Morphée était véritablement épaté ! C’est quand même fou ce qu’un homme peut être une ordure ! Il se retira du rêve en prenant soin de faire en sorte que cette pourriture fasse des cauchemars pour le restant de ses jours. Il visionnait parfois, quand l’ennui le prenait, les rêves des mortels. Il avait jeté son dévolu sur un homme qui avait l’air tout à fait adorable et qui dormait tranquillement, à côté de sa femme.

Et là, alors que sa femme est juste à côté, il le voit en train de rêver de sa voisine bombasse qui fait des cochonneries devant lui. Par curiosité, il  a également visité le rêve de sa femme où elle semblait très amoureuse de lui et où il la demandait en mariage.

Les mortels sont hypocrites, mais il y a bien une chose qu’ils ne peuvent pas contrôler. Alors, oui, ils peuvent mentir et ce dire qu’ils s’aiment mais leurs rêves, eux, en disent longs ! En seulement une nuit, il avait découvert que l’homme fantasmait sur sa voisine alors que sa copine rêvait de l’épouser. Pour le punir, le dieu des rêves l’avait donc condamné à ne plus pouvoir dormir tranquille pour le restant de sa vie. Il deviendrait sûrement fou.

Oui, Morphée avait un sens de la justice assez particulier. Et il pouvait se montrer sévère. Mais bon, tant pis. Parfois, lorsque qu’il imaginait Criostal, seule, aux mains d’un home, il avait envie de hurler. De toute manière, si jamais un homme faisait le moindre mal à sa sœur, il le priverait de sommeil et regarderait ses nerfs lâchés un à un puis mourir dans d’atroces souffrances faute de pouvoir dormir. Et il se régalerait du spectacle.

Il déploya ses ailes et décida d’aller voir Criostal justement. Il se rendit à la colonie et alla directement dans son bungalow. Visiblement, elle venait de se réveiller. Et elle était seule. Il frappa à la porte avant d’entrée, un sourire aux lèvres :

« Coucou, là dedans ! »

Chaque matin, Criostal trouvait un avantage à avoir comme père Hypnos, dieu du sommeil : elle passait toujours d’excellentes nuits sans jamais faire de cauchemars. Et, voyant les cernes horribles qui se creusaient sous les yeux de ses camarades sangs mêlés, elle se disait que c’était vraiment chouette de ne pas ressembler à un mort-vivant dès l’âge de 18 ans. Ce matin-là, n’ayant rien de prévu au programme, elle décida de rester dans son lit, profitant du confort du matelas et de la chaleur. Dehors, elle pouvait entendre les gouttes de pluie marteler le petit toit du bungalow, celui-ci ressemblant à une chaumière. Bien sûr qu’il faisait pâle figure face aux autres : comment concurrencer un bungalow doré, ou un autre recouvert de belles plantes en tout genre ? Mais cela ne la dérangeait pas, cet endroit était sa maison pour elle, là où elle avait enfin sa place. Et à ses yeux, il rayonnait mille fois plus que ses voisins, malgré son petit côté pittoresque.

Pensive, elle commença lentement à divaguer vers des souvenirs de son enfance qui réveillèrent en elle un profond sentiment d’amertume. Oui, elle se l’était jurée en arrivant aux Etats-Unis, elle devait oublier ce chapitre de sa vie. Mais tout, malheureusement, le lui rappelait : que ce soit son reflet dans le miroir, les mots anglais qu’elle ne comprenait pas dû à son analphabétisme ou tout simplement son absence de culture, tout la ramenait dans le passé. Il lui suffisait de fermer les yeux pour visualiser à nouveau les bidonvilles, la décharge, le visage de sa tante énervée, la mort, la mort, la mort. Se recroquevillant sur elle-même, elle décida qu’elle s’était faite assez de mal comme ça et, comme un bébé, replongea aussitôt dans un sommeil réparateur.

Ce fut des bruits toqués à la porte qui la réveillèrent en sursaut tandis que la silhouette de son frère, Morphée, se dessinait à l’intérieur du bungalow. Clignant des yeux, encore à moitié endormie, elle l’entendit dire d’un ton enjoué.

« Coucou, là dedans ! »

Sortant de son lit, elle courut le prendre dans ses bras et se serra contre lui, bien trop heureuse de le retrouver, surtout après les pensées d’avant sa sieste.

