Cette fois-ci, elle avait vraiment été méchante.
Ce n'était pas moral. Pas gentil. Mais bon. Elle s'en foutait.
La petite proie tournait en rond dans la pièce barricadée de tous côtés, une large pièce toute en métal. Un garage en fait. Elle était affolée, regardait partout, sous les meubles, quoique il n'y avait qu'une grande armoire et un canapé miteux, à travers la seule fenêtre qui restait tournée vers le ciel, et tentait d'ouvrir soit la large porte de métal qui s'était refermée sur eux, soit l'autre porte en bois, manifestement fermée à clef. On entendait des pleurs venant de la porte en bois, et l'adolescent piégé frappait de plus belle contre elle. La jolie blonde, assise dans un coin de la pièce, laissa échapper un ricanement. Il se tourna aussitôt vers elle. Avec un air désemparé qu'elle savoura de plus belle.

« Kenza, pourquoi tout est fermé ? Je ne comprends pas ... » La jeune femme soupira en entendant son faux-nom, sous lequel elle s'était présentée au jeune homme. Il devait avoir dix-sept ans, mais pour elle, c'était encore un gamin. Vu son âge, c'était normal. Elle se leva et s'approcha de lui, perdant peu à peu son apparence de jeune femme terrorisée et gagnant de l'assurance. Sur ses gardes par ce revirement d'attitude, son gibier posa les mains sur sa ceinture et en sortit un briquet. Elle faillit éclater de rire. Un ridicule briquet ? Il allait l'allumer ? Il actionna son briquet, qui se changea en arc à flèches de bronze. Peu importe. Il était déjà mort.

« Alors, jeune sang-mêlé ? Surprise ! Tu ne t'y attendais pas ? » Il banda son arc, la mit en joue. Elle eut un rictus méprisant. « Attends, tu crois quand même pas que tu peux me tuer comme ça ? Et qui te dis que je ne suis pas de ton côté ? » Il hésita, son arc trembla légèrement. Elle remarqua que ses mains se crispaient mais que son visage ne laissait rien paraître. « Tu m'as appelé "sang-mêlé". Il n'y a que les monstres qui parlent comme cela. » Mince. Son plan était un peu raté, maintenant. Quoique cela ne changeait pas grand-chose. « Eh bien ? Suis-je un monstre si redoutable ? Les pégases, les hippocampes, les Poneys Fêtards sont des monstres. Et pourtant, ils ne sont pas malfaisants. » Il fronça les sourcils. « Tu n'es pas un centaure. »

« Bravo ! Je vois que tu es un fin observateur : je ne suis pas un centaure, ouaouh ! Très intelligent ! » Elle eut un ricanement. « Et qu'es-tu, alors ? » cracha le sang-mêlé avec fureur. Elle haussa un sourcil.
« Qui je suis ? Qui je suis ? »

« Je suis née il y a deux millénaires ou plus, et dès ma naissance, les odeurs parlaient pour moi. Elles chantaient les valeurs que les gens renfermaient et je m'en servais pour en faire mon diner. Mes repas étaient originaux, mais quelles saveurs ! J'obéissais aussi, à celle qui nous avais créés, qui aurait pu être notre mère mais fut notre maîtresse. J'obéis encore, quoique je suis indépendante. Les odeurs me parlent toujours et je m'en sers de plus belle. Antiquité, Moyen-Âge, j'ai tout vécu. Je me souviens de ces rois inutiles, faciles à tromper mais parfois peu crédules. Je me rappelle des empereurs romains, avant ça ; c'est flou, mais je vois encore leurs toges et leurs cirques. Ah, les lions, les gladiateurs, c'étaient des mets de choix. Mmh. » Elle sourit et remarqua que le demi-dieu se crispait à ses mots. Elle eut un fin sourire. « Toujours pas deviné qui je suis ? Je continue ? Quatre fois je suis retournée au Tartare, quatre fois je suis revenue sur Terre pour me régaler. Vous autres humains il faut dire que vous êtes des morceaux de choix. Votre sang est délicieux, encore plus celui de vous autres sang-mêlés. Il y a quelque chose en plus. » Sa soif commençait à se faire sentir, ses prunelles devenaient pourpres, ses canines s'allongeait. « Depuis la Guerre de Cronos, je suis à New York pour m'amuser. Cela faisait trois siècles que je m'ennuyais au Groënland. Trop froid. Je suis descendue pour servir la Dame de l'Ombre qui combattait aux côtés du Seigneur du Temps. J'ai bien fait. J'ai adoré croquer tes camarades. Il étaient goûteux. Même si l'un d'eux m'a bien amochée. J'ai mis deux semaines à me remettre de cette blessure à l'épaule, mais je ne me suis pas changée en poussière et je ne suis pas retournée au Tartare. Heureusement. »

