Parfois, je me dis que pour nommer son enfant d’un prénom bizarre ou vraiment très ancien, à la limite du ridicule, il faut quand même être un peu fou. Ou alors vraiment passionné. Je crois que c’est le cas de mon père : fou et passionné de philosophie. Bon, faut pas croire, je l’aime beaucoup mon père, après tout, c’est le seul parent que j’ai véritablement connu.
Je n’ai pas trop les détails de comment ils se sont connus, mes parents. De ce que le paternel a daigné me raconter, c’était au sein de l’université dans laquelle il enseignait. Oui, parce que c’est un prof de philo, et oui, il faut le supporter à la maison. Mais je m’égare. Il aurait rencontré ma mère parce qu’elle était une collègue d’histoire. Il faut croire qu’ils se sont vraiment bien entendus, parce qu’un beau jour, il m’a découvert sur le pas de la porte. Comme un colis livré par la poste.
Elle avait dû finir par le mettre au courant de sa nature divine, parce qu’il m’a juré qu’il n’avait pas hurlé de surprise en voyant un gamin dans un landau devant chez lui. Ou bien c’était à cause de sa nature très… comment dire… disons que c’est un être particulièrement dans la lune. Il pense toujours à autre chose qu’au moment présent. Les effets secondaires d’une overdose de philo.
Et c’est pour ça qu’il m’a appelé Pythagore. Parce que ce mec qui a vécu quelques millénaires en arrière, non content de vous emmerder avec son superbe théorème, a carrément inventé le terme de philosophie. Entre autres. Histoire de paraître à peu près normal, il m’a aussi affublé du prénom Oliver, mais il ne faut pas sortir d’Harvard pour faire le lien avec les oliviers, la Grèce, Athéna, tout ça. Un fou je vous dis.
Au final, j’ai eu une enfance assez normale, en tout cas pour un demi-dieu. Bien sûr, j’avais des problèmes pour quelqu’un de parfaitement banal, mais à la colonie, on connaît tous : la dyslexie, les problèmes d’attention, et une sacrée propension à s’attirer les ennuis. Surtout quand on ne les cherche pas. Et le fait d’être d’une nature assez timide et réservée, toujours plongé dans mon monde (intérieur comme imaginaire, j’ai toujours aimé inventer des histoires) n’a sans doutes pas aidé.
Mes premiers vrais ennuis, comprenez par là avec des monstres et pas des voyous extorqueurs de goûters, je ne me suis même pas rendu compte de l’anormalité de la chose. Etre poursuivi par un gros chien, ça va, pas si extraordinaire que ça, quand on ne fait pas trop attention à où on met les pieds. Par contre, le fait qu’il s’agisse d’un énorme chien, dégoulinant de bave et j’en passe qui sort en réalité des enfers, alors là, ça m’avait même pas frappé au premier coup d’œil. Avec mon père, j’avais l’habitude d’imaginer des créatures mythologiques alors me retrouver face à l’une d’elle, disons que ça ne m’avait pas vraiment frappé. Par chance, j’ai réussi à lui échapper et ne me demandez pas comment, j’en ai aucune idée.
Pour les suivants par contre, ça a été un peu plus tendu. Pour une fois, mon père s’était rendu compte que quelque chose n’allait vraiment pas. C’est à ce moment là qu’il s’était souvenu que ça pouvait être une idée sympa de m’envoyer dans un lieu plus en sécurité. Vous voyez, la lumière du génie avec l’expression « Eurêka ! ». Il m’a emmené en urgence à la colonie des sang-mêlés, en m’expliquant sur le chemin que si je faisais autant de fois la course avec des gros chiens ou que je rencontrais des personnes bizarres, c’était parce que je n’étais pas une personne lambda.
A 10 ans, allez comprendre des concepts comme le cosmos ou la transmigration d’âme, et j’en passe. Dans son charabia de prof, je compris en gros que la mythologie était réelle, que les dieux grecs existaient et que j’étais l’enfant d’un d’entre eux. Normal.
Difficile à croire. Jusqu’au moment où nous étions arrivés à la colonie et que j’ai été accueilli par un satyre. Et ensuite, un centaure avait fait son apparition. Il a fallu que je me fasse à l’idée. A partir de cet instant, j’ai vécu à l’année à la colonie, n’étant récupéré par mon paternel que de temps en temps, une fois par mois, pour un week-end en général.
Chez les Hermès, je ne suis resté que deux ou trois mois, jusqu’au jour où, avec d’autres petits nouveaux, nous avons mené une incursion chez les Arès pour qu’ils arrêtent d’essayer de nous enfermer ou de nous couler dans les toilettes. J’avais établi la stratégie, qui s’était soldée par un hilarant défilé des Arès à poil entre le lac et les bungalows, car nous avions soigneusement subtilisé leurs vêtements. C’est là que j’ai été reconnu par ma mère et que j’ai déménagé chez les Athéna.
C’est là que je me suis construit, épanoui, dans cette « deuxième » famille qui est devenue ma famille tout court. Les années passant, je me suis révélé très doué pour le maniement des armes même si ma passion, c’est resté les bouquins. J’ai bien l’intention de publier les miens un jour mais, en attendant, et depuis la fin de la guerre contre Cronos, j’ai préféré passer du temps dans le monde des mortels à mettre de l’argent de côté.