« Morphée ! T’es venu me rendre visite ? » Demanda-t-elle, son visage se fendant d’un grand sourire. Pendant un instant, elle se demanda s’il avait le droit d’être ici – mais elle écarta aussitôt la question, puisqu’elle s’en fichait éperdument. Son frère, son sauveur ! Il était là, juste devant elle ! « Je suis sûre que tu as des choses à me raconter ! Viens, installe-toi ! » L’invita-t-elle en lui indiquant le petit canapé du bungalow, tandis qu’elle sortait deux tasses pour préparer des chocolats chauds. Après quelques secondes d’hésitation, elle rajouta des nuggets de poisson – son pêché mignon – et revint chargée du tout pour s’asseoir à côté de son frère, à qui elle tendit la tasse. « Tu me manquais. Y’a pas un seul jour où je pense pas à toi, j’te jure. »

Au moment où il entra, il se demanda s’il avait le droit d’être ici. Puis, il écarta la question, il s’en fichait éperdument. Surtout quand il vit Criostal sourire. Là, Zeus en personne aurait pu le lui interdire, il y serait allé quand même.  Elle se précipita vers lui en courant :

« Morphée ! T’es venu me rendre visite ? »

Il la serra contre elle en souriant. Par Hypnos, elle lui avait manqué ! Il lui répondit :

« Oui, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas parlé ! »

Elle l’invita à s’asseoir, lui disant qu’il avait sans doute un tas de chose à lui raconter. Il se laissa tomber sur le petit canapé du bungalow. En temps normal, être ici l’aurait gêné car tout cet endroit respirait son père, et ça, il n’aimait pas trop. Mais, là encore, en cet instant, il s’en fichait.  De plus, le bungalow était, contrairement aux autres modestes ce qui valait, aux yeux du dieu des rêves prémonitoires, mille fois mieux qu’un bungalow riche et doré.

Elle revint s’installer à côté de lui avec deux chocolats et une assiette. Il la remercia pour la tasse qu’elle lui tendait et piqua un nugget.

« Tu me manquais. Y’a pas un seul jour où je pense pas à toi, j’te jure. »

Une fois encore, il lui sourit. Lui aussi pensait à elle tous les jours. D’ailleurs, il la surveillait de loin tous les jours. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Il la serra encore une fois contre lui et demanda en la relâchant :

« C’est plutôt toi qui doit avoir des choses à me dire ! »

Il avala une gorgée de chocolat chaud avant de regarder sa sœur. Il ajouta :

« C’est toujours aussi bien la colonie ? »

Morphée la serra une nouvelle fois dans ses bras, ne cachant même pas sa joie d’être là.

« C’est plutôt toi qui doit avoir des choses à me dire ! » S’exclama-t-il avant d’avaler une gorgée de chocolat chaud et de demander. « C’est toujours aussi bien la colonie ? »

Crio, soufflant sur sa tasse, esquissa un petit sourire en coin. Quelle question ! Elle avait toujours adoré vivre à la Colonie, qui s’était présentée à elle comme sa nouvelle maison. Tout ici la mettait à l’aise et sa vie n’avait jamais été aussi heureuse depuis.

« Bien sûr ! Y’a pas un instant où je m’ennuie : si je suis pas à l’armurerie pour gérer les stocks, j’aide quelques demi-dieux insomniaques ou bien j’essaie de m’entraîner à me battre… Mais je te cache pas que c’est plutôt désastreux, je suis vraiment trop nulle. » Expliqua-t-elle en riant. « Et puis, avec l’hiver qui vient, je crois que je vais bientôt pouvoir voir de la neige, t’imagines ? J’arrive pas à croire que ça paraisse si anodin pour tout le monde ici, parce que la neige, c’est super cool. Un peu froid… Mais super cool. »

Elle avala quelques gorgées de chocolat chaud, sentant le liquide chaud la réchauffer, et piocha un nouveau nugget de poisson. Le souvenir de sa visite dans l’appartement de Luke lui revint en tête : pendant quelques minutes, il avait été question d’une vie en dehors de la Colonie. On lui avait toujours parlé du monde de dehors comme dangereux, empli de monstres… Mais Luke avait raison : elle ne pouvait pas vivre à la Colonie indéfiniment. Tôt ou tard, elle devrait s’intégrer au monde contemporain américain, un monde qu’elle connaissait à peine.

« Dis, Morphée, toi qui voyage tout le temps… C’est vrai qu’en dehors de la Colonie, le monde n’est pas protégé ? Qu’on peut se faire attaquer à tout moment par des monstres ? » Demanda-t-elle d’une petite voix.

