Mon caractère…(souffle) j’en ai pas vraiment. Rester là, m’entraîner quand il le faut. Je n’aime pas trop le contact, et parle bien peu, reclus dans mon monde. Certains me disent que je suis agoraphobe, voire même misanthrope… D’accord je n’aime pas la compagnie et préfère de loin cette bienveillante solitude. Mais la nuit est si douce, si fébrile, je m’y sens si bien que presque tout le jour durant je ne fais qu’attendre l’apparition des constellations cosmiques, alors que la plupart des pensionnaires sont déjà couchés.  Parfois je me demande à quoi rime ma vie... Tous les êtres que je peux côtoyer vivent pendant les heures diurnes, suis-je né du bon côté ? Dans la bonne espèce ? Être une de ces chauves-souris serait merveilleux, excitant, survolant les sombres étendues transformées ainsi la nuit durant.  Alors je dors beaucoup le jour, ce qui me vaut le merveilleux surnom de « paresseux ». Mais ce n’est que pour attendre ce moment où comme tout à chacun le jour, on se sent réellement réveiller, libre et heureux. Certains observent les couchers de soleil au bord de la mer. Je ne peux pas dire que cela ne me réjouit pas, annonçant l’arrivée de la nuit. Mais avez-vous déjà observé un coucher de lune. Sublime, radieux et intense, d’une extrême et pale clarté. Douce lumière argentée révélant ma peau sous splendeur et beauté.

Je dois bien admettre que je parais bien pâle de peau face à certains pensionnaires. Presque d’aspect maladif, qui va parfaitement avec « ma morphologie de blasé de la vie » m’a-t-on dit. Malgré les moqueries, je continue à m’accrocher à la vie. À survivre. Peut-être sont-ce ces moqueries qui m’éloignent de plus en plus de l’Humanité, comme un immense fossé ténébreux qui ne cesse de s’agrandir et dont un jour je pense, je ne verrais plus l’autre rive. Assez maigre de nature, je m’en contente, je mange pour survivre et non pour vivre. Espérant par-là, une possible réincarnation, qui sait ? Et la nature dans la plus grande cruauté dont elle est capable, m’a également dotée de cheveux aussi noirs que le jais et d’yeux aussi sombres que de l’encre, faisant ressortir mon teint blafard… À force d’entendre toutes ces moqueries, je les assimile. J’encaisse. J’encaisse toujours plus. Mais plus ça va et plus je les accepte. Pire je les utilise désormais pour me décrire. Quelle triste vie est la mienne.

Toute une vie à dégoûter celle que l’on connaît. Imaginez.
Je suis né une nuit de décembre, le 21 pour être précis. Ce moment où le jour reprend ses droits et les imposent à la nuit, avant que cette dernière ne reprenne son dû. Ma mère, Nyx, je ne l’ai jamais vue. Enfin hormis dans les gravures et les quelques livres que j’ai pu lire. Bizarrement, elle a dû me transmettre son penchant pour les heures nocturnes. C’est ce que je pourrais appeler un canon dans la gente féminine. Ça paraît bizarre de dire  ça de sa mère je sais, mais c’est comme une étrangère pour moi. Je ne l’ai jamais connu. J’aimerais un jour, avant qu’un cercueil ne me coupe de toute lumière et m’enferme dans son domaine à jamais. Je sais également qu’il y a très peu de chances pour que cela arrive un jour. Les dieux ne se préoccupent que très peu des demi-dieux. Pire, ils jouent avec nous. C’est étrange, mais j’imagine parfaitement ma mère en boîte de nuit, séduire de sa longue robe noire de nombreux hommes. Bon…euh…ça fait bizarre de parler autant d’un coup et de choses aussi intime devant un micro. (rires)
Bon, continuons. Mon père est un de ces connards de vieux se croyant toujours jeune et draguant de la donzelle en boîte de nuit pour son seul plaisir. Il ne vit que pour ça. Il travaille tout juste pour vivre. Quoiqu’il en soit dès mes trois mois, il est devenu clair que mon père ne s’occupait pas de moi, me laissant dans mes couches des jours entiers sans les changer (à ce que l’on m’a raconté), me donnant à manger quand il y pensait et me laissant seul la plupart du temps. Aussi je lui fus retiré pour être placé dans un foyer d’accueil. Et plus je voyais mes amis d’antan s’en aller, plus mon envie de solitude devenait grande. Mon caractère changea. De joyeux, je pris des airs maussades, blasé. Et je ne fus pas adopté (certainement à cause de ce mauvais caractère que je m’étais forgé, mais je ne le regrette en rien). Jusqu’à ce jour où tous m’abandonnèrent.
Depuis toujours j’étais habitué à la vision nocturne et à la sensation plaisante que procurait la nuit, tant et si bien que même quand je courrais je semblais aller plus vite. Mais il vint un moment mes pouvoirs (que je ne savais pas encore détenir) se révélèrent. Les personnes qui me côtoyaient devenaient momentanément aveugles dès qu’elle m’approchait. Elles attribuèrent d’abord ça à des notions médicales de fatigue, etc. Mais force est de constater que l’accumulation d’autan de cas ne peut être le fruit du hasard. De là, on me fit consulter un médecin auquel je me confiai, lui parlant de mes escapades dans la nuit la plus complète, le fait de voir dans l’obscurité qui semblait l’étonné et le faire rire, ainsi que mon bien être dans ces moments. Il me fit passer nombreux examens et connut lui aussi ces moments de cécité, qu’il ne put par ailleurs jamais expliquer. On me relégua bientôt à cobaye humain dans un hôpital dans lequel je restai cloîtrer. Loin de là le foyer qui m’avait rejeté aussitôt la confirmation faite que j’étais le trouble dans cette histoire.
Des mois dans ces chambres aseptisées et désinfectées en permanence. Tant et si bien que l’odeur qu’ils tentaient d’éliminer et qui formait une absence d’odeur en devenait une.
Cependant dans ce quotidien terrifiant vint un jour une lumière dans l’obscurité de mon existence. Mon sauveur, si je peux appeler cela comme ça. Un satyre, qui m’emmena au camp duquel j’enregistre cette bande son. Oui, il est 02h38 du matin et vous êtes avec Jayan dans la rubrique « histoire contée » (rires).
Bon, si je vous saoul dites-le moi. J’arrêterai, ou arrêtez d’écouter. J’ai tellement peu l’habitude de parler que cela doit être ennuyant… Je sais même pas si j’aurais la persévérance de m’écouter jusqu’au bout. Bon je vais terminer rapidement dans ce cas pour sauver les quelques persévérants.
Donc j’en étais à mon arrivée au camp. Presque aussitôt arrivé, ma mère me reconnut et tous regardèrent au-dessus de ma tête quelque chose. Ils parurent surpris. Mais au fil des jours, leur fraternité (de nom seulement) se mua en moqueries, bousculade. Vous savez ce que j’en pense. ET il est temps d’arrêter l’enregistrement. Il n’y a plus de batterie.