Matthew soupira. Il ne tenait pas trop à s’aventurer dans les prisons maintenant. Pas alors qu’il y avait toutes ses victimes. Il allait sûrement revoir Jake, celui qu’il avait planté avec son épée. A bien y réfléchir, c’est sans doute le seul prisonnier qui méritait d’être là. Matthew avait toujours en travers de la gorge ce qu’il avait fait à Pandore. Il descendit le long escalier qui menait au sous-sol et frissonna sous le froid des cachots. Il prit son courage à deux mains et marcha.

Dans les différentes cellules, il y avait plusieurs têtes connues. Le fils de Zeus qui balançait de la foudre, le type que Pandore affrontait, Jake. Il y avait aussi le type qu’Alice avait ramené, Warren. Et tant d’autres. Certains le regardaient avec un regard noir, d’autres se contentaient de l’ignorer. Il vérifia dans chacune des cellules. Certains étaient bien amochés. D’autres s’en sortaient plutôt bien.

Son cœur se serra à la vue de Jade, son amie. Enfin, plutôt son ancienne amie, compte tenu du contexte. Il se souvenait bien de leur dernière rencontre où il avait appris que son frère l’avait agressé, et qu’il lui avait légué la moitié de sa fortune. Ils s’étaient tous les deux mentis ce jour-là. Elle avait dit qu’elle avait été chez sa famille après son agression alors qu’elle était captive à la Résistance, et lui avait dit qu’il voulait prendre du recul par rapport à la mort de son frère alors qu’il était entré dans la Résistance.

Tant de questions restaient sans réponse. Et il ne les aurait sans doute jamais ses réponses. Après tout, son frère ne reviendrait pas d’entre les morts pour lui expliquer gentiment la raison de tout cela. Il avait décidé d’abandonner ses recherches, mais voir Jade allongée dans sa cellule lui faisait mal au cœur. Après tout, elle avait été son amie. Il s’apprêta à repartir et quitter cet endroit chargé de rancune et de haine. Mais il n’eut le temps de faire qu’un pas avant qu’une prisonnière ne l’interpelle.

Matthew ne fit qu’un pas avant de se figer.

« Matt… Pourquoi ? »

Il se retourna lentement pour faire face à Jade, qui s’était redressée péniblement et qui s’était rapproché de l’entrée de sa cellule. De plus près, Matthew put voir dans quel sale état elle était. Il n’avait vraiment pas envie de parler avec elle maintenant, dans ce contexte. Pourtant, quelque chose l’empêcha de s’éloigner et de l’ignorer. Peut-être parce qu’il n’entendait aucun reproche dans la voix de la jeune femme. A sa place, il se détesterait, et pourtant, elle lui posait une véritable question. Il affronta son regard. Il répondit d’une voix claire, et calme, ce dont il ne se serait pas cru capable :

« Les dieux ont détruit ma vie. »

Il ne chercha pas à se justifier. Il était à l’aise avec son point de vue et il n’avait pas honte. Il ne dit pas non plus à quel point il détestait ce qui ce faisait dans les prisons. Il ne dit pas qu’il était contre la torture. Parce qu’elle n’avait pas besoin de savoir. Il ne voulait pas qu’elle lui pardonne ou autre bêtise du genre. En fait, il aurait préféré qu’elle le haïsse de tout son cœur. Et de toute manière, quoiqu’il dise, il avait bel et bien tué tous ses demi-dieux à la colonie, et le pire, c’est qu’il ne le regrettait pas. Si c’était à refaire, il le referait. Il n’avait pas hésité à torturer la fille d’Athéna, Sophie. Peut-être que c’était exceptionnel et qu’il s’était promis de ne plus le faire, mais sur ce point, il ne valait pas mieux que les autres. Il était parti pour tuer les dieux, mais on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Tout ce temps, il n’avait pas baissé les yeux. Il se contenta de la regarder, et de ressasser ce qu’il avait fait pour la cause qu’il défendait par-dessus tout.

