«
Viens ici ! »
Ne pas répondre. Rester cachée. Ne pas répondre. Tiens ta langue ! «
Viens ici, j'te dis ! »
Tais-toi ! Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! «
Arthur ! descend d'ici tout de suite ! » «
Jamais ! »
Mais pourquoi est-ce que j'ai répondu ?! «
Tu vas voir... » Silence. Brusquement, on n'entend plus que le sifflement du vent dans les branches et le chien qui aboie non loin. Arthur sort lentement sa tête des feuilles vertes. Et le silence disparaît aussi vite qu'il était apparu. Un bruit de moteur résonne dans la rue.
Il a sortit la tronçonneuse ! Il va abattre l'arbre. Et moi avec. Sans réfléchir, Arthur posa un pied sur une branche basse afin de descendre. Aussitôt, le vrombissement cessa et une main agrippa sa cheville. «
Je te tiens ! » Il tire. Arthur tombe, face contre le sol poussiéreux. Deux épaisses semelles noires sont dans son champ de vision. Elle sent qu'on la soulève de terre et se retrouve debout devant son père. Elle n'a que dix ans et lui arrive à peine aux épaules. Elle est menue, il est large comme le tronc de l'arbre. «
Quand j't'appelle, tu viens ! » Arthur baissa la tête. Plus pour ne pas paraître effrontée que par peur. Son père l'empoigna et la tira derrière lui jusqu'à l'intérieur de la maison. Un berger allemand les rejoignit presque immédiatement, mais il fut vite congédié par son maître.
«
C'est aujourd'hui qu'a lieu l'exécution de Billy Stone, au Huntsvill Unit
du Texas. Âgé de trente-huit ans, il a été déclaré coupable pour avoir tiré sur un pompier, décédé sur le coup. Il avait lui-même mis le feu à l'immeuble en plein centre de Houston. Il était père d'une petite fille de onze ans, placée en famille... » L'écran s'éteignit et Arthur se redressa. «
Tu ne devrais pas écouter cela, Leven. Ce n'est pas pour toi. » Mme Adcock se trouvait derrière le canapé, la télécommande dans une main, son sac dans l'autre. «
C'est quand même de mon père, qu'ils parlent. » rétorqua Arthur. La femme ignora la remarque et dit d'un ton faussement enjoué qu'elle allait faire des courses. «
Tu m'accompagnes ? » «
Non. » Mme Adcock se retourna et ouvrit la porte lorsqu'Arthur l'interrompit. «
Puisqu'il va mourir, je vais devoir aller dans un orphelinat ? » «
Je... hésita la femme, gênée.
Je ne sais pas, Leven. J'aimerais te dire que non, mais je n'en sais rien. » Et elle partit.
Arthur quitta le canapé. Elle hésita un instant à rallumer la télé mais se dirigea finalement vers la cuisine. Entre le frigo et l'évier, devant la porte-fenêtre, un grand chien dormait. Il se leva dès qu'Arthur franchit le seuil et vint jusqu'à elle. «
Alors, Rantanplan, comment ça va, mon vieux ? (Elle le gratta sous le menton.)
J'espère que tu pourras venir avec moi quand je partirais... Encore une fois. » Arthur soupira et retint ses larmes, tandis que Rantanplan retournait se coucher. Quelques mois avant l'incendie, Arthur avait été confiée à la famille Adcock : monsieur, madame, et leur fils Aaron, sept ans. La seule chose que son père l'avait laissé prendre, c'était le chien.
La femme devait avoir la trentaine, mais elle paraissait aussi jeune que si elle avait vingt ans. Ses cheveux blonds comme les blés étaient coiffés à la perfection. Ses yeux noisette brillaient de malice. Arthur se surpris à la regarder avec admiration. Elle était absolument magnifique. «
Bonjour, Arty ! (Mme Adcock toussota en entendant l'ancien surnom d'Arthur, mais la femme n'y prêta pas la moindre attention.)
Je me nomme April Ecclestone, mais tu peux m'appeler April. Je suis venue te sauver de l'orphelinat » ajouta-t-elle plus bas. Arthur avait maintenant presque treize ans. Elle était en âge de comprendre, et elle aurait put sauter de joie en apprenant qu'elle allait quitter les Adcock. Ce qu'elle aurait fait si un détail ne la préoccupait pas. «
Rantanplan ! Il peut venir ? De toute manière, il est hors de question que je parte sans lui. » April soupira comme si elle s'était attendue à la réaction de la jeune fille. «
Bien sûr qu'il peut venir ! dit-elle à contrecœur, mais toujours souriante.
