i'ts been a long way...

Le hangar est sale et pue la clope. Quand Hero émerge, il a l’impression qu’il fait encore nuit malgré l’heure qu’indique son portable. Les fenêtres ont toutes été cachées par de grands sacs plastique et quelques mecs encapuchonnés sont occupés autour d’une table à glisser de la poudre dans de petits sacs. Il se lève, prend son sac et range les quelques vêtements sur lesquels il a dormi comme s’il s’agissait d’un lit. Quand il vit à New York, il ne transporte avec lui que très peu d’affaires, le strict nécessaire. Le reste de ses effets personnels se trouve dans son bungalow à la Colonie, là où il sait que personne ne viendra lui voler quelque chose la nuit. Aujourd’hui, rien de prévu, mais il se décide à prendre l’un des petits paquets soigneusement emballés dans l’espoir qu’il arriverait à le vendre dans la journée.

Dehors, le soleil l’éblouit et il sort une paire de lunettes de soleil abîmée. Il n’est pas habitué au beau temps, il ne connaît que les jours d’orage. Un coup d’œil dans son sac lui indique qu’il n’a plus de médocs pour oublier à quoi est réduite sa vie. Il faudra faire sans. Il ne se l’avoue pas, mais il commence à devenir accro et ce n’est sûrement pas une journée comme ça qui le lui fera comprendre.

Un coup d’œil rapide dans les avenues alentours lui permet de se situer dans l’immense fourmilière qu’est New-York. Ses souvenirs de la veille sont assez confus mais il ne se formalise pas, il a autre chose à faire, comme se procurer de quoi remplir son ventre. Ses yeux aperçoivent un marchand de hot-dogs, mais une voix dans sa tête lui souffle d’aller à Central Park qui se situe juste à côté alors il abandonne le marchand ambulant pour aller se promener sous les arbres, la tête ailleurs. Ses pensées vont dans tous les sens et il commence à sentir des picotements sur sa peau, signe que son corps lui demande sa dose habituelle. Il n’a pas sa dose. Il doit affronter la réalité, mais il en a perdu l’habitude.

Il s’apprête à acheter un paquet de donuts au prix extrêmement élevé quand il aperçoit l’entrée du zoo à quelques mètres de là. Pour quelqu’un qui est arrivé à New-York il y a maintenant quatre ans, il ne l’a jamais visité et n’y a jamais prêté attention. Mais la fatigue et son corps en manque le pousse à penser que finalement, une petite visite culturelle ne lui ferait pas de mal.  Alors il achète un ticket, puis un gobelet pour enfants représentant un ours polaire qu’il remplit de café et il commence à se balader entre les allées. En fait, les animaux en cage ne sont pas si fameux que ça. Il a même un peu l’impression d’être comme eux, à la différence près que c’est son corps à lui qui lui sert de cage. Il s’apprête à revenir ses pas pour sortir du zoo quand il aperçoit un fantôme.
C’est le café ? La fatigue ? Ou la folie qui l’attaque bien trop tôt ?

Pourquoi est-ce qu’il la voit ici ? Pourquoi maintenant ?

Adriane est morte. On sait tous ce qui arrive à un demi-dieu quand il ne revient pas d’une quête. Il s’est fait à cette idée. Elle lui plaisait, il lui plaisait aussi, ça aurait pu bien finir. Mais elle est morte.
Alors pourquoi est-ce qu’il voyait son putain de fantôme ?

Il cligne des yeux, mais elle est toujours là. Il peut pas s’empêcher de penser que si c’est un fantôme, elle est toujours aussi attirante. Sauf qu’elle est morte, enfin, il n’en est plus vraiment sûr. Il faut bien qu’il vérifie, alors il fait de grands pas rapides pour parvenir à la rejoindre. Il n’a qu’à poser sa main sur son épaule et, s’il le traverse, ça montrera bien qu’il est devenu totalement taré et qu’il voit des fantômes. Sauf que sa main se referme sur son épaule et il la voit lentement pivoter. Tout ce qu’il trouve à dire, c’est :

« T’es pas un fantôme. »

GALLINEA (c)

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Elle souriait comme si de rien n’était. Hero plissa les yeux. Elle souriait comme si rien ne s’était jamais passé. Avait-elle oublié ? Elle n’était jamais revenue de sa quête. Tout le monde l’avait crûe morte et l’avait pleurée à la Colonie. Même si Hero n’avait jamais éprouvé ce sentiment d’appartenance à un groupe, il avait compati aux sentiments des autres.

