Le feu crépitait doucement, éclairant leurs visages d'une lueur chaleureuse. C'était la nuit, et la lune haute dans le ciel semblait veiller sur elles comme une mère. Les chasseresses étaient réunies autour d'un feu. La journée avait été longue et éreintante, et le monstre leur avait échappé, une fois de plus. Néanmoins, cet échec n'avait pas affecté la bonne humeur des chasseresses. Leurs rires clairs résonnait dans la sombre clairière, le dîner avait toujours été le moment préféré d'Amaris. C'était à ce moment qu'elles ressemblaient plus à des adolescentes normales. Ce moment ou elles se retrouvaient toutes pour partager leur repas mais aussi discuter et raconter leurs histoires. Certaines chasseresses avaient plus d'un siècle d'existence et des milliers de choses à raconter. Pourtant, Amaris n'écoutait que d'une oreille ces récits, trop occupée a planter ses dents dans la chair juteuse du poulet. Son visage et ses doigts étaient maculées de sang. Les habitudes alimentaires de la fille-louve ne choquait plus personne maintenant, mêmes si les plus jeunes d'entre elles continuaient de la regarder avec un dégout non-dissimulé. Amaris ne le remarquait même pas, elle n'avait de yeux que pour ce poulet, enfin ce qu'il en restait. Des bouts de chair sanglantes sur des os rongés.«Ama... Dis, Ama !» La fille d'Hécate, releva la tête, une cuisse en bouche. C'était une des plus jeunes chasseresses qui venait de parler, du moins en apparence. C'était une petite fille d'environ huit ans mais qui en réalité, en avait trente de plus. « Dis Ama, raconte-nous encore ton histoire s'il te plait !» Des cris d'approbations fusèrent mêlés a quelques soupirs.  Du plat de la main, Amaris essuya le sang de sa bouche puis se racla la gorge. «Vous la connaissez par cœur... Mais si vous insistez... » Elle prit une grande inspiration et avec ce regard malicieux qui la caractérisait tant, se mit a conter. « Je suis née le 1er novembre 1930, par delà les montagnes, en Bulgarie. Mon père était un tzigane, chef du clan Petrova. Ma mère... On racontait bien des rumeurs à son sujet. On disait que c'était la Reine des Gitans elle-même qui m'avait infantée, d'autres racontaient que j'étais la fille d'une diablesse, d'un mauvais esprit. La vérité c'était que personne n'en savaient rien. J'étais un mystère. Toujours est-il que je fus déposée devant la caravane de mon père la nuit de ma naissance dans un petit panier. J'ai eu une enfance agréable, enfin aussi agréable que peut être la vie d'une petite tzigane dans l’Europe de l'Est de l'avant-guerre. Nous étions chassés partout. On ne pouvait s'installer nulle part sans craindre des représailles de la part des locaux. C'est dur d’être haie pour ce que l'on est lorsqu'on a cinq ans. Néanmoins, a part ça, on pouvait dire que je m'en sortais plutôt pas mal. Mon père m'adorait. Trop, d'ailleurs. Il me surprotégeait, m’empêchant toujours d'aller plus loin que le camp. Mais je lui désobéissais tout le temps. J'ai toujours aimé courir au grand air, vagabonder dans les bois. J'étais une fille de la foret. J'y fis d'ailleurs la rencontre de nombreuses créatures, ceux que vous appelez nymphes et satyres mais qui ont bien d'autres noms pour nous. J'étais intrépide, insolente et insouciante. Mais tout cela changea rapidement. Le jour de mon huitième anniversaire, il se passa quelque chose d'extraordinaire. Mon père réparait le trou béant sur le toit de notre roulotte, car nous venions d'essuyer une violente tempête qui avait tout dévasté sur son passage. Je vis son pied glisser. Puis tout alla très vite. Il aurait du tomber et fracasser ses os sur le sol rocheux. Et pourtant, il resta suspendu en l'air, comme flottant, avant de poser les pieds au sol avec douceur. Je n'ai compris tout de suite ce qu'il s'était passé. Ce n'est que quand j'ai vu les regards des autres, les regards fascinés et terrifiés que je compris que j'étais à l'origine de tout ça. Que je compris que ma vie ne serait plus jamais la même. La magie est très respectée chez les gitans, et les magiciens encore plus. Nous les appelons les Chohivanis, ils protègent le clan contre le mauvais oeil. Et le clan Petrova n'avait pas eu de Chohivanis depuis 30 ans. Je n'étais plus une enfant désormais. Je ne pouvait plus courir à travers la foret, grimper aux arbres et parler aux nymphes. J'avais maintenant de lourdes responsabilités. Je fus placée sous la protection de Yoruba l'Ancienne. C'était la femme la plus vielle du clan, aussi ridée que sage. Yoruba avait des visions sibyllines, et incantait des prophéties qu'a l'époque personne ne comprenait. Tout le monde la pensait un peu folle. Maintenant, je sais que Yoruba, était une oracle, choisie par les Dieux. Elle prédisait qu'un grand malheur allait s’abattre sur nous. A l'époque, personne ne la croyait. Et pourtant...  