Je ne pouvais pas décider de mon avenir. Ma mère l'avait scellé à tout jamais, l'avait rendu affreux. J'étais trop petite pour qu'elle s'en aille, qu'elle me laisse avec un homme  brillant, certes, mais irresponsable. Elle ne pouvait pas me laisser avec ce père si affreux qui s'intéresse plus à ses inventions, son travail et son roman qu'à sa propre fille.  « Sophie, Sophie, Sophie, me disait-il. Je suis en train de te responsabiliser. Tu n'as pas besoin de Papa pour te coucher, ma petite princesse. » Il disait ça, mais je savais qu'il mentait. Il voulait finir le chapitre quinze de son livre et mes cris, mes souhaits et mon envie d'être serrée contre cet homme sans coeur ne pouvaient que le perturber. Il m'a donc envoyée au lit, où je sanglotais chaque soir après des demandes qui finissent toujours par la même réponse.
Non, Sophie.
Alors un jour, j'ai craqué. Je me rendais, comme d'habitude, à mon école par le raccourci (je passais par le parc, grimpais le grillage et j'étais déjà arrivée !). Je m'apprêtais une nouvelle fois à me faire innondée d'insultes ridicules, à me faire harceler par mes camarades. A la récréation, je me suis précipitée sur le portail de mon école, j'ai grimpé en utilisant les barrières en fer verticales, puis je suis passée de l'autre côté.
J'étais libre.
Sans faire attention aux cris des autres élèves qui étaient en train de me signaler à la maîtresse, je poursuis ma route dans les grandes rues de New York. Je ne connais pas très bien cette ville, mais je sais, que derrière mon école, il y a une grande forêt qui s'étend à perte de vue. Alors je longe le grillage de l'école en courant toujours et je finis par m'enfoncer dans la forêt. Les arbres étaient tellement grands et leurs feuilles si épaisses qu'on aurait pu croire qu'il faisait nuit. Mais il y avait des petits trous entre toutes ces feuilles et cela permettait de faire passer un peu de lumière. Je suis arrivée sur une petite colline avec une merveilleuse cascade. Je suis descendue prudemment grâce au petit escalier (en était-ce vraiment un ?) couvert de mousse. J'ai traversé le ruisseau et me suis retrouvée sur une petite place assez grande pour que j'y établisse mon campement.
J'ai rassemblé les feuilles qui traînaient par terre pour me faire un lit. Je me suis roulée en boule sur mon amas de feuilles. Puis je me suis mise à penser à mon père et aux élèves de mon école. Avais-je eu raison de faire cela ? Oui, oui, bien-sûr. Une personne qui est dans une telle situation, ce n'est pas une vie convenable. Et je me sentais un peu bizarre, dans ma tête. Je faisais des cauchemars sur des araignées, chez mon père. J'espère que ça s'arrêtera... mais pourquoi ? Après tout, je me suis livrée à un véritable danger. J'étais en sécurité, chez moi, au moins. Mais je suis courageuse, je le sais bien. Je vais survivre.
Mais ça, c'est ce que je croyais.
J'ai soudain entendu des pas. Ils se pressaient vers moi. Je me suis levée, j'étais en train de me frotter les mains pour me réchauffer un peu. J'ai alors poussé un cri. J'ai entendu un mugissement terrible, comme un taureau. Je suis restée figée. J'ai alors vu une silhouette devant une autre silhouette énorme et terrifiante. La première silhouette, semblable à celle d'un homme, m'a recommandé d'aller me cacher. Je me suis ruée sur les buissons, m'y suis fourrée dedans et ai attendu. Il y avait des larmes sur mes joues. J'avais peur, très très peur, parce que c'était totalement invraisemblable, ce géant taureau qui se bat avec un homme.. on ne voit ça que dans les films. J'étais confuse. J'ai des hallucinations, ou quoi ? Non, c'est bien réel.
L'homme se battait courageusement. Il esquivait à merveille, donnait des coups incroyables et la créature ne savait plus comment attaquer. Puis elle a essayé de lui foncer dessus. J'ai poussé un autre cri, mais ce garçon était vraiment très fort. Il a esquivé une nouvelle fois et a fini par donner tant de coups d'épée dans la nuque de cette chose qu'elle s'est effondrée par terre. Puis elle s'est désintégrée et j'ai remarqué un tas de cendres.
Je suis sortie de ma cachette. Le garçon aux cheveux noirs transpirait, il était haletant. Il s'était très bien battu et je voyais qu'il était satisfait de lui, mais une lueur de peur se remarquait également dans son regard.