« Et non ! En chair et en os... Tu t'attendais à quoi ? Je suis increvable, tu sais bien... »

Hero secoua la tête et lâcha son épaule. Non, il ne le savait pas. Tout le monde pouvait crever un jour ou l’autre, demi-dieu ou pas. Personne n’était à l’abri d’un malheur. Et il soupçonnait les dieux de s’amuser à stopper la vie des mortels quand bon leur semblait, même s’il n’avait rien pour appuyer ce qu’il avançait.

« Pourquoi tu ne m’as rien dit ? On était amis. Je comprends que t’aies pas eu envie d’en parler à Chiron ou aux autres… Mais pourquoi pas à moi ? »

La savoir en vie aurait dû le mettre de bonne humeur mais il avait plutôt envie de lui gueuler dessus. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi elle lui avait caché cela. Qu’est-ce qui aurait pu l’empêcher de le prévenir, même par un simple message ? Rien. Hero ne voyait aucune raison suffisante pour qu’elle lui cache le fait qu’elle était en vie.

« Tu aurais dû me le dire. Tu crois que je l’ai pris comment, quand ils ont annoncé à ta mort ? » Dit-il en élevant la voix, les poings serrés.

La vérité c’est qu’il avait cru que c’était la faute des dieux. Il était déjà persuadé que c’était eux qui lui avait retiré son père alors, pourquoi n’auraient-ils pas accidentellement tué Adriane ? Et la savoir morte, ça lui donnait une nouvelle raison d’en vouloir aux dieux. Mais maintenant, elle était bien là devant lui, vivante, et pourtant il continuait de les détester. Et il était en colère parce que, pendant tout ce temps où il ruminait sa rancœur, elle était vivante et n’avait pas cherché à le lui faire savoir.

GALLINEA (c)

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Au lieu de lui répondre, Adriane lui prit la main et l’entraîna à l’écart, comme si elle craignait d’être vue ou qu’il fasse une scène devant tout le monde. Maintenant, ils étaient assis sur un banc loin de tout, mais Hero ne se sentait pas capable de rester assis sans bouger très longtemps.

« Je suis désolée Hero. Vraiment. Mais je ne pouvais rien dire... C'est compliqué. »

Il eut envie de lui crier que non, ce n’était pas compliqué, que c’était juste elle qui s’était compliquée la vie. Qu’est-ce que ça lui aurait coûté de lui envoyer ne serait-ce qu’un message-iris ? Rien. Et il voyait bien que ça la mettait mal à l’aise de devoir se justifier, qu’elle n’aimait pas comment les choses se dérouler. Pourtant, il n’avait pas envie d’améliorer la situation. C’en était trop pour lui. Et il ne pouvait pas accepter si peu d’informations…

« Mais tu m'as manqué tu sais... Si j'avais pu, je t'aurais contacté.. »

Hero eut comme un pincement au cœur. Pendant quelques instants, il eut envie d’abandonner tout ce qu’il pensait et de lui pardonner, mais une petite voix dans sa tête se mit aussitôt à gueuler. Il ne pouvait pas céder à chaque fois qu’une jolie fille lui parler, quand même ! Bon, certes, Adriane était plus qu’une jolie fille. Mais il s’était écoulé des mois depuis sa présumée mort. Des tas de choses s’étaient passées. Les circonstances n’étaient plus du tous les mêmes.

« J’aurais aimé te croire sur parole, vraiment. Mais tu penses vraiment qu’en me disant seulement que c’est compliqué, sans me donner d’autres explications, je vais tout accepter sans rien dire ? Ça marche pas comme ça, merde. Je pensais que tu avais confiance en moi. »

Il avait du mal à comprendre ce qui empêchait Adriane de lui expliquer pourquoi elle n’avait pas cherché à le prévenir. Elle ne trempait pas dans de drôles de magouilles. Elle n’avait pas d’ennemi juré. Personne ne lui faisait du chantage ou autre. Qu’est-ce qui lui faisait si peur, au point qu’elle ne veuille pas lui en parler ?

GALLINEA (c)

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Hero fronça les sourcils quand il crût voir des larmes perler aux coins de ses yeux. Il savait qu’il avait été rude, il l’avait toujours été. Peut-être même que la colère accentuait ce trait de caractère encore plus. Mais la voir comme ça l’avait quelque peu décontenancé. Certes, il avait des raisons d’être en énervé contre Adriane… Mais il ne s’était pas montré des plus compréhensibles non plus. Et maintenant, il ne savait plus trop quoi penser.