Le demi-dieu était terrifié, à présent. Frejah avait retrouvé sa forme habituelle, une jambe d'animal, une jambe en bronze, griffes et crocs, les yeux rouges. Mais naturellement, une beauté hypnotique. « Une ... Une empousa », bégaya le jeune garçon. « Une vampire. » Frejah siffla de colère. « Quoi, une vulgaire buveuse de sang ? Tu crois vraiment que je t'aurais attiré ici en enfermant ta petite soeur et en jouant les jeunes filles terrifiées par un monstre pour t'attirer ici, si je n'étais qu'une simple buveuse de sang ? Je ne suis pas qu'une empousa, petite friandise. Je suis Séréphone. » Il écarquilla les yeux. « Quoi, une des empousai originelles ? Tu ne devrais pas être morte ? » Frejah/Séréphone eut un rictus méprisant. « C'est bien, tu connais les mythes grecs. Et tu sais bien que les monstres reviennent. Mais assez bavardé. Tu sens vraiment bon, dis donc. C'est qui, ton parent divin ? »

Frejah s'avança et le jeune garçon perdit toute contenance. Sa flèche s'abaissa doucement, il cligna des yeux et plongea dans un état d'hébétude. L'hypnose de l'empousa la rendait resplendissante. « Mon père. Apollon. » La démone se retint de bondit aussitôt pour égorger le demi-dieu. Un fils d'Apollon. Elle les détestait. Elle préféra se pencher vers lui pour lui offrir un baiser, histoire d'être généreuse. Après quoi, elle lui planta les crocs dans le cou.

   Quand elle eut finit, elle traîna le corps hors de la pièce - elle avait les clefs de la porte sur elle - et le jeta dehors. Elle alla ouvrir à la petite soeur du fils d'Apollon et la renconduisit chez elle. Elle était peut-être une empousa, mais elle n'était pas si cruelle. Et l'assassinat d'une gosse, c'était de la cruauté.

Il n'empêche, elle n'arrêtait pas de repenser à ses quatre morts.
Première fois, tuée par un enfant d'Apollon. Il lui avait planté l'épée dans le dos tandis qu'elle se régalait sur une fille d'Aphrodite. La lame lui était ressortie par les côtes. Elle avait mis soixante-dix ans à se reformer, plus six mois à revenir sur Terre. Seconde fois, un centaure fou l'avait prise en chasse avec sa tribu. Des Poneys Fêtards. Elle s'était faite mettre en pièces. Mauvais quart-d'heure. Depuis elle se méfiait des chevaux, mais sans plus. Troisième fois, quatre flèches dans le ventre par une fille d'Apollon, cette fois encore. Elle avait ressemblé à un porc-épic. Et dernière fois, il y avait six-cent ans, assommée par un cri supersonique d'un fils d'Apollon qui l'avait ensuite achevée. Elle avait mis cent cinquante ans à ressortir du Tartare.
Depuis, elle ne pouvait pas supporter Apollon et ses rejetons. Manger celui-là lui avait fait du bien. D'ailleurs, elle avait envie s'amuser. Mmhm ... Pourquoi ne pas aller faire discréditer un PDG d'entreprise ? Rien de tel qu'un jeu sur long terme avec manipulations à la clef pour mettre de bonne humeur.

Frejah partit en courant dans les rues, ventre plein et sourire aux lèvres.