How dare you not tell me you were here !
Ce matin était un matin comme les autres. Une fois de plus, j'étais en retard. Et pour ne pas l'être de trop, il me faudrait courir, une nouvelle fois. Du moins, c'était ce qu'aurait pensé un humain tout à fait normal. Pour ma part, je prenais tranquillement mon petit déjeuner devant la télé à regarder les infos. Rien de bien différents des autres jours. Mauvaises nouvelles, mauvaises nouvelles, et encore mauvaises nouvelles. A croire que rien dans ce monde ne tournait rond. Néanmoins, les mortels échappaient probablement au pire. Une guerre, dont ils ignoraient l'existence, était actuellement en cours. Et si la Résistance parvenait à ses fins ? Si les dieux venaient à mourir ? Comment évoluerait notre monde sans ces entités indissociables du fonctionnement de cet univers dans lequel nous vivons ?
Lorsque les infos touchèrent à leur fin, je me levais sans empressement, ramenais ma vaisselle à la cuisine et, après avoir enfilé ma veste, je sortais sur le devant de la demeure familiale. Vérifiant que personne ne se trouvait à proximité, je fis craquer ma nuque en penchant la tête d'un côté, puis de l'autre, et je m'élançais. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, j'étais arrivé devant la porte arrière de l'entreprise Stark. A cette heure, personne ne s'y trouvait. Et par chance, j'étais pile à l'heure. Du moins, j'étais arrivé devant la tour au moment où j'aurais dû rentrer dans mon bureau. Heureusement que l'horaire des chercheurs étaient quelque peu plus souple.
Le reste de la matinée se déroula tranquillement, et j'avançais lentement, mais sûrement, dans mes recherches. Le temps suivit son cours et la pause de midi approcha. J'avais donc le droit à une petite heure de repos. Je sortis du bâtiment et partis à la sandwicherie du coin pour répondre à l'appel de mon estomac. Après avoir eu fini de manger et avoir payé, je retournais à l'entreprise en passant par l'accueil. Toutefois, en arrivant, la secrétaire m'interpella.
« Adrian ! Tu as reçu du courrier. Une jeune femme un peu bizarre. Elle est venue pour me donner cette carte. Elle était vraiment bizarre. Elle se promenait pieds nus. Tu devrais faire attention à toi, elle est peut-être un peu cinglée... » Je ne m'offusquais pas du tutoiement de la secrétaire, même si nous n'étions pas collègues directs. Après tout, elle m'avait connu alors que je portais encore des langes. Elle nous avait vus grandir, Leslie et moi, lorsque nous accompagnions notre père. Lorsqu'elle avait parlé de courrier, j'étais plus surpris qu'autre chose. Il est fréquent que les chercheurs reçoivent des documents importants de la part de leurs confrères, mais j'étais encore bien trop nouveau dans le secteur que pour ce genre de choses. Mais lorsqu'elle mentionna la jeune femme se déplaçant pieds nus, je m'arrêtais, la main à demi-tendue vers la carte qu'elle me tendait. Le temps sembla se figer. Je ne connaissais qu'une seule personne capable de se déplacer jusqu'à l'entreprise Stark, les pieds nus, juste dans le but de me laisser un message.
Je finis enfin par saisir du précieux message. Une simple carte postale. Du genre de celles que les touristes achètent pour envoyer à leur famille. Lorsque je retournais le bout de carton pour y lire le message, mes yeux furent immédiatement attirés vers la signature. Un dessin d'une cerise. Mes doutes quant à l'expéditeur s'avérèrent donc justes. Sans prendre la peine de lire ce qui précédait cette signature, je partis d'un pas pressé vers mon bureau. Arrivé au tournant du couloir, je me retournais à nouveau vers la secrétaire.