« Très bien. Je vais t'expliquer mais sache que je ne pourrais pas tout te dire... »

C’était déjà mieux que son silence. Le fils d’Eris croisa les bras et hocha la tête, signe qu’il l’écoutait attentivement.

« Pendant la quête, mes deux frères sont morts et... moi aussi j'aurais dû mourir. Mais on dirait que certains ne pensaient pas la même chose alors j'ai survécu. Mais je ne pouvais pas rentrer Hero, depuis la guerre, je voulais seulement partir mais Arès m'en empêchait... Alors j'ai rejoint un autre groupe disons... Qui pense comme moi. »

Au départ, il se sentit comme soulagé, s’étant imaginé qu’elle était victime de chantage ou d’un autre truc du genre. Puis, prenant un air moins maussade, il décroisa ses bras. Il voyait bien qu’elle lui disait la vérité, que c’était tout ce qu’elle pouvait dévoiler. Ses yeux l’imploraient de la pardonner. Pourtant, Hero avait une fierté mal placée qui n’avait toujours pas digéré le fait de ne pas avoir été mis au courant. Rien que pour ça, une partie de lui considérait qu’il pouvait continuer à faire la gueule. Mais il n’y parviendrait pas. Il suffisait de voir Adriane le regarder ainsi pour qu’il comprenne que cela ne servait à rien de continuer comme ça. Et puis, franchement, qu’est-ce qui le retenait ? Il avait eu des réponses. Elle était désolée.

Il baissa les yeux et regarda ses mains pendant quelques secondes. Il ne pouvait pas nier le fait qu’il était toujours très en colère. S’il le pouvait, il hurlerait un bon coup en espérant que ça fasse sortir toute sa rancœur hors de lui. Il se contenta de grimacer un sourire.

« Ouais, c’est ça. Je te crois. Et c’est ce groupe qui t’a empêché de me contacter pendant tout ce temps, hein ? Fais gaffe, Adriane, ils sont juste derrière toi, ils vont te tirer une balle dessus si tu continues à me parler. » Marmonna-t-il avec un goût amer dans la gorge.

GALLINEA (c)

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« Non t'inquiète pas, c'est toi qu'ils abattront, pas moi. Et je ne rigole pas Hero... »

Il voyait bien qu’elle ne rigolait pas. Un frisson lui parcourut l’échine quand il imagina son cadavre gisant au sol, et il secoua la tête pour chasser cette image de sa tête. Non, il ne voulait pas mourir. Pas maintenant. Les paroles d’Adriane ne le rassuraient pas, pourtant il s’efforça de ne rien laisser paraître.

« Et puis je te signale que toi non plus tu n'as pas cherché à me retrouver... Je suis certaine que vous aviez le corps de mes frères et ça ne vous paraissait pas bizarre que le mien ait disparu ? Tu étais bien content de ne plus me voir, avoue ! »

Son visage de marbre dura exactement cinq secondes. Après, il se défigura lentement, comme une statue se fissurant au cours du temps. On lui avait dit pas mal d’atrocités au cours de sa vie. Hero s’était fait à la raison : son putain de pouvoir finissait par rendre les gens furieux et ceux-ci finissaient toujours par lui cracher à la figure. Tout le monde passait par là. Pourtant… Adriane n’était pas tout le monde, enfin, il aurait aimé qu’elle soit différente.

« C’est ce que tu penses ? »  Articula-t-il lentement. Il aurait voulu hurler quelque chose de cinglant, histoire de la blesser. Il ne savait que crier, de toute façon. Pourtant, aucun autre son ne sortait de sa bouche. Ses yeux le brûlaient. Il se félicita d’avoir gardé ses lunettes, pour ne pas qu’elle puisse voir le regard de chien battu qu’il devait avoir.

Il sentit le bout de ses doigts le picoter. Instinctivement, il serra les poings et constata que son corps n’était pas pétrifié et qu’il pouvait bouger, contrairement à ce que pensait son esprit givré.

