Après son retour amer à l’Olympe et sa discussion avec Uranie, Neven a bien compris que sa place n’est plus avec le reste des ouranies. Elle sait qu’elle a merdé et que c’est tout ce qu’elle mérite – ça ne l’empêche pas de s’en vouloir terriblement. Elle ne sait pas où aller, quoi faire, comment survivre. Quelle est la place d’une nymphe céleste si ce n’est pas dans le ciel ? Elle n’a aucune idée de ce qui l’attend. Les derniers mois passés dans le monde mortel sont teintés de mauvais souvenirs, elle craint de retomber dans l’alcool, de refaire des conneries, de se perdre à nouveau et de ne pas réussir à s’en sortir. Que faire ? Elle est livrée à elle-même, seule.

Mais elle se souvient des paroles de Chiron. Il lui a parlé d’un endroit où elle pourrait avoir sa place, un endroit dans le monde mortel où les créatures peuvent vivre sans craindre d’être attaqués. Et pas seulement les créatures – il s’agit aussi et surtout d’un endroit pour les enfants de dieux. À vrai dire, l’idée ne l’avait pas beaucoup interpellée. Si la progéniture des dieux était comme leurs parents, elle n’ose pas imaginer l’enfer que ça doit être. Mais a-t-elle vraiment une autre solution ? À part ça, elle n’a aucun endroit où aller. Elle peut au moins essayer de voir ce que ça donne – s’il y a d’autres nymphes, ce n’est pas entièrement mauvais. Bien sûr, elle imagine qu’il n’y aura pas d’autres ouranies… Mais les nymphes sont toutes des enfants de la nature, qu’importe leur milieu.

Et c’est ainsi qu’elle se retrouve à l’entrée du camp, un sac contenant ses quelques affaires personnels sur les épaules, l’air angoissé. C’est bien la première fois qu’elle se demande si elle fait la bonne décision – même quand elle s’est sauvée de l’Olympe, elle ne s’est pas posée autant de questions. Où est passée la Neven intrépide et aventurière ? Impossible qu’elle se soit noyée dans le fond des verres d’alcool. Elle prend une grande inspiration, rassemble son courage et franchit la barrière. Aujourd’hui marque le début d’une nouvelle ère.

Il ne faut pas beaucoup de temps pour que quelqu’un repère l’ouranie. Elle voit la silhouette d’une femme apparaître dans son champ de vision et s’approcher rapidement d’elle, un grand sourire sur ses lèvres, mais ses yeux restent bloqués sur la couronne de fleurs qui ornent ses cheveux comme la tiare d’une princesse.

« Bonjour, Rosie ! De l'aide ? » Sa voix est douce et mélodieuse mais ce que Neven remarque instantanément c’est le doux parfum de cerise qui émane d’elle. Alors naturellement elle esquisse un grand sourire chaleureux à son tour et ses pieds quittent le sol, chose qu’ils n’avaient pas fait depuis des mois, à force de se faire passer pour une mortelle après avoir réalisé que la Brume n’était pas aussi pratique qu’on le racontait.

« Neven. Je m’appelle Neven ! » Lui répond-elle avant de regarder autour d’elles, à la recherche de ce qui pourrait s’apparenter à ce fameux Camp. Mais elle ne voit que des arbres à perte d’horizon et ce parfum de nature qui lui avait tant manqué quand elle logeait en ville, au plein cœur de New York. Même Central Park ne peut pas rivaliser avec ça. « Je cherche Chiron. On m’a parlé d’une colonie où s’entraînaient les sangs-mêlés et où accessoirement pas mal de créatures vivaient… Et il se trouve que je n’ai plus aucun endroit pour vivre alors me voilà ! » Elle hausse les épaules vivement, pleine d’enthousiasme. Elle n’aurait jamais imaginé arriver un jour dans un lieu pareil mais il fallait croire que la destinée était pleine de surprises.

« Et toi, quel est ton nom ? Tu ne ressembles pas vraiment à une enfant de dieu. » Neven a appris à les reconnaître. On ne dirait pas comme ça mais il y en a plein les rues à New York, pas étonnant qu’ils aient autant d’ennuis – on peut sentir leur odeur à des kilomètres à la ronde. Ici par contre, leur odeur n’est presque pas perceptible à moins de passer sous ce fameux pin. Elle se souvient que Chiron lui avait parlé de la protection magique des lieux, accordée grâce à la Toison d’Or. Est-ce donc ça le paradis parmi les mortels ?

« Et bien tu es au bon endroit ! Je t'emmène si tu veux ! » C’est une réponse qui plaît bien à Neven. L’enthousiasme de la brune est communicatif et bien vite celle-ci se retrouve à marcher – ou plutôt à bondir dans le vide – au même rythme qu’elle, laissant un petit silence loin d’être dérangeant s’installer entre elles. Le silence est précieux, Neven l’a bien compris malgré sa tendance à toujours vouloir le meubler, quitte à dire n’importe quoi.

« Et toi, quel est ton nom ? Tu ne ressembles pas vraiment à une enfant de dieu. » Elle éclate de rire, comme s’il s’agissait du blague ; et instinctivement l’ouranie rit à son tour, parce que c’est la meilleure réponse qu’elle puisse connaître. Rire, elle ne l’a pas fait depuis longtemps – du moins, pas aussi spontanément. Mais cette fille en face d’elle semble rendre les choses beaucoup plus naturelles, beaucoup plus faciles. « Bien vu ! Je m'appelle Aliénor et je suis une dryade. Mais si je ne me trompe pas, toi aussi tu es une nymphe, non ? » Neven ouvre la bouche pour répondre mais Aliénor renchérit alors. « Tu verras, tu vas te plaire ici ! Il y a beaucoup de nymphes, des satyres et la plupart des demi-dieux sont vraiment sympas. Ils respectent la nature et ça fait du bien... Chiron aussi est fort sympathique, je suis sûre que tu te sentiras comme chez toi ! »

Neven sourit, charmée par l’énergie de la dryade. Pas de doute : si tout le monde ici était comme elle, elle se plairait sans problème.