« Au fait Emma... » « Oui Adrian ? » « Je vous interdis formellement de redire une seule fois du mal de cette personne, est-ce bien clair ? » Et sans lui laisser le temps de répliquer, et sans même me préoccuper de son air interrogateur, je filais immédiatement dans mon bureau. Une fois la porte refermée derrière moi, je m'installais sur ma chaise et, sans plus attendre, je lisais le contenu du message. En réalité, celui-ci ne disait pas grand chose. Un lieu et une heure. L'auteur semblait simplement me fixer un point de rendez-vous. Et ce dernier tombait plutôt bien puisqu'il avait lieu après mes heures de travail de ce jour. Mais le problème était tout autre.
J'étais furieux. Furieux contre moi-même. Lors de mon passage à la Colonie, les récents évènements, dont Hermès m'avait fait part, avaient eu pour effet de me faire oublier plusieurs choses que j'aurais dû faire à Long Island. J'avais des amis à la Colonie. Des gens qui m'étaient tout particulièrement précieux. Et cette femme qu'Emma avait ouvertement critiquée était probablement l'une des personnes que j'affectionnais le plus, après ma soeur. Et en idiot que j'étais, j'avais complètement oublié d'aller la voir lors de mon retour. Il était impératif que je me fasse pardonner.
Commençant à faire les cents pas devant ma fenêtre, je réfléchissais à une idée. Etant donné sa nature d'immortelle, il fallait que je sois original. Un cadeau que l'on offrirait à une mortelle quelconque n'aurait pas l'impact souhaité à son égard. Réfléchissant à une solution, je m'arrêtais devant la vitre qui donnait vue sur la ville et y posais mon front. J'avais besoin de me concentrer. De trouver ce qui me permettrait de calmer la possible fureur de mon amie. Me focalisant sur les souvenirs que j'avais d'elle, je parvenais à la visualiser comme si elle était en face de moi. Je la revoyais assise au bord du lac à mes côtés, radieuse et un sourire éclairant son visage alors que nous discutions de je ne sais plus quel sujet. Elle était affairée à se confectionner une couronne de fleurs. Je me souvenais à quel point elle aimait en porter. Et il fallait admettre que cet accessoire lui allait à merveille. La réponse à mes questions était là. Une couronne de fleurs. Et je ne songeais pas à en acheter une, mais bien à la fabriquer de mes propres mains. Je n'avais jamais été doué dans les bricolages de la sorte, mais je pense que mon amie ne m'en tiendrait pas spécialement rigueur. Après tout, comme on dit, c'est l'intention qui compte, non ?
Maintenant que le cadeau était choisi, encore fallait-il le réaliser. Et le temps m'était compté. Et il n'était plus suffisant pour que je puisse avoir terminé avant l'heure du rendez-vous. Je pris alors mon téléphone et appelais mon père pour lui signaler que je devais m'absenter durant toute l'après-midi pour régler une histoire d'ordre à la fois privé et... mythologique. Bien entendu, la demi-journée de congé avait été acceptée. Sans perdre une seconde de plus, je sortis de l'entreprise pour la seconde fois. La première consistait à me rendre chez un fleuriste et à lui acheter de multiples fleurs de plusieurs sortes. Je n'avais pas besoin qu'il compose un bouquet particulièrement esthétique puisque j'allais le défaire par la suite pour créer la couronne. Néanmoins, en lui demandant de tout de même réaliser cet énorme assemblage, j'étais sûr que j'aurai à ma disposition une palette de couleurs harmonieuse. De retour à la maison, j'entrepris pendant deux, voire trois bonnes heures à la confection du présent. J'essayais de reproduire les gestes que j'avais pu observer à de maintes reprises lors des quelques années passées à la Colonie. Lors de ces quelques moments en tête à tête avec mon amie, à discuter de la pluie et du beau temps.