« Tu sais quoi ? Non, je n’étais pas content de ne plus te voir, loin de là ! J’me suis acharné pendant des semaines à penser que tu n’étais pas morte, que tu devais être quelque part dans le monde, à chercher désespérément à nous contacter ! J’ai élaboré des tas d’hypothèses dans mon coin, encore et encore, jusqu’à me faire à l’idée que tu n’étais plus parmi nous. J’venais enfin de tourner la page, de renoncer à… De renoncer à toi, et tu choisis pile poil ce moment pour réapparaître ! Et comme si ce n’était pas assez, bien entendu, il faut que tu sois dans un groupe de malades mentaux qui n’ont aucune pitié à empêcher une pauvre jeune femme d’envoyer ne serait-ce qu’un malheureux SMS ! » Finit-il par crier en se levant brusquement. Quelques passants tournèrent la tête, mais ils étaient trop à l’écart pour qu’on puisse les distinguer clairement. Hero avait les mains qui tremblaient, mais il n’aurait pas sû dire si c’était sous le coup de l’émotion ou seulement parce que son corps commençait sérieusement à demander sa dose. Il arracha ses lunettes de soleil et les écrasa sous le talon de sa chaussure. Puis, après avoir pris bruyamment de grandes inspirations, il reprit d’une voix aussi tremblante que ses mains. « Même un pigeon voyageur m’aurait suffi... Mais non. Je n’ai rien reçu. Silence radio. J’étais tout seul à ruminer mes pensées et mes hypothèses à la con. Et personne n’est venu me tirer de là. »

GALLINEA (c)

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« Hero... Tu ne comprends pas... Je pensais que c'était mieux pour toi de me croire morte plutôt que de savoir que plus jamais je ne voulais avoir affaire au monde mythologique. Et puis j'ai rencontré ce groupe, ils m'ont donné un but et je me suis dit que tu ne comprendrais pas... Je ne voulais pas t'entraîner là-dedans, je pensais que tu serais mieux sans moi. »

Bien sûr. C’était lui qui ne comprenait pas, qui ne pouvait pas comprendre. Hero sentit des frissons lui remonter le long de l’échine. Il ne voulait pas des excuses d’Adriane, il s’en fichait éperdument. Il lui en voulait énormément pour lui avoir caché le fait qu’elle était en vie. Il lui en voulait encore plus parce qu’elle cherchait à s’excuser devant lui, qu’elle cherchait à se justifier. Il n’arrivait pas à se défaire de l’annonce qu’avait fait Monsieur D quand les corps de ses deux frères avaient été rapportés. Elle était morte, avait-il annoncé, même si maintenant il comprenait qu’elle ne l’était pas mais qu’elle ne lui avait pas dit, comme si c’était un secret. Mais il ne s’était pas senti mieux sans elle, au contraire.

Elle tenta de lui attraper la main, mais il recula en écartant son bras d’un geste brusque.

« Ne me touche pas. » Siffla-t-il. « Tu  crois que tu peux choisir ce qui est bon et mauvais pour moi ? Tu penses vraiment que je n’aurais pas compris si tu m’avais dit la vérité dès le début ? Arrête de dire des conneries, Adriane ! C’est pas moi qui était bien content de ne plus te voir, en fait. C’était toi ! » Cria-t-il en détachant chacun des derniers mots. « Tu étais bien plus heureuse, débarrassée de tous ces crétins de la Colonie. Olala, comme la vie est meilleure sans Hero dans mes pattes ! » Dit-il en prenant une voix plus aigüe, mais son regard conservé cet éclat sombre qui ne rendait pas le tout amusant. Puis, reprenant son timbre de voix normal, il marmonna : « Arrête de te chercher des excuses. C’est toi qui est bien mieux sans moi, visiblement. »

Il desserra ses poings, dont les jointures avaient fini par blanchir. Le poids de son sac à dos pesait sur ses épaules, mais Hero se sentait beaucoup plus accablé par le poids de la colère. Ses origines divines auraient voulu faire de lui un monstre de colère, mais il n’avait plus rien à crier. Il passa sa main sur son visage, cherchant à essuyer des larmes qui n’avaient pas coulé.

« J’me tire. » Dit-il en reculant encore de quelques pas.

GALLINEA (c)

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Il avait pressé le pas, remontant l’allée principale du zoo, le souffle court. Son corps tout entier le démangeait, comme si cette enveloppe était devenue soudainement trop étroite pour contenir tout son esprit. Il avait vu les larmes perler aux coins des yeux d’Adriane mais avait décidé de les ignorer. C’est à ça que t’es réduit, alors ? Tu fais pleurer les filles maintenant ? Demanda une voix dans sa tête – la voix de la raison, sans doute. Il choisit de ne rien répondre et continua à marcher, espérant quitter le plus vite possible le lieu, mais c’était sans compter sur Adriane qui le rattrapa et le coinça entre deux arbres. Il était piégé et il n’avait plus rien à lui crier dessus.

