Pas d'envie d'entraînement, pas d'envie de sortie non plus pour Rheïma aujourd'hui. Non, la fille de Borée avait assez mangé le tapis pour le moment pour ne vouloir faire qu'une chose : rester dans son lit à glander. La jeune femme était donc assise en tailleur, papouillée sur ses oreillés, un écouteur dans l'oreille, un livre devant les mains qu'elle lisait tout en remuant les pieds sous le rythme d'une vieille chanson de Scorpion. Elle aurait pu sortir, autant en mission que pour voir son frère, Liev, mais aujourd'hui elle avait simplement envie de rester seule. Autant dire, donc, qu'elle n'avait absolument pas envie d'être dérangée par quiconque. Du coup, quand il y avait ne serait-ce qu'un petit passage, une petite perturbation, la fille de l'Hiver levait les yeux, sourcils froncés et veillait à ce que les perturbateurs quittent la pièce rapidement, suivit du regard insistant de Rheïma.
Malheureusement pour elle, une énième et fatale contrainte survint : son livre était finit. Elle soupira, donc, se levant et sortant des dortoirs pour se rendre à la bibliothèque, quand elle se retrouva nez à nez avec une jeune femme qu'elle connaissait plus ou moins bien : Adriane Bianchi, fille d'Arès ... et grande amie de Léo. Plus qu'une grande amie d'ailleurs. Si Rheïma était d'une nature très jalouse, elle aurait envoyé valser Adriane depuis longtemps. Or (heureusement pour elle), la jalousie de la Reine des Neiges n'était pas si énorme que cela, mais juste assez pour qu'elle l'agace. Et cette demi-déesse se tenait juste devant elle, une serviette essuyant ses cheveux mouillés. Bon, la fille de Borée ne lui aurait certainement pas sauté au cou afin de l'étrangler de ses petites mains, mais cela ne l'empêchait pas de la fixer, sourcils froncés. Et contre toute attente, la fille d'Arès lui adressa la parole :

"Alors, comment se passe ton intégration ici ?"

Rheïma haussa un sourcil. Ah oui, Adriane lui avait parlé. Elle qui croyait ne jamais l'entendre lui adresser la parole ... quelle surprise !
La fille de l'Hiver se força à esquisser un sourire avant de lui répondre :

" Ça va, merci."

Sa voix était légèrement sèche, bien qu'elle ne le veuille vraiment. Puis, intérieurement, elle se dit que finir une conversation de la sorte, était une porte ouverte à une guerre entre Résistantes. Oh, ce n'est pas qu'elle ait peur d'une rejetone d'Arès, mais évitons de faire du grabuge. Ainsi donc, elle décida de continuer doucement la conversation, histoire que cela ne parte pas en vrille.

"Et toi alors ... ça se passe toujours bien pour toi ... ici ?"

"C'est comme partout... Certains t'aiment bien, d'autres un peu moins et réciproquement."

Adriane rit doucement à la suite de sa phrase. Apparemment, cela devait être drôle … Rheïma fit ce qui aurait pu s’apparenter à un mélange entre une grimace brève et un sourire tout aussi bref. Non, la fille de Borée ne trouvait pas cela drôle, absolument pas. Le sens de l’humour ne semblait pas être un point positif chez Adriane (chez Rheïma non plus, d’ailleurs). Puis la fille d’Arès lui sourit avant de continuer la conversation (se forçant elle aussi pour paraître en quelques sorte aimable …)

"Et donc toi, c'est quoi ton problème avec ton papa ? Enfin... je veux dire : pourquoi t'es ici ?"

Rheïma grimaça. Qu’avaient-ils donc tous à la poser la même question ? Pourquoi, par tous les dieux, fallait-il toujours devoir se justifier quant à la raison de sa présence dans la Résistante ? Et comme d’habitude, la fille de Borée devait s’amuser à mentir, art qu’elle manipulait un peu mieux depuis le début de son séjour dans cet endroit sombre. Au lieu de dire ce qui en était réellement (soit donc son amour pour Léo qui l’a magnifiquement aveuglé), Rheïma leur servait toujours le même mensonge, un mélange de quelque chose que l’on entendait souvent, et de ce qui lui venait à l’esprit. Cela pouvait paraître totalement simplet, comme justification, mais généralement ça passait.