Elle lui fit un petit sourire en coin qui le fit lui-même sourire. C’était vraiment bon de la voir aussi heureuse. Il savait qu’elle s’était toujours plu à la colonie. C’était comme une maison pour elle. Honnêtement, il l’avait un peu amené là-bas à contrecœur. Il aurait préféré la garder près de lui. Et pourtant, il s’était décidé à le faire et s’il avait su combien cela allait lui plaire, il l’aurait fait bien plus tôt. Elle souffla sur sa tasse fumante et s’exclama :

« Bien sûr ! Y’a pas un instant où je m’ennuie : si je suis pas à l’armurerie pour gérer les stocks, j’aide quelques demi-dieux insomniaques ou bien j’essaie de m’entraîner à me battre… Mais je te cache pas que c’est plutôt désastreux, je suis vraiment trop nulle. Et puis, avec l’hiver qui vient, je crois que je vais bientôt pouvoir voir de la neige, t’imagines ? J’arrive pas à croire que ça paraisse si anodin pour tout le monde ici, parce que la neige, c’est super cool. Un peu froid… Mais super cool. »

Morphée, une fois encore, ne put retenir un sourire. La neige. Il comprenait que Criostal s’émerveille devant elle. A la fois si pure et si blanche. Mais décidément trop froide pour le dieu des rêves prémonitoires. Il but encore un peu de liquide brûlant et posa sa tasse vide sur la table basse tandis que sa sœur lui demandait d’une petite voix :

« Dis, Morphée, toi qui voyage tout le temps… C’est vrai qu’en dehors de la Colonie, le monde n’est pas protégé ? Qu’on peut se faire attaquer à tout moment par des monstres ? »

Le dieu resta un instant songeur. Lorsqu’il voyageait avec elle, il avait toujours fait en sorte de la préserver des créatures hostiles. Ces dernières n’attaquaient généralement pas les dieux. Mais elles n’hésitaient à tuer des demi-dieux. Et il s’était appliqué à ce que sa sœur ne voit pas cette vérité. Elle avait passé des moments difficiles dans son bidonville et il ne tenait pas à la confronter à d’autres dangers. Pourtant, il regarda Criostal en face et dit sans mensonges, ni embellissements :

« Oui. Les monstres sont sans pitié, là, dehors. Il sente l’odeur des demi-dieux à des kilomètres à la ronde. Plus les demi-dieux sont puissants, plus ils sentent fort et plus ils se font attaquer. »

Il la regarda un moment avec inquiétude. Songeait-elle à partir ? Bien sûr, elle ne pourrait pas vivre à la colonie éternellement, mais elle était encore jeune. Et il ne voulait la voir affronter le dehors. En plus, elle se plaisait à la colonie. Il ajouta donc :

« La colonie est bien plus sûre. »

Elle voit bien que Morphée réfléchit avec précaution à ce qu’il va dire car il sait que sa réponse aura des conséquences. Finalement, il relève la tête vers elle et lui d’un air très sérieux.

« Oui. Les monstres sont sans pitié, là, dehors. Il sente l’odeur des demi-dieux à des kilomètres à la ronde. Plus les demi-dieux sont puissants, plus ils sentent fort et plus ils se font attaquer. » Son visage traduit bien son inquiétude et elle tente de lui sourire pour le rassurer. Tous deux avaient toujours entretenu une très bonne relation, elle savait qu’il était capable de tout pour la savoir en sécurité. « La colonie est bien plus sûre. » Rajoute-t-il comme pour tenter de la convaincre.

Elle baisse les yeux et fixe le fond de sa tasse en pinçant les lèvres. D’un côté, elle ne voulait pas lui causer de souci et l’inquiéter, mais de l’autre elle ne pouvait s’empêcher de rêver d’une vie normale, à New York, avec peut-être même un job. Une perspective d’avenir. Ne plus dépendre de personne.

« Ouais… Mais moi, je ne suis pas très puissante hein ? Je veux dire, je ne suis pas une enfant des Trois Grands… Tout ce que je sais faire c’est endormir les gens. Les monstres s’en fichent de ça, non ? » Demande-t-elle sans grande conviction. Morphée a raison. Elle ne compte plus les fois où des demi-dieux lui ont raconté avoir été attaqués dans la rue par quelques empousas furieuses.

« Je ne vais pas passer toute ma vie à la Colonie quand même… » Dit-elle en fourrant un nugget dans sa bouche. « Je n’ai pas envie de vivre ma vie cachée par peur d’être un jour attaquée. Les demi-dieux passent leur vie à s’entraîner au combat, ça veut bien dire quelque chose non ? On est préparés à cette vie et aux dangers qu’elle représente. »