Je peux vous dire que le jour où l'on a envoyé un satyre me récupérer, celui-ci a été plus surpris que moi. Je crois que cela résume complètement ma vie.

Les mains sur les cuisses, les jambes écartées, c'est campée dans une position d'absolue certitude que l'enfant considère le moteur abandonné. On ne sait combien de fois sa mère lui a expressement interdit d'aller traîner dans le terrain vague, mais elle a franchit tout autant de fois l'interdiction. Les géants de métal, abandonnés et silencieux depuis des années, sont tout autant de rêves et de monstres dans l'imaginaire d'un enfant à qui l'on offre un pareil terrain de jeu. Elle a cinq ans, et sa mère s'inquiète déjà de la voir aussi intéressée par ce qu'elle voudrait appeler des déviances. Les petites filles devraient aimer les poupées, aux yeux de cette femme française délaissée par un amant trop occupé, trop divin. Elle a reporté son attention sur l'unique présent à long terme qu'il lui a laissé. C'est une gamine, et elle n'est pas sûre de l'aimer complètement, mais au moins, elle ne la déteste pas et ne l'abandonnera jamais. Toutefois, cette enfant, en venant un jour arrondir son profil, a détruit son corps, et sa carrière de mannequinat avec. Simone ne le sait pas. Pour l'instant, sous ses boucles brunes, dans son esprit programmé par des gênes à 50%, et un facteur environnement propre à la découverte des moteurs et des restes de carcasses rouillés, elle est une exploratrice des rouages abîmés.

Elle se comprend différente le jour de l'incendie. Beaucoup trop d'enfants d'Hephaïstos ont probablement vu leur vie alterner leur propre rythme le jour où leur peau a refusé de céder aux lois physiques du corps humain soumis à une température trop élévé. Elle n'a pas brûlé, ses vêtements sont partis en fumée, et ses larmes se sont évaporées, mais elle n'a pas brûlé. Sa mère a hurlé, longtemps, et particulièrement de peur. Mais à ce moment là, en considérant ce que les autres ne parvenaient pas à expliquer, sa mère a compris qu'elle avait hérité d'une protection propre à son père. Simone a du comprendre par elle-même ce que les non-dits et les sous-entendus signifiaient. A partir de cet instant, elle devient la prunelle des yeux de sa mère. Plus de sortie, plus d'objet tranchant. Rien que de la douceur, de l'affection, de la suffocation.

A dix sept, elle obtient son bac. Pas particulièrement brillamment, mais se distingue néanmoins pour avoir été une élève intéressée. Elle a les cheveux longs, et porte des rubans. Sa mère tient à ce qu'elle ait les mains constamment propres, et les ongles soignées. Elle ne touche plus au métal depuis des années, et a presque oublié les conditions de son existence. Elle est particulièrement passionnée par l'écriture, et s'enferme dans les mondes extraordinaire de l'imaginaire afin de s'échapper de la réalité. Parfois, elle a des rêves étranges, qu'elle ne partage pas avec sa mère. Des songes nébuleux, dans lesquels son corps est plus dynamique, plus fort, et ses mains sont noires de suie et de sang. C'est une version fantasmée d'elle qu'elle n'ose explorer.

A ses dix huit ans, elle est trompée par son premier amoureux. Naïve et un peu conne, même si elle ne veut pas l'assumer, elle se fait jeter, après avoir donné au type ce qu'il voulait. Elle va pleurer, étudiante romantique, sous la Tour Eiffel. Il est à considérer qu'à ce moment-là, elle voulait simplement presser son visage contre le pied en fer. Elle ne s'attendait certainement pas à ce que son front s'enfonce dans la Dame de Fer comme dans du beurre. Frôlant la crise cardiaque, son chagrin amoureux s'est vite dissipé.

Pendant deux ans, de par son tempérament calme et son train de vie particulièrement opposé à sa propre nature, Simone ne s'est pas réellement distingué dans la perception des monstres. Parfois, il est arrivé que l'un d'eux la découvre, aussi surpris qu'elle; comme une erreur de programme, une chose innatendue. Elle n'a été réellement en danger que deux fois, et si la première, elle est parvenue à se protéger par chance, la seconde, c'est parce qu'un satyre est venu la tirer des griffes d'une chimère à temps. Elle sortait de la fac, simplement heureuse qu'une jolie étudiante lui ai souri; sans jamais voir le monstre lui bondir dessus. Elle a été emporté dans une cavalcade, sans pouvoir respirer, sans pouvoir dire au revoir, et elle a été entraîné dans un avion jusqu'à aux USA, afin d'intégrer la colonie des Sang-Mêlés. Avec son pauvre anglais, l'intégration s'est effectué lentement. Toutefois, lorsqu'elle a découvert sa filiation et le cabanon du Forgeron, Simone a commencé à redresser mentalement la véritable colonne de sa propre nature. Depuis quelques temps, dans un travail d'agentivité, elle cherche à solidifier sa nouvelle,-et vraie- identité, afin de pouvoir se sentir plus heureuse. Suite à l'événement de la rupture et de la création des camps, la jeune femme a choisi de rester aux côtés des alliés. Elle se sait trop peu haineuse à l'égard des dieux pour avoir envie de tenter une rebellion à leur égard, et appréhende la guerre. Elle craint devoir s'opposer à ceux et celles qu'elle considère comme des demis-frères et soeurs, et silencieuse et douce, elle cherche avant tout, dans une dynamique désespérée, à reposer les coeurs et les âmes. Elle n'est pas une combattante, mais la moïra va à l'inverse de ses volontés. Elle a bien compris que tôt ou tard, elle devra prendre les armes.

Il y a cependant un détail à régler dans l'existence de Simone. Il faudra, qu'un jour où l'autre, elle se confronte à son père. Ou plutôt, qu'Hephaïstos, le boiteux, le forgeron, le laid, le mécanicien découvre un jour qu'il a une gamine rose bonbon.