pas finir vieille fille moi!
Emily et moi soupirons alors de concert.
- Non mais tu t'es déjà regardé dans un miroir? Si tu finis vieille fille, alors moi je ne veux même pas en parler! fait mon amie en lui tapotant gentiment l'arrière de la tête.
Jo lève les mains.
- D'accord, je plaide coupable.
C'est vrai que ma meilleure amie n'est pas vraiment moche, plutôt le contraire. Elle possède de longs cheveux blonds descendant en cascade au niveau de ses épaules et ses yeux bleus pleins de malice reflète son côté joueur et malicieux. Ses petits fossettes et son sourire ajoutent avec son corps de rêve, une touche de charme et de féminité que seule elle arrive à transmettre.
Des doigts claquent devant mon visage et je sursaute.
- Shae? Tu es avec nous?
Nous continuons de parler durant une trentaine de minutes puis quittons le réfectoire et ses bruits assourdissants pour affronter la chaleur de ce début d'après midi. Je suis mes deux amies dans la cour et nous nous posons sur l'herbe, à l'ombre.
- Bon Em', expliques moi ce que je dois savoir pour l'interro je t'en supplie! Si je reviens avec une autre mauvaise notre ma mère va péter un câble! Déjà que je n'ai pas rangé ma chambre...
- Très bien, dit mon amie. Mais tu as intérêt à être attentive et à ne pas oublier que je suis ta sauveuse.
- Oki.
Finalement après dix minutes d'échange, je finis par comprendre le cours de biologie et je m'allonge sur le sol tout en me repassant ce que je dois savoir dans l'esprit.
Nous regagnons notre rang au moment où la cloche sonne pour subir encore quatre heures de torture. Au moment du contrôle je lance un regard désespéré à mon amie qui me répond en levant le point d'un air encourageant.
A la fin de la journée, je suis exténuée mais heureuse de rentrer chez moi. Je range mes affaires puis, accompagnée de mes deux amies, je franchis le portail de l'établissement. Je m'aperçois alors que quelqu'un m'observe depuis quelques instants. Je lève la tête en direction de mon interlocuteur et esquisse un sourire. C'est Josh. On est plus ou moins sorti ensemble un mois mais notre relation était trop compliquée et puis je ne l'aimais pas vraiment. Je ne sais pas, je ne ressens pas l'amour comme les autres, c'est étrange et effrayant. Et puis, je n'ai aucune envie d'abandonner ma virginité, pourtant je pourrais presque dire que Jo n'attend qu'une seule proposition pour se lancer.
- Alors tu ne veux plus m'adresser la parole? me demande alors une voix masculine