« Ecoute, quand mes frères sont morts, j'étais dévastée. Je ne voulais pas revenir à la Colonie parce que j'en avais marre de voir les autres se sacrifier pour Eux ! »

Et elle lui désigna le ciel, les yeux encore pleins de larmes. Hero leva la tête, espérant y voir un quelconque signe, mais il ne vit que des nuages et les rayons du soleil qui l’aveuglèrent. Rebaissant les yeux, il se mordit la lèvre, ne sachant pas quoi lui répondre.

« Alors je n'ai pas voulu rentrer. J'en avais marre de voir les autres mourir autour de moi. Je me suis cachée jusqu'à ce qu'ils me trouvent. D'autres demi-dieux qui eux aussi détestent nos parents. Ils veulent les faire tomber et je les aide. Tu penses vraiment que ce serait une bonne chose que la Colonie le sache ? Pour avoir sur les bras une guerre civile ? Très peu pour moi ! »

Relevant les yeux vers elle, il la considéra quelques instants d’un air perdu, comme s’il s’était égaré. Alors c’était ça, le point de tout ? Un groupe de gens qui détestaient leur parent divin, c’était pour eux qu’elle avait tout quitté ? Arrête Hero, à sa place, tu aurais fait exactement la même chose. Tout le monde a une rancœur accumulée au fond de lui, il suffit de toucher le point sensible pour l’exacerber.

« Et jamais je n'aurais voulu t'abandonner... En fait, je t'aurais bien emmené mais je ne suis pas sûre que tu aies envie de Les faire tomber. Alors j'ai pris sur moi. Je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit Hero parce que... Ben parce que je t'aime bien. »

Hero entendit sa voix se briser et sentit aussitôt le sentiment familier de la culpabilité l’envahir. Elle le fixait intensément, déterminée à lui faire comprendre ce qu’elle se tuait à lui expliquer depuis tout à l’heure. Il soutint son regard quelques instants avant de le détourner, incapable de tenir. L’évocation de ce groupe avait fait ressurgir en lui toute la colère qu’il avait accumulé contre ses origines divines. Il était quasiment persuadé qu’un dieu faisait de sa vie un enfer, que tout ce qui lui arrivait était de la faute d’une divinité. Tout ça, en partie, avait alimenté sa haine de l’Olympe et des dieux en général, mais il ne pouvait pas oublier sa demi-sœur Léthé. S’il pouvait tous les détester, elle restait l’exception à la règle. Là était tout le dilemme, la question à 1000 dollars. Malheureusement, il n’en avait pas la réponse.

Prenant une grande inspiration, il passa lentement sa main dans ses cheveux.

« J’ai du mal à te croire… C’est si soudain. Et si tout cela est vrai, ça change tout… Absolument tout. » Finit-il par articuler, la gorge sèche. « Je ne sais pas ce que tu attends de moi. Je ne peux pas totalement approuver ton choix, mais je ne peux pas non plus te faire la morale. Mais je te crois. » Rajouta-t-il en soufflant.

Il baissa ensuite les yeux pour contempler la semelle de ses chaussures défoncées.

« Je ne t’en veux pas. Du moins, pas autant que ce que j’ai pu te laisser croire en te gueulant dessus. »

GALLINEA (c)

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La réaction d’Adriane déstabilisa Hero : celle-ci lui sauta dans les bras, comme s’il ne s’était rien passé entre eux, comme s’ils se n’étaient jamais gueulés dessus, comme s'ils étaient restés amis depuis tout ce temps. Restant paralysé, il détourna le regard, ne sachant pas vraiment comme réagir. À vrai dire, il n’avait jamais été très à l’aise avec les contacts humains ça n’était pas sa tasse de thé. Il n’était pas du genre tactile. Quand elle s’éloigna de lui, il lui adressa un sourire grimaçant.

« Tu sais, je ne m'attends pas vraiment à ce que tu quittes la Colonie et vienne. Jamais je ne te demanderai ça. En revanche, j'aimerai qu'on reste amis... Si tu veux. » Lui dit-elle en jouant avec l’herbe en-dessous de ses pieds.

Il devina sans mal qu’elle tenait à la réponse qu’il allait lui donner.