Le travail s'avéra plus titanesque que ce à quoi je pensais. A ce moment, je qualifiais la création d'une couronne de fleurs comme étant candidate pour passer aux treize travaux d'Hercule. Satisfait du temps investi dans cet ouvrage, je me levais afin de me dégourdir les membres et d'aller prendre une douche avec un gel douche à l'odeur de pomme. Un doux parfum qui ne ferait qui nous ramener dans nos vieux souvenirs fruités, à savoir lequel de la cerise ou de la pomme était le meilleur des deux. Une fois la douche terminée et les cheveux secs, je retournais devant ma création dont j'étais si fier. Mais après m'être éloigné quelques dizaines de minutes, je pouvais désormais l'admirer à sa juste valeur. Cette couronne de fleurs sur laquelle j'avais passé plusieurs heures était incroyablement... médiocre. Soupirant de désespoir devant mon manque de talent, j'emballais tout de même le cadeau dans un emballage et l'embarquais avec moi. Direction Central Park.
Atteindre le célèbre espace vert était une tâche naturellement aisée. Toutefois, le plus dur était d'atteindre le point de rendez-vous exact. En effet, sur la carte, le lieu consistait en toute une zone du parc. La surface couverte était alors particulièrement imposante, d'autant plus que je ne pourrais pas la parcourir en utilisant une vitesse maximale. Cela n'aurait servi rien de me déplacer trop vite. Il fallait qu'elle m'aperçoive à mon approche tout de même ! Et puis, bien qu'il y ait la Brume, je ne sais pas ce qu'auraient pensé les mortels en voyant les traces de neige que j'aurai laissées derrière moi. Et hors de question d'utiliser Silver, mon renard, pour la retrouver. Ce n'était probablement pas courant de voir un humain courir aux côtés d'un animal normalement sauvage.
Si j'avais su que je n'aurais pas eu besoin de chercher après elle, je me serais certainement posé beaucoup moins de questions. En effet, alors que je m'approchais d'un arbre quelque peu isolé dans la vaste étendue verte, une sorte d'instinct me poussa à lever les yeux. Et c'est là que je la vis, volant droit vers moi. Etait-ce un avion ? Non ! Etait-ce un oiseau ? Non ! Mieux que ça ! C'était une pomme ! Un fruit béni des dieux, un cadeau du ciel ! D'un geste rapide, je l'attrapai au vol, un sourire satisfait aux lèvres. Toutefois, mon attention ne resta pas focalisée plus longtemps sur ce délicieux artefact. Lorsque j'avais attrapé le projectile, il avait libéré dans mon champ de vision la raison de ma présence en ces lieux.
« Alors comme ça, on n'en a plus rien à faire des gens de la Colonie ? Ou de moi ? » Aliénor. Nous nous étions rencontrés peu de temps après mon arrivée à la Colonie. Nous étions rapidement devenus amis. Sa faculté à se changer en cerisier m'avait toujours intéressé. Et cette douce odeur fruitée qu'elle dégageait, je pouvais presque la sentir depuis le pied de l'arbre dans lequel elle s'était perchée. Le jeu d'ombres et de lumières des rayons du soleil qui filtraient à travers le feuillage donnait à la charmante créature un côté mystérieux, qui s'accordait en parfaite harmonie à son élégance naturelle. Bien qu'elle ait toujours occupé une place importante dans mon coeur, j'en avais presque oublié sa beauté, similaire à celle d'un cerisier en fleurs.
« Comment pourrais-je ne plus en avoir rien à faire d'une personne aussi charmante que toi Aliénor ? » Je lui avais répondu d'un ton mi-amusé, mi-charmeur, un sourire s'étirant sur mon visage. J'étais heureux de la revoir après ces deux années passées dans le froid de la Russie. C'était en sa présence que je réalisais alors l'ampleur de son importance dans ma vie. C'était à ce moment que je me rendais compte à quel point elle m'avait manqué. Pas autant que Leslie, certes, mais tout de même.
« Bon alors, tu descends ou bien tu vas m'obliger à salir ma chemise en me faisant grimper dans l'arbre ? » Je me préparai alors mentalement à rattraper Aliénor, ne sachant absolument pas ce qu'elle me répondrait. Elle pourrait bien être capable de sauter de sa branche, et je ne voudrais pas prendre le moindre risque qu'elle se fasse mal à l'atterrissage. Après tout, les femmes s'avèrent tout particulièrement imprévisibles, et elles le sont d'autant plus lorsqu'elles sont immortelles...