Sa première interaction avec Will n’avait pas été assez concluante à son goût. Après qu’il ait quitté la table des Héphaïstos, son chien entre les pattes, Neven s’était dépêché de finir de son repas en volant dans les différents plats avant d’interroger un sang-mêlé lambda pour savoir où se situait l’atelier-bunker du forgeron. Elle était bien décidée à ne pas le lâcher, du moins pas tant qu’il accepte l’idée qu’il n’était pas un danger permanent pour la Colonie – en gros, c’était mal barré. Après avoir reçu une vague indication, elle s’était précipitamment redressée et voletait à présent sur un petit chemin de terre s’écartant un peu du centre de la Colonie, ce qui n’était guère étonnant. Elle voyait mal Will dresser son atelier en plein milieu de l’arène et distribuer des prospectus autour de lui en invitant les autres adolescents à venir l’observer.

Continuant sa route, elle aperçut enfin le fameux atelier et, par la même occasion, la silhouette de Will qui se situait à quelques mètres à peine. Si elle ne mettait pas le turbo, elle pouvait être sûre qu’il s’enfermerait dedans pour les douze prochaines heures et qu’il serait plus facile pour elle de cambrioler la banque américaine que d’y rentrer. Posant ses mains en porte-voix autour de sa bouche, elle cria.

« Will ! Attends-moi s’il-te-plaît ! » Et, telle une comète, elle prit lentement appui sur le sol, aux côtés du fils d’Héphaïstos. « Tu marches vite dis donc. Tu sais à quelle vitesse j’ai dû voler pour te rattraper ?  Encore un peu et j’aurais dû attendre la prochaine éclipse pour te voir sortir de ton antre. » Elle esquissa un petit sourire en coin et se tourna pour admirer le bunker qui faisait donc office d’atelier.

« C’est donc là où tu te protèges du reste de la population. Bizarrement, ça ne m’étonne pas que ça ait cette gueule-là. J’ose même pas imaginer l’intérieur… » Elle haussa un sourcil, laissant planer un silence pendant quelques secondes, avant de demander. « Est-ce que je peux entrer ? Ou alors c’est un territoire interdit aux nymphes super sympas ? »

Le petit chien - Spark, elle avait retenu la leçon – se mit à la renifler d’un air intrigué, attendrissant par la même occasion la nymphe qui se pencha pour lui gratouiller la tête pendant que Will riait tout seul. Pourtant, elle n’avait pas souvenir d’avoir fait une blague… Peut-être que le fait de rester tout seul aussi longtemps avait fini par endommager son système.

« Non tu ne peux pas entrer. Personne ne le peut à part Spark et moi. Et autant te dire qu’il n’est même pas la peine de tenter de rentrer par tes propres moyens, j’ai moi-même construit la porte et rénover les systèmes de sécurité, d’aération, de canalisation, bref, j’ai tout refait à neuf, autant te dire que jamais un mortel n’y rentrera sans autorisation, et même une immortelle en serait incapable. En réalité je ne vois qu’une personne capable d’en déjouer la sécurité. »

Ecoutant d’une oreille, elle acquiesça d’un air sérieux en plissant les yeux, caressant une barbe imaginaire.

« Je vois… Je trouve ça sacrément insultant que tu penses vraiment que nous, immortels, soyons incapables d’ouvrir ta forteresse. Dois-je te rappeler que je continuerai d’éclairer la terre de ma présence bien après que ton cadavre se soit décomposé ? » Sympa, l’allusion à la mort. Elle se mordit la lèvre, croisant les doigts pour que Will ne soit pas un névrosé de la mort comme l’un de ces enfants d’Hadès qu’elle avait connu il y a quelques siècles. « Si tu as des enfants un jour, tu peux être sûre que je raconterai à chacun d’entre eux comment tu m’as envoyé bouler aujourd’hui. Et je le raconterai ensuite à leurs petits-enfants, puis leurs petits petits-enfants, jusqu’à ce que cela devienne une véritable légende : Will, leur ancêtre lointain, était une tête de mule avec un sacré culot. »

Fière de sa menace, elle posa ses mains sur ses hanches en souriant malicieusement tandis que les constellations sur sa peau scintillaient de mille feux sous les rayons du soleil couchant.

« Je ne sais pas ce que tu caches dans ta grotte pour vouloir à tout prix la cacher aux yeux du monde. Tu ne caches pas un cadavre j’espère – Monsieur D risquerait de pas apprécier. » Elle inclina la tête, réfléchissant. « Tu as mentionné une personne capable de déjouer la sécurité de ton bunker. Qui est-ce ? J’espère que tu ne vas pas me répondre que c’est toi, sinon j’aurais une raison valable pour te frapper. »

« Ré… Réfléchis 5 secondes… si je suis le seul à pouvoir rentrer ?... Qui pourrait être la seule personne au monde capable de vaincre mon système de sécurité ?... Juste une question, à quel moment t’est-t-il venu l’idée que j’avais besoin de déjouer ma propre sécurité … Puisqu’elle est par définition faite pour ne laisser passer que moi et mes invités ? »

Neven leva les yeux au ciel. Ce type était pas possible. Être aussi aveugle, au point de croire qu’il n’y avait que lui pour déjouer ses propres mécanismes… C’était bien un mortel pour penser ça. Elle était sûre qu’il existait un tas de personnes dans le monde capable de pénétrer dans le bungalow hormis lui… Certes pas à la Colonie, mais pourquoi s’y limiter ? Le monde avait connu des centaines et des centaines de génies. Il n’y avait qu’à évoquer les noms de Talos, Dédale ou même Icare… Ou tout simplement le propre père de ce garçon, Héphaïstos. Mais l’ego des mortels était parfois un peu trop facilement brisé, alors elle se contenta d’hocher la tête.

« Bien sûr, je suis bête, je n’y avais pas réfléchi. » Marmonna-t-elle d’un ton signifiant plutôt cause toujours, tu m’intéresses.  

Will appela ensuite son chien et commença à lui parler d’un ton complètement différent de celui qu’il employait quand il s’adressait à la nymphe. « Spaark ! Oui mon pote calme toi, dis-moi tu as déjà des enfants toi ? Tu sais des petits toi qui courent partout et font pleins de bêtises ? »

Peut-être que l’attention qu’il prêtait autant à son cher compagnon l’aurait attendri si elle n’avait pas été autant piquée par le dédain qu’il lui manifestait. Voletant un peu plus près du bunker-atelier, elle entortilla l’une de ses longues mèches roses autour de son index.

« Je pense pas qu’il en ait, sinon je suis sûre qu’ils te prendraient pour leur deuxième parent. » Elle se retourna et croisa les bras, une moue d’impatience étirant ses lèvres. « Rappelle-moi déjà pourquoi personne ne peut rentrer là-dedans à part Spark et toi ? Tu as des choses à cacher ? »