- Merde, une mortelle.... a-t-il murmuré.
- Quoi ? ai-je répliqué. Et qu'est-ce que c'était, cette horreur ?
- Tu l'as vu ?
- Bien-sûr ! Je ne suis pas folle !
Il a froncé les sourcils. Moi aussi. Il régnait dans cette forêt une confusion totale. Lui croyait que je ne voyais pas le monstre, mais ça semblait stupide, comme question. Bien-sûr que je le vois, qui ne le verrait pas ? On est resté un bon moment silencieux. Puis il a demandé :
- Tu vois mon épée ?
J'ai soupiré.
BIEN-SÛR QUE JE LA VOIS TON EPEE. TU ME PRENDS POUR UNE FOLLE ? J'étais en train de bouilloner intérieurement, parce que j'avais peur, je ne comprenais rien, il me prenait pour une idiote et j'avais essayé de me sortir de ma vie affreuse, mais là, j'avais vu surgir un monstre et c'était tout autant affreux ! Et je n'avais rien mangé depuis un petit moment et je déteste ça. Je me suis mise à penser à mon père, qui dirait sûrement que je reviendrai. Cette pensée-là était celle qui a fait déborder le vase. Je ne suis pas forte mentalement, c'est sûr. Finalement, je n'ai pas répondu à la question du garçon, j'essayais de me calmer. Puis j'ai grogné :
- - Ouais, ouais, je la vois, je ne suis pas stupide, tout de même !
Il a froncé les sourcils. Moi aussi. Il régnait dans cette forêt une confusion totale. Lui croyait que je ne voyais pas le monstre, mais ça semblait stupide, comme question. Bien-sûr que je le vois, qui ne le verrait pas ? On est resté un bon moment silencieux. Puis il a demandé :
- Tu as vu le minotaure et tu vois mon épée... murmura-t-il.
- Le minotaure ? C'était un "minotaure" ?
- C'est ça. Mais il est mort.
J'ai hoché la tête. Puis je lui ai montré mon campement et on est parti se reposer. Et il m'a alors fait le plus grand récit du monde.
« Je vois bien que tu n'es pas normale, disait Adonis (il m'avait donné son nom). Mon récit va peut-être te paraître étrange mais... Tu es dyslexique et tu es hyperactive, non ? (J'ai hoché la tête, étonnée) . Ce sont les caractéristiques d'une demi-déesse. A moitié humain, à moitié dieu. La mythologie grecque, tu la connais un peu, non ? Les dieux existent. Les nymphes, tout ça, les centaures, les monstres comme le minotaure, tout ça, c'est la réalité. Ce monde est cachée par la Brume - tu en apprendras plus à ce sujet plus tard-. Les mortels ne voient pas les monstres, toi, si, tu es une demi-déesse. La question, maintenant, est de savoir qui est ton parent divin. Tu m'as dit que tu avais perdu ta mère. C'est donc une déesse. Mais on en reparlera... Je vais t'emmener à la Colonie des Sang-Mêlés. C'est un endroit où il y a plein de gens exactement comme toi. Ils ont juste des parents divins différents. Tu y trouveras des frères et soeurs. Tu t'y feras des amis. Tu apprendras à te battre, à survivre, tu pourras manger, jouer, apprendre des choses... c'est le meilleur endroit du monde pour nous, les demi-dieux. Dehors, les monstres te sentent. Ils peuvent t'attraper et te tuer. Vivre jusqu'à un âge avancé pour un demi-dieu, c'est difficile.. Voilà pourquoi  tu dois apprendre à te battre. Tu apprendras vite, je te le promets. Tu vas découvrir notre merveilleux monde et tu vas enfin te trouver une place. Fini, l'étiquette du "môme à problèmes". Tu vas vivre dans un monde avec des dieux, tu vas les honorer, les prier et tu vas pouvoir montrer ta fierté à l'idée que tu es la fille d'une déesse. Athéna, Déméter, Aphrodite, Hébé, Némésis, Iris, Hécate, Tyché ou Niké, par exemple... Mais, une nouvelle fois, tu auras plus d'informations à la colonie. Je vais t'accompagner, sinon tu vas te faire déchiqueter par un monstre... »
Et c'est ainsi que j'ai rejoins la colonie des Sang-Mêlés. Et j'ai découvert qu'Athéna, déesse de la sagesse et de la stratégie guerrière, c'était ma mère.