« Tu crois vraiment que je t’aurais laissée me sauter dans les bras si je ne voulais pas que l’on reste amis ? » Lui demanda-t-il en haussant les sourcils, l’air amusé.

Puis, la voyant s’assoir sur l’herbe et sortir un poignard, il se rappela qu’il n’avait aucune arme normale pour un demi-dieu sur lui. Le poids du pistolet qu’il gardait en permanence dans son sac à dos pesa soudainement plus lourd. Il n’aimait pas les épées, les lances, les lames. Lui tout ce qu’il connaissait c’était la détonation de son arme à feu et l’impact des balles sur le corps.  

« Allez assieds-toi donc, grand dadet. T'as pas autre chose à faire de toutes façons, je suppose ? » Et elle tapota l’herbe à côté d’elle. Il hésita quelques secondes puis s’assit à côté d’elle, arrachant quelques brins d’herbe pour les faire rouler entre ses doigts.

« Pas vraiment. Je suppose que je vais pouvoir t’accorder encore un peu de mon temps. » Lui dit-il en sortant son portable de sa poche. Celui-ci était un vieux modèle, totalement cabossé et rayé à certains endroits, si bien que l’on pouvait se demander s’il marchait encore. Hero l’alluma et fixa l’écran, où 3 appels manqués étaient affichés, ce qui le fit froncer les sourcils. Néanmoins, il ne laissa rien transparaître sur son visage et éteint le mobile qu’il fourra aussitôt dans sa poche.

« Je n’ai pas d’adresse stable sur la ville. Une fois qu’on se quittera, comment veux-tu qu’on garde contact ? » Lui demanda-t-il en songeant à l’entrepôt désaffecté où il avait passé ses dernières nuits. Tout comme Adriane ne voulait pas l’entraîner dans cette histoire de demi-dieux vengeurs, il ne voulait pas l’entraîner dans ses histoires de gang et de drogues. Il ne pouvait même pas lui en parler.

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Sa question sembla avoir son effet car Adriane tourna la tête vers lui, l’air interloquée. Tout comme lui, elle n’y avait pas réfléchi.

« Par pigeon voyageur ? » Tenta-t-elle avant d’éclater de rire.

Il eut un sourire amusé puis secoua la tête. À ses yeux, ces piafs étaient incapables de retenir des trajets… Alors transporter des lettres ? Ils n’étaient pas dans Harry Potter, les oiseaux n’étaient pas des facteurs. Mais pendant qu’il riait silencieusement, elle fut prise d’un éclair, comme une sorte d’illumination.

« Tu connais le square où l'on allait parfois en sortant de la Colonie ? Tu vois le banc un peu à l'écart, où on allait s'asseoir. On pourrait s'y faire passer des mots facilement en les fixant en dessous. Ca fait agent secret en plus... » Dit-elle en continuant de rire. L’idée-même le fit sourire. C’est vrai que cela faisait vachement agent secret, il ne manquait plus qu’ils aient un langage codé et des noms de codes et ils se seraient crûs dans un film d’espionnage. « Sauf si tu as une meilleure idée bien sûr... »

Non, il n’en avait pas vraiment. Il n’était pas vraiment doué pour les idées de génie, à vrai dire. Et l’idée d’Adriane, bien qu’un peu cliché, lui semblait pas mal. Ils pouvaient au moins essayer.

« Nan, c’est une chouette idée. Tu y as pensé toute seule ? » Dit-il en esquissant un sourire en coin. « Sincèrement, ça me va. Personne n’aura l’idée de regarder en-dessous, en plus. Les gens ne sont pas assez malins pour ça. » Dit-il en s’étirant. Il visualisait sans mal ce square, à vrai dire. Ils y étaient allés tellement de fois qu’il avait fini par arrêter de compter. Mais il se souvenait en aucun mal de tous les moments qu’ils avaient passés à discuter, loin des oreilles indiscrètes de la Colonie. Il n’y était pas retourné depuis le « départ » d’Adriane, mais il arrivait à se souvenir de chaque détail.

« Cool. Au moins, j’aurais quelqu’un à qui écrire des mots en cas de problème. » Dit-il en tournant son visage pour regarder devant lui, l’air ailleurs.

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« Quels problèmes ? Tu peux me le dire tu sais... » Lui dit-elle en plongeant son regard dans le sien.