Amaris s’arrêta deux minutes, ne pouvant contenir son émotion. C'était dur. Et le pire était encore a venir. Elle m'a tout appris. Comment se servir des plantes pour guérir, comment lire l'avenir dans les cartes, comment faire appel aux esprits de la nature. Le temps passait. La guerre faisait rage. On fuyaient, encore et encore. Je devenais plus forte et puis puissante chaque jour. A seulement douze ans, je me sentais déjà prête. J'allais être la plus grande Chohivani que le monde avait connu. J'allais rendre la grandeur à mon clan. Mais les Dieux en avaient décidés autrement. C'était la nuit du 18 mars 1942. Nous étions tous réunis, autour d’un feu, lors d’une soirée froide. Les enfants jouaient entre eux, certaines personnes âgées racontaient des histoires aux plus jeunes et d’autres personnes jouaient de la musique. Tout d'un coup, nous entendirent des vrombissements assourdissant de moteurs. Et en quelques secondes nous étions encerclés. Des hommes en uniformes descendirent des véhicules et aboyèrent des ordres dans une langue qui m'était étrangère. Nous étions pris au piège. Ils prônèrent femmes, hommes, vieillards, et enfants. J'étais paralysée. Mon père était un homme brave, il voulait se battre jusqu'au bout. Il s'élança, l'arme au poing, se ruant sur les nazis. Il...Il... Il fut abattu sur le champ, d'une balle entre les deux yeux. J'ai du mal à me rappeler ce qu'il s'est passait après. Je me souviens avoir hurlé sauf que mon cri n'était pas humain, c'était le cri d'une bête. Je me souviens avoir enfoncer mes ongles dans la poitrine d'un soldat, sauf que ce n'était pas des ongles mais des griffes acérées. Je m'étais transformée en louve. Fuis. Une voix dans ma tête venait de me parler, une voix féminine qui m'étais à la fois inconnue et familière. J'ai été lâche, je l'ai écoutée. Et il n’y a pas un seul jour ou je ne le regrette pas. J'ai passé 7 ans de ma vie en louve. Je n'avais plus aucune souvenir de ma vie d'humaine. Plus aucune humanité. J'ai passé sept ans a vagabonder en Europe. J'étais une louve solitaire. J'étais libre. Ma vie ne se résumait qu'a chasser, manger et dormir. Autour de moi, le paysage commençait à changer, la guerre était finie, le III Reich disparu. J'aurai pu vivre encore longtemps comme ça, si je n'avais pas rencontré Dame Artémis.  J'avais coincé ma patte dans un piège de chasseur et hurlais à la mort. Alertées par mes hurlements, trois jeunes filles se précipitèrent à ma rencontre. L'une d'elle était d'une beauté époustouflante, la plus belle femme que j'u jamais vu, semblable à la lune pour laquelle j’ululais chaque nuit. Vous l'avez deviné, c'était Artémis elle-même. Elle comprit tout de suite que je n'étais pas une simple louve et par quelques mots prononcés en grec ancien, me fit retrouver ma véritable apparence. Je lui devais tout. Je lui jurai allégeance sur le champ et promit de lui être éternellement dévouée. Et c'était la meilleure chose qu'il me soit arrivée... J'ai retrouvé une famille. Enfin, quelques années plus tard, lors d'un passage à la Colonie, je fus revendiquée par ma mère Hécate. Et alors je compris. C'était ma mère elle-même qui m'avait transformée en louve afin de me protéger. Et je lui en serai éternellement reconnaissante. Amaris se tut. Le silence régnait désormais dans la clairière. Raconter son histoire n'était pas facile mais ça lui faisait bien d'en parler, d'évacuer sa peine. Ces chapitres de sont histoire étaient terminés, il était temps de tourner la page. Elle eu un regard en coin pour une jeune fille à la crinière argentée. Elle avait menti. La plus belle femme n'était pas Artémis mais cette jeune fille. Et elle ne mourait que d'une envie, écrire un nouveau chapitre de son histoire avec elle