Elle posa sa main sur son épaule et Matthew tressaillit. Il se demanda pourquoi, ou plutôt comment, elle avait encore la force d’être gentille. Il était véritablement surpris. Les gens ne montrent leur vraie nature que lorsque la situation devient difficile. Et visiblement Jade était vraiment gentille. Peut-être même trop pour son bien.

« Je comprends... Mais je ne pense pas que tu sois devenu complètement mauvais. Même si tu combats les dieux, tu gardes encore un peu de bonté en toi. Tu ne cautionnes pas tout ce qui se passe ici, pas vrai ? »

Il ne répondit rien. Après tout, que pouvait-il répondre ? Rien. Jade fut prise d’une quinte de toux et elle grimaça de douleur. Décidément, elle était dans un état pitoyable. Mais au moins, contrairement à la dernière fois, elle n’était pas toute seule. Elle lui demanda d’une voix faible :

« Dis, y a moyen d'avoir un peu d'eau ? J'ai la gorge sèche depuis un moment... »

Le fils d’Eris réfléchit. Il leur ferait descendre un peu d’eau. Il était sûr que Cyril ne serait pas contre. Après tout, s’ils mourraient, ils ne serviraient plus à rien. Et puis, juste un peu d’eau, ce n’est rien. C’est les dieux qu’ils voulaient faire souffrir, pas laissé crever de soif leurs enfants. Il hocha la tête imperceptiblement.

« Ecoute, je n'ai pas envie de te haïr comme j'ai pu haïr ton frère, tu peux encore montrer que tous les Résistants ne sont pas d'odieux connards... Il ne tient qu'à toi de faire une bonne action, si cela t'es possible et si tu le désires, bien évidemment. Mais je veux encore croire qu'il te reste une étincelle de bonté. »

Est-ce que la comparaison avec Cassiel lui fit mal ? Oui. Plus qu’il ne voudrait bien l’admettre. Mais il resta de marbre. Quelque chose, lui disait que cette bonne action, ce ne serait pas d’aller chercher de l’eau. Alors il répondit :

« Je te ramènerai de l’eau, Jade. Mais rien de plus. Libre à toi de me détester comme tu as détesté Mitchel et libre à toi de penser que tous les Résistants sont des odieux connards. Cela ne te fera pas sortir d’ici. »

Chaque mot lui écorcha la bouche. Et chaque syllabe lui serra douloureusement le cœur. Mais il mit un point d’honneur à dire cela durement, bien qu’il est plutôt envie de la soigner. Mais il tenait à ce qu’elle cesse d’espérer. Parce que l’espoir, à cet instant, la détruirait plus qu’il ne la fera vivre.

Elle parut blesser et Matthew lui tourna le dos.  Elle lui dit en poussant un soupir :

« Tu n’es pas foutu, Matt. Tu peux encore te distinguer. »

Il haussa les épaules. Il se demandait pourquoi, dans cette histoire, les méchants, c’était eux. A vrai dire, si les Alliés avaient découvert l’existence de la Résistance avec l’endroit exact du QG, il doutait qu’ils se seraient gênés pour les décimer. Sauf qu’eux, les dieux les auraient félicités, et offert quelques récompenses à deux balles. Tandis que les Résistants, eux, se faisaient détester. Mais tut était une question de point de vue. Après tout, ils pouvaient bien parlés de radicalisation, mais il doutait que Leslie, actuellement prisonnière à la Colonie soit si bien traité que cela. Les seules différences qu’il y avait entre les deux camps, c’est que un assumait, et l’autre pas et que les Alliés n’étaient que les pantins des dieux, prêts à mourir pour eux. Alors non, Matthew n’était pas foutu, il avait choisi la liberté, voilà tout.