Il pinça les lèvres et détourna aussitôt le regard. Ce qu’il aimait bien avec Adriane, c’était qu’elle ne lui avait jamais posé de question, demandé quoique ce soit à propos de sa vie. Il n’avait pas de compte à lui rendre contrairement au reste des personnes qu’il fréquentait. C’était une vraie amie et pourtant, il avait toujours gardé le silence sur ces sujets-là et ça avait toujours marché de cette manière. Pourtant, elle venait de l’inviter à parler, à lui dire quelque chose. Mais aucun son ne sortait de sa bouche.

« Allez ! Tu sais bien que tu peux me faire confiance ! Sinon, je vais être obligée de fouiner. T'en as pas envie, nan ? » Et elle lui adressa un sourire qu’il n’avait pas vu depuis bien longtemps.

Ses yeux se posèrent sur les brins d’herbe à ses pieds et il referma ses poings. Certes, il ne lui en avait jamais parlé… Mais elle venait justement de lui dévoiler des informations dont elle ne devait parler à personne. Elle lui avait montré qu’elle lui faisait confiance, assez pour lui parler de choses dont il ne fallait pas parler. C’était à son tour de lui faire confiance, même si c’était pour briser une promesse qu’il s’était faite à lui-même il y a des années de cela. S’il y avait bien une personne à qui il pouvait en parler, c’était Adriane.

Il ferma les yeux et instantanément, le visage de son père mort lui apparut, étendu dans le salon de leur ancienne maison. Il revit ses mains, couvertes du sang dans lequel il avait retrouvé son paternel sans comprendre ce qui se passait. Cette vision ne cessait de le hanter. Il rouvrit les yeux et prit une grande inspiration. Des années après, il était toujours poursuivi par le même cauchemar.

« Il y a deux ans, j’ai retrouvé mon père mort. Quelqu’un lui avait tiré dessus à deux reprises. Sur le coup, j’ai paniqué et je me suis tiré du village, parce que de toute façon, je m’y étais jamais senti à ma place. » Il déglutit péniblement, un goût amer dans la gorge. À présent, il se rappelait de ce jour où il avait retrouvé un journal où une photo de son père trônait sur la couverture. L’article le désignait comme assassin. Là, il avait encore fui et s’était retrouvé à la Colonie. « Le problème, c’est que… Que… Je… » Allez, tu peux le dire. Prononce ces putains de mots. « Qu’on m’accuse d’être le meurtrier. » Meurtrier. Ce mot lui donnait l’impression de vomir ses tripes. Il passa sa main sur ses lèvres et referma les yeux, un air anxieux sur le visage. « Je l’ai pas tué Adriane, je te jure. Et pourtant, y’a pas un jour où je ne pense pas à ce putain de cadavre. Mais c’est tout comme. Le coupable, sur le papier, c’est moi. » C’est bon. Il l’avait dit. Ses yeux le brûlaient. C’était comme appliquer de l’acide sur une plaie qui n’avait jamais eu le temps de cicatriser totalement. Est-ce qu’elle allait le rejeter ? Lui poser des questions ? Non, pas d’autres questions, pitié. Il ne voulait pas répondre à des questions. Il avait juste besoin qu’on lui dise que ce n’était pas de sa faute. Que ça n’avait jamais été de sa faute.

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Adriane se tourna vers lui et posa sa main sur la sienne, ce qui eut l’effet d’une décharge électrique sur Hero qui sortit de la torpeur dans laquelle ses souvenirs l’avaient entraîné.

« Je sais que ce n'est pas toi. Après tout, c'est toujours sur nous que ça tombe, même quand on a rien fait. Alors je te crois... »

Il esquissa l’ombre d’un sourire tandis qu’elle posait sa tête sur son épaule. Il avait eu peur qu’elle ait une réaction différente, qu’elle le pointe du doigt, qu’elle lui pose un tas de questions, qu’elle se méfie. Après tout, elle avait raison, c’était toujours sur eux que la faute tombait… Mais elle comprenait. Et bien qu’en soit, cette attitude semblait peu importante, cela signifiait beaucoup. Adriane se redressa et sembla réfléchir.

« Ecoute, je sais que c'est un réel problème... Mais il y en a d'autres, pas vrai ? Une raison pour laquelle tu n'as pas d'endroit où rester, où tu disparais parfois... »

C’était la partie submergée de l’iceberg, celle encore moins glorieuse, celle dont il ne pouvait pas être fier. Il passa une main sur sa nuque, les yeux fixés sur un point dans le vague. Sa gorge lui paraissait soudainement très sèche, comme s’il n’avait pas bu depuis des siècles. Il grimaça et fixa le bout de ses baskets défoncés. Dans les séries américaines, ceux qui dealaient ou se droguaient avaient tous de bonnes raisons pour le faire, un passif touchant et humain. Lui, il n’avait rien de tout cela, ses raisons ne tenaient pas la route. Il était juste un pauvre type.