« Une nymphe céleste oui ! Bien loin de chez elle, d’ailleurs… » Son regard se porte vers le ciel, se grisant le temps d’un instant. Elle peut sentir la distance qui la sépare du seul lieu qu’elle a jamais connu avant ces dernières années, comme on peut encore sentir ses doigts après avoir eu sa main arrachée. « J’ai rencontré quelques dryades sur l’Olympe. Gentilles mais un peu peureuses – moi, je suis plus du genre à vouloir m’aventurer partout. On me l’a souvent reprochée d’ailleurs, c’est sûrement ça qui m’a mené ici… Elles doivent bien rire là-haut, maintenant. Tant pis. Je ferais bien avec ça. » Débite-t-elle presque sans respirer avant de se rendre qu’encore une fois, les mots dépassent sa pensée.

« Oups ! » Dit-elle en posant sa main sur sa bouche. « Je parle beaucoup et je dis tout un tas de conneries. Fais pas attention à ça ! » Elle agite ensuite sa main maladroitement avant de la laisser brusquement retomber le long de son corps mais c’est presque trop dur pour elle de ne rien faire, alors elle finit par triturer l’une de ses mèches. « J’ai déjà rencontré Chiron, enfin, plutôt son esprit dans le ciel. Sa constellation. C’est lui qui m’a parlé de ce lieu, il me l’a bien vendu même. J’imagine que ça fait partie du job. »

Elle étire ses bras nonchalamment tout en apercevant le toit de la Grande Maison et la forme floue de quelques bungalows. La Colonie porte bien son nom : on dirait vraiment un petit village vacances où les demi-dieux viennent passer du bon temps – du moins c’est ce qu’elle pense jusqu’à ce qu’elles croisent un demi-dieu, une longue épée à la main.

« Vu les endroits où j’ai été avant…. Je suis sûre que je me plairais ici. C’est pas difficile de faire plus accueillant ! » Dit-elle en tournant son visage vers Aliénor, un grand sourire sur les lèvres.

Le rire d’Aliénor est un vrai plaisir à entendre. Plus elles discutent ensemble et plus Neven commence à penser que ça y est, elle a enfin trouvé la place qu’elle pensait qu’on lui avait retiré. Elle qui avait fini par renoncer à la compagnie des nymphes, trop prudentes à son goût, elle se rend compte qu’au final, elle a juste cherché au mauvais endroit. Si toutes les nymphes de la Colonie sont comme elles, cela ne peut annoncer que du bonheur !

« Tu as le goût de l'aventure toi aussi ? Tu verras, ici, certaines Nymphes aiment bouger, aller voir un peu le monde. Moi j'adore ça aussi même si je ne vais jamais trop loin, au cas où on ait besoin de moi ici. » Le goût de l’aventure est un euphémisme pour exprimer à quel point Neven est une pile électrique sur pattes, incapable de rester au même endroit plus de quelques secondes. C’est un vrai miracle qu’elle soit restée avec les autres ouranies aussi longtemps – son admiration pour la muse Uranie y était sûrement pour beaucoup. « Et oui, je ne doute pas que tu vas te plaire. Ca bouge toujours et on te laissera tranquille sur ton passé. Tout le monde ici a eu des problèmes, commis des erreurs. Alors on fait table rase et on commence une nouvelle vie. »

Sans qu’elle ne s’en rende compte, Neven pousse un soupir de soulagement : il y a quelque chose de rassurant à savoir que personne ne la jugera sur son passé – du moins, personne à part elle-même, et c’était déjà bien suffisant. Elle en a fait des erreurs avant d’arriver ici, elle ne veut pas que celles-ci continuent de la hanter. La colonie représente pour elle un nouveau départ, une nouvelle vie pour reprendre les mots d’Aliénor, et elle est plus qu’enchantée de la commencer en sa compagnie.

« J’adore les aventures ! » S’exclame-t-elle en bondissant sur place, s’élevant momentanément dans les airs sous le coup de l’excitation avant de redescendre plus doucement, riant aux éclats. « C’est bien pour ça que je suis allée voir du côté des mortels, je m’ennuyais trop dans le ciel, j’avais l’impression de tourner en rond ! Et voir qu’aucune autre ouranie partageait ma passion me désespérait… Mais c’est le passé maintenant, je peux tout recommencer ici ! »

Et elle continue d’aller de bonds en bonds, plus petits cette fois, suivant Aliénor comme son nouveau modèle à la Colonie. C’est comme une évidence pour elle : cette dryade et elle étaient faites pour se rencontrer, comme si c’était écrit dans les étoiles.

« Comment sont les demi-dieux ? J’en ai rencontré quelques-uns avant d’arriver ici et ils n’étaient pas tous très commodes. Est-ce que la Colonie leur fait du bien ? Est-ce qu’ils sont toujours fascinés par nous autres créatures ? Est-ce qu’on peut toujours leur jouer des tours ? » Demande-t-elle, avide de tout savoir sur sa nouvelle maison.