Il gravit les marches et entra dans la salle commune. Il prit plusieurs petites bouteilles d’eau et redescendit, à contrecœur, dans les sous-sols. Il déposa une bouteille devant chaque cellule et termina devant celle de Jade. Il la fit glisser à travers les barreaux et la posa sur le sol. Il la regarda, assise là, la tête entre les mains et se demanda à quoi elle pouvait bien penser. Il ne saurait sans doute jamais. Avec un soupir, il dit :

« Voilà l’eau. Dis-toi je me distingue comme ça. Parce que je ne peux vraiment rien de plus pour toi. Et, si tu veux bien accepter un conseil de ma part, arrête d’espérer. Cet endroit est une vraie forteresse et tu n’arriverais jamais à en sortir seule, sans aide extérieure. Et personne ne pourra te la procurer, alors, résigne-toi, ce sera moins douloureux. »

Jade resta silencieuse et se baissa avec difficulté pour ramasser la bouteille d’eau. Lorsqu’elle se redressa, elle planta durement son regard dans celui du fils d’Eris qui le soutint sans broncher.

« On dit que l'espoir fait vivre, alors je continuerai d'espérer. Et ni toi, ni la Résistance ne m'empêcherez d'accomplir mon destin en temps voulu. Je regrette que tu sois arrivé jusque-là, crois-moi. »

Il ne répondit rien. L’espoir peut-être la sauverait au début. Mais elle tomberait d’encore plus haut. Et la chute ferait encore plus mal. Il haussa les épaules, après tout, il n’était pas vraiment en position de discuter avec elle d’un sujet si abstrait. Il devrait déjà être remonté, et pas encore là, dans les prisons. Pourtant, il ne bougea pas d’une miette.

Le destin… Si, quelques années auparavant, on lui avait dit que son destin était d’appartenir à une bande de rebelles qui visaient à détruire les dieux et la colonie avec, il lui aurait rit au nez. Il lui aurait dit que la colonie était son foyer, malgré quelques différents par-ci par là et que les dieux, n’étaient certes pas géniaux, mais qu’ils gouvernaient avec justice.

Si ses malheureux parents ne s’étaient pas retrouver dans cette fichue rue de New York à un instant précis, alors il serait sans doute aux côtés de Jade, et de tous les autres à haïr la Résistance. Et pourtant, il était là. Et cela n’avait fichtrement rien avoir avec le destin. Juste à une fichue malchance. Qui avait, en un sens gâché sa vie. Et s’il avait prié les dieux, ça n’aurait clairement rie, changé. Alors il écouta calmement Jade achevé de fredonné sa chanson d’espoir. Après un moment de silence, il dit, sa voix débordant de rancœur :

« Je sais ce que tu penses. Tu penses que les dieux viendront te sauver. Qu’il va se passer un miracle. Mais tu as tort. Les dieux se fichent de leurs progénitures. Nous ne sommes que des instruments. Et je vais te poser une question. Si tu penses encore que les dieux pense à vous, qu’ils peuvent vous sauver, ils étaient où pendant qu’on massacrait la colonie ? »

Elle soupira et lui dit :

« Tourne la question autrement, Matt. Techniquement, je devrai être comme toi, rancunière envers ceux qui nous abandonnent à la naissance. Mais ce n'est pas mon cas. J'ai eu de la chance dans mon malheur : quand ma mère est morte, c'est mon père qui m'a conduite à la Colonie, même indirectement. C'est lui qui a veillé sur moi, sur la Colonie, sur ma nouvelle famille, c'est pour ça que je n'arrive pas à lui en vouloir à lui. Je l'aime, tout comme j'aime la Colonie parce qu'elle a su en partie remplacer la famille qui ne voulait pas de moi à cause de mon sang. »

Matthew resta silencieux, et se contenta de la fixer. Elle ne le regardait pas, mais dans sa voix, on sentait la sincérité. Et quand elle tourna la tête vers lui, le défiant de son regard noir, il ne dit rien et la laissa dire :

« Je suis d'accord avec le fait qu'ils devraient pouvoir s'occuper de leurs enfants, comme des parents normaux. Mais s'ils ne le font pas, c'est qu'ils ne le peuvent pas. S'ils n'ont pas pu intervenir pendant votre petite affaire, c'est qu'ils en ont été empêchés. Zeus n'a pas retenu la leçon, c'est lui qui est responsable de tout ça. Mais je connais mon père, tu as dû le voir une paire de fois, c'est bien l'un des rares à oser contourner la loi pour voir ses enfants et ses protégés... Alors oui, ils n'ont pas pu intervenir, mais je te parie qu'Hermès saura contourner encore le règlement. Il y a toujours de l'espoir. »