« C’est sa faute si ma mère est morte. Je ne veux plus être le pion des dieux. »

Elle avait croisé les bras contre sa poitrine, essayant par la même occasion de ne pas laisser paraître une quelconque émotion. Cela lui coutait de dire ces mots. En réalité, elle n’avait rien contre son père, c’était elle qu’elle blâmait pour l’incident qui avait coûté la vie de sa mère. La chose étant que dans un endroit comme la Résistance, si vous ne partagez pas les mêmes idées (quoiqu’elles sonnent légèrement faux dans la bouche de la fille de l’Hiver) que la populace présente, vous faites un peu beaucoup tâche dans le décor.

" Ah ? Vraiment ? Enfin ... désolée pour ta mère, mais j'étais plutôt sûre que tu étais là pour Léo plus que par vengeance ..."

Rheïma haussa un sourcil, vexée. Alors quoi, elle était si prévisible que ça ?! Il était donc aussi facilement visible que la fille de Borée n'était pas là par vendetta personnelle mais bien pour celui qui n'avait d'yeux que pour elle ? intérieurement, l'amoureuse transie poussa un long soupir. Si une fille d'Arès était capable de la cerner aussi facilement, Rheï ne donnait pas cher de sa peau. Elle n'avait jamais été douée pour les mensonges, en trop gentille fille qu'elle était. C'était bien dommage pour elle et il fallait absolument remédier à cela. La pseudo Résistante se promis d'y faire quelque chose. En attendant, il lui fallait rattraper sa bêtise. Maladresse ambulante. Voilà quelque chose qui pourrait aisément la qualifier.

Prête à tout pour sauver les apparences (et même à jouer les méchantes alors qu'elle était aussi douce qu'un agneau ... eh oui !), les bras toujours croisés contre sa poitrine, Rheïma durcit son regard. Si elle déballait un nouveau mensonge, elle serait prise la main dans le sac, elle en était sûre. La fille de Borée ne pourrait pas non plus prendre ses jambes à son cou et fuir la Résistante. Le QG n'était n trop grand ni trop petit, mais dans tous les cas, elle finirait pas croiser Adrianne à nouveau.
Le coeur battant, elle reprit la parole sans réfléchir trop, adoptant un ton fort peu sympathique.

"Et quand bien même je serais venue pour Léo, qu'est-ce que ça change ? (elle haussa un sourcil, l'air interrogatif). Tu aurais préféré que je ne sois pas là pour continuer à tourner autour de lui, librement ?"

Le coup de la jalousie. Pour une fois c'était bien la vérité. Même si cette fille semblait montrer une réelle compassion pour la mère de Rheïma, cette dernière commençait à réellement en avoir marre de la voir aussi proche de Léo.

  Sourcil toujours haussé, Rheïma écouta avec attention les paroles d'Adrianne. Son coeur battant la chamade, et elle se loua d'avoir croisé les bras, cachant ainsi ses mains qui commençaient à trembler. Avait-elle peur ? Certainement. La peur est normale, surtout quand on se trouve être la brebis au milieu des loups, se cachant avec un costume très peu réaliste. La fille de Borée se demanda si tout cela ne finirait pas au fond des cellules avec un interrogatoire, telle une espionne démasquée. Elle grimaça intérieurement (encore ?). Il fallait qu'elle se bouge, et ça urgeait.

  La demi-déesse, regard toujours hautin envers Adrianne, gardant la même posture, laissa le silence s'installer, préparant rapidement sa réponse. Ce ne fut pas brillant, ce ne fut pas la meilleure réplique du monde, mais ce fut bref, simple, et plus ou moins précis.

"Très bien. Il vaudrait mieux pour tout le monde que ça reste comme ça."

"Et puis, on n'est pas obligées de se voir. Mais sache que Léo restera mon ami. Sans aucune menace. C'est un fait, c'est tout."

  La réponse s'était fait attendre. Adrianne avait croisé les bras, telle Rheïma, et cette dernière ne réagit pas à cette certaine provocation. Elle resta tout aussi impassible (certes avec bien du mal), lorsque la fille d'Arès lui tourna le dos et s'éloigna, le temps d'aller chercher un habit. Rheïma resta immobile, fixant de ses yeux bleus chacun de ses mouvement. Et, lorsqu'Adrianna passa à côté d'elle, elle continua de la suivre du regard. La jeune femme ne se retourna pour regarder partir celle qui était en quelque sorte devenue son ennemie. Ce n'est que quelque minutes après que le bruit de ses pas aient disparut, que Rheïma souffla, décroisant les bras, ses mains tremblantes. Elle s'appuya sur un mur, fixant l'endroit par lequel Adrianne était partie. Une chose était claire, elle venait de tisser un lien négatif avec la fille d'Arès (en plus !), et elle était sûre que ce ne serait pas le premier qu'elle aurait à la Résistance.