Va le chercher, nous partons. » «
Maintenant ? » demanda Arthur, à Mme Adcock, cette fois-ci. «
Oui, maintenant. Aller, file. Adieu... »
«
Les mortels sont si faciles à manipuler ! » lança April Ecclestone, à peine entrée dans sa voiture de luxe noire. Arthur, assise sur le siège passager, n'avait pas tout de suite tiqué. «
Les... mortels ? » «
Les humains, si tu préfères. » «
Qui êtes-vous ? » «
Je te l'ai dit, je m'appelle April. April Ecclestone. Tu devrais d'ailleurs utiliser mon nom maintenant. Ça vaudrait mieux. » «
Qui êtes-vous vraiment ? » répéta Arthur, peu convaincue. «
Tu ne me crois pas ? Tu as raison. (April se recoiffa et s'observa, satisfaite, dans le rétroviseur.)
Puisque tu veux la vérité, je vais te la donner, mon chou. (Elle jeta un coup d'œil à Arthur, qui ne prit pas la peine de répondre.)
Je suis Aphrodite, déesse de l'Amour. Et toi, ma belle, tu es une demi-déesse. » Si elle avait été au volant, Arthur aurait pilé net. A la place, elle émit un rire nerveux et dévisagea April, qui paraissait plus sérieuse que jamais. «
Qu'est-ce que ça veut dire ? » réussit-elle finalement à articuler. «
Tu as parfaitement compris, répliqua Aphrodite.
Maintenant, tu m'écoutes, et tu essaies de me croire du mieux que tu peux. »
Arthur avait écouté et retenu toutes les informations que lui avait donné la déesse. Elle s'était alors retrouvée au pied de la colline au pin, et la voiture avait disparu. «
Bonjour ! Je m'appelle Arthur Ecclestone et je suis une demi-déesse. Comme vous, il paraît. » marmonna-t-elle en grimpant le flanc de la colline. Dans sa tête se bousculaient des sentiments contradictoires : elle était heureuse d'avoir quitté sa famille d'accueil, mais triste de découvrir qu'elle n'aurait finalement pas de nouvelle maman. Elle avait hâte de découvrir la Colonie des Sang-Mêlé, même si ce nouveau lieu l'effrayait un peu. Une partie d'elle croyait tout ce que lui avait raconté Aphrodite, mais l'autre pensait qu'elle devenait folle. Or elle était prête à croire tout et n'importe quoi tant que cela la mènerait loin de son ancienne vie.
Arthur avait atteint le sommet de la colline et descendait maintenant l'autre versant. Le temps qu'elle arrive en bas, une dizaine de pensionnaires était déjà attroupée là. «
Qui es-tu ? » demanda aussitôt l'un d'eux. Arthur hésita entre donner son vrai nom ou utiliser celui que lui avait conseillé la déesse, avant de répondre. «
Je m'appelle Arthur Ecclestone. Je suis... une demi-déesse. » «
Évidemment. Qui t'as amené là, Arthur ? Un satyre ? » s'interrogea l'autre demi-dieu, visiblement intrigué par le fait qu'elle soit seule. «
Non, c'est... » Arthur s'interrompit. Les pensionnaires fixaient tous un point au-dessus de sa tête. Elle-même regarda en l'air et vit l'hologramme rose représentant une colombe tournoyer au-dessus d'elle. Chiron, le centaure tel qu'il avait été décrit par la déesse, se détacha soudain du groupe et s'inclina devant elle. Arthur l'entendit prononcer les paroles qu'elle redoutait. «
Salut à toi, Arthur Ecclestone, fille d'Aphrodite, reine des colombes, déesse de l'Amour. »
«
Arthur ! tu viens ? » «
Oui, oui, j'arrive ! »
Rose ? Brun ? Rose ? Blond ? Devant son miroir, Arthur hésitait. Elle n'était pas très coquette, mais elle aimait bien ses cheveux. Surtout leur couleur, en fait. Et elle en changeait si souvent qu'elle se souvenait à peine de celle qu'elle avait porté la veille.
Rose ! Elle détacha son regard du miroir, saisit son poignard, et franchit le seuil de son bungalow... avant de s'arrêter net.
Oh, et puis non. Brun. Ses cheveux changèrent aussitôt de couleur et elle partit d'un bon pas vers le pavillon-réfectoire. Elle s'assit à une table, échangea quelques mots avec son meilleur ami, puis alla s'asseoir aux côtés de ses demi-frères et sœurs. Son actuel petit ami passa lui voler un baiser - et un gâteau par la même occasion. La journée commençait.