Elle allait continuer de se battre. Voilà sans doute le message qu’elle tenait à lui faire passer. Il ressentit un petit pincement au cœur à l’évocation d’Hermès. Il l’avait en effet déjà vu plusieurs fois. Plus qu’Eris, en tout cas. Elle, il ne l’avait jamais vu. Tout ce temps, il s’était convaincu qu’il ne lui en voulait pas plus qu’à Zeus, ou qu’à n’importe quel autre dieu. Il s’était convaincu que ce qu’on a jamais eu de peut guère lui manquer. Mais il s’aperçut en cet instant, que c’était faux. Qu’il avait envie de la détruire plus que n’importe qui d’autre. Et pourtant, il avait eu une vraie famille. Avec une vraie mère. Mais ne jamais avoir rencontré sa mère biologique lui laissait un goût amer dans la bouche. La plupart des Résistants avaient déjà croisé une fois leur parent divin, même si cela c’était révélé catastrophique. Mais Eris, elle, à part pour le revendiquer (et donc lui pourrir la vie) n’avait jamais donné signe de vie. Bref, pas le genre de mère à contourner les lois pour le voir. Il répondit sèchement :

« Et bien tant mieux pour toi. Continue d’attendre que ton papa chéri vienne te chercher et continue même de prier si ça te chante. »

Il se radoucit un peu, mais continua d’une voix ferme et sincère :

« J’espère vraiment que tu seras encore en vie quand il réussira à contourner les lois. »

Elle lui sourit avec une légère teinte de malice mélangée à de la provocation.

« Et j'espère que tu seras là pour en profiter. Mais crois-moi, tu ne seras pas déçu. »

Matthew haussa les épaules, signifiant qu’il attendait de voir. Il était conscient que cette conversation, qui au final, n’avait pas servi à grand-chose, touchait à sa fin. Jade dut parvenir à cette même impression car elle lui dit :

« Je crois que tu ferais mieux de remonter, faudrait pas qu'on te tombe sur le râble parce que tu discutes avec une prisonnière dont ils veulent la peau... »

Il n’avait rien à répondre à cela qui ne soit autre chose qu’un mensonge. En effet, avec son évasion, Jade était devenue l’une des alliés les plus détestés. Alors qu’il allait faire demi-tour, elle lui jeta un regard rempli d’inquiétude :

« Dis... Est-ce que tu sais ce qu'ils ont prévu pour nous ? J'ai beau ne pas être en état physique de faire face, je déteste ne pas savoir ce qui m'attend... »

Matthew baissa la tête en voyant les larmes au coin des yeux de son ancienne amie. Puis il releva son regard en l’affrontant. En affrontant cette détresse qui brillait dans ses yeux. Il comprit à cette instant que cette détresse, elle ne l’avait pas la dernière fois. Et que si elle s’inquiétait autant, c’était plus pour ses amis que pour elle. Il répondit d’une voix basse :

« Je crois qu’il vaut mieux que tu continues à être dans l’ignorance, Jade. Mais ce ne sera pas agréable. »

Sans un autre mot, il tourna lentement les talons, ne voulant guère s’étaler sur le sujet qui lui était si pénible. Le seul avis qu’il ne partageait pas avec la Résistance. Alors qu’il avait gravi quelques marches, il se retourna et dit d’une voix basse :

« Quoique tu comptes faire pour te sortir, toi et tes amis de là, sache que quand bien même tu y arrives, les autres paieront. Ils paieront chers, Jade. Alors pour leur bien, pour leurs vies, ne fait pas de conneries. Parce que ce que tu ne pourras pas sauver, ils mourront. »

Il remonta les marches restantes et sortit sans plus attendre des froides prisons. Il n'y avait de toute manière, aucune chance pour qu'elle réussisse à sortir d'ici. Mais, valait mieux prévenir que guérir.