« J’ai une sorte de… Job. C’est assez compliqué et ça m’arrive de devoir disparaître pour une urgence, c’est pour ça. C’est assez dangereux, des fois, mais ça rapporte beaucoup plus que tous les petits boulots à mi-temps que j’ai enchaînés jusqu’à présent. Donc… Je suppose que malgré tout, je peux en tirer quelque chose. » Répondit-il. Il avait parfaitement conscience de répondre à côté de la plaque. Présenté comme ça, cela ne semblait pas du tout problématique. Peut-être parce qu’il avait tourné autour du sujet sans jamais l’aborder réellement.

Oh et puis merde, pensa-t-il soudainement. Il lui avait déjà parlé de son père, rien ne pouvait le retenir si ce n’est sa connerie. Il se comportait juste comme un débile à essayer de lui cacher des choses dont elle devait pertinemment se douter.

« Je suis dans un gang. Je deale, je vole, je braque et parfois, je règle le compte des gens dont me donne le nom. Le truc, c’est que je suis dedans jusqu’au cou… Je peux pas me tirer. J’ai de la chance d’avoir un ami dans la police qui me sort à chaque fois de justesse, mais c’est in extremis. Et si c’est pas les flics, c’est les autres gangs. Je suis coincé là-dedans, et c'est ça le problème. » Expliqua-t-il. « Je peux pas t’en dire plus. C’est comme ton groupe : si je parle, ils te tuent. Et je n’ai pas envie qu’ils te fassent du mal alors que je viens à peine de te retrouver. »

GALLINEA (c)

i'ts been a long way...

Il avait pincé les lèvres, attendant sa réponse avec une certaine appréhension. L’inquiétude avait creusé les traits de son visage, en accentuant encore plus ses cernes et les plis au coin de ses yeux. Il avait eu l’impression de lâcher une grenade sur son amie. Pourtant, elle lui adressa un sourire et l’embrassa sur la joue, comme si c’était tout à fait normal, comme s’il venait de lui proposer d’acheter des muffins. Mieux valait cette réaction plutôt que de l’incompréhension totale – ce qu’il craignait le plus, après la mort.

Alors qu’il se remettait peu à peu de ses paroles – à croire qu’il était le plus choqué des deux par ses propos, Adriane s’était relevée et lui tendait à présent la main en souriant.

« On se balade un peu, tu veux ? » Lui proposa-t-elle, et il attrapa sa main en lui rendant son sourire.

« Proposé si gentiment… »

À vrai dire, le zoo s’était grandement vidé. Hero ne savait pas depuis combien de temps ils y étaient, mais ils avaient sûrement dû rentabiliser le prix du billet – sans pour autant avoir réellement profité des animaux. Il aperçut un petit stand de churros et le pointa du doigt.

« Avant qu’on sorte, tu veux en prendre un cornet ? Je rêve d’en manger depuis que je suis gosse, mais personne n’en vendait dans mon village. Une fois sur New York, j’ai complètement oublié à quel point je voulais en manger. »

Il tourna la tête vers elle et eut un petit sourire en coin. Au fond, il se sentait plutôt soulagé d’avoir parlé de ses… Problèmes ? Pouvait-il vraiment les appeler comme ça ? Le terme choses qui font que ma vie est merdique lui semblait beaucoup plus approprié. Bien qu’à l’instant-même, Hero ne trouvait pas sa vie si merdique que ça.

Ce fût à ce moment-là que son téléphone vibra dans sa poche. Grommelant, il le sortit et fixa l’écran en fronçant les sourcils. 12 appels manqués, venant d’un numéro qu’il ne connaissait que trop bien. Il avait parlé trop vite. Les choses qui rendaient sa vie merdique le rattrapaient toujours, c’était la règle qui définissait entièrement sa vie. Il jeta un coup d’œil à Adriane, puis consulta à nouveau son téléphone. Le choix était vite fait. D’un mouvement expert, il retira la carte SIM de son téléphone et l’écrasa sous son pied. Si quelqu’un voulait l’emmerder, ce serait pour plus tard. Pour l’instant, son temps était consacré à autre chose.

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