« - Charlie, je sais que tu es là-haut et j’aimerais que tu descendes, elle va bientôt arriver. » La voix de Lisbeth avait résonné distinctement dans la sérénité du crépuscule. Elle avait du passer sa tête par la fenêtre, tentant d’apercevoir la gamine assise en boule, les bras autour de ses genoux, sur le toit de la maison. C’était une habitude qu’elle avait prise presque dès le premier soir de son arrivée dans cette nouvelle famille. Ici, elle devait partager sa chambre avec deux autres enfants d’à peu près son âge et qui n’avaient pas été ravis de devoir lui céder une partie de leur territoire. Elle non plus n’avait pas été ravie d’être envoyée ici, bien que Lisbeth eût été la plus chaleureuse des nombreuses mères d’accueil qui avaient été chargées de s’occuper d’elle. Même lorsqu’elle était énervée, son ton restait doux, maternel, et c’était ce qui rendait les choses si difficiles. Charlie ne voulait pas descendre de ce toit, elle ne voulait pas non plus attendre sagement assise sur le lit qui avait été le sien pendant quelques mois, à côté de son petit sac pitoyable contenant l’intégralité de ses possessions, qu’elle n’arrivât. Elle, c’était l’assistante sociale qui la suivait depuis qu’elle avait décidé qu’elle ne pouvait plus vivre avec son père. Elle ne pouvait pas vraiment la blâmer pour cela. À l’époque elle n’était âgée que de six ans mais elle avait très bien compris que pour sa propre sécurité, elle ne pouvait pas rester. Son père avait été un célèbre physicien et professeur d’université à New-York après avoir émigré depuis la France. Du moins c’était avant d’être abandonné avec un bébé sur les bras par celle qu’il pensait être la femme de sa vie. Charlie ne l’avait jamais connu dans ses bons jours, tout ce qu’il restait c’était des photographies d’un homme que l’on reconnaissait à peine, tant il semblait vieilli, terni, par l’alcool, son nouveau compagnon de vie. Cette fourbe boisson avait d’abord été un moyen pour lui de surmonter la perte qu’il venait de connaître, un moyen de tenir le coup tout en lâchant prise. Ce qui devait être éphémère devint très vite régulier, lui fit perdre son travail, sa réputation, une grande partie de ses amis. Bientôt, il ne resta que lui, l’alcool et cette enfant qu’il n’avait pas demandé mais dont il était obligé de s’occuper. Alors c’était sur elle qu’il rejetait sa frustration, jusqu’à ce qu’on la retirât de sa garde. Quant à sa mère, elle ignorait même jusqu’à son prénom. Il s’agissait d’un sujet tabou et elle avait vite appris qu’il était plus sage d’arrêter de poser ses questions d’enfant à son sujet : Pourquoi était-elle partie ? Allait-elle revenir un jour ? À quoi ressemblait-elle ? Ne l’aimait-elle pas ?

Ce fut sur ces pensées qu’elle se redressa, ses petites mains essuyant les larmes qu’elle s’était autorisée à pleurer, seule à l’abris sur ce toit, de son visage. La tête de Lisbeth avait disparu du cadre de la fenêtre et aucun bruit ne lui parvenait depuis la chambre. Les autres avaient du comprendre, qu’il s’agissait de l’endroit à éviter pour la soirée. Après avoir réprimé ses derniers sanglots, elle décida enfin à quitter ce petit sanctuaire qui était le sien. Elle se hissa à l’intérieur avec une agilité propre aux enfants de jeune âge (même du haut de ses dix ans elle conservait une silhouette frêle), attrapa son sac et descendit les escaliers sur la pointe des pieds avant de quitter la maison sans un bruit par la porte de derrière. Elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle allait se rendre, mais elle avait décrété que n’importe où serait mieux que de revivre encore une fois un transfert vers une nouvelle famille, ou pire, un foyer, si personne ne voulait plus d’elle comme le lui avait laissé entendre l’assistante sociale lorsqu’elle l’avait déposée chez Lisbeth pour la première fois. Plongeant son regard compatissant dans les yeux bleus de Charlie, assise sur la banquette arrière, elle lui avait murmuré « - La dernière chose que nous voulons, toi et moi Charlie, c’est de te voir finir dans un foyer, alors je t’en prie cette fois, fais en sorte que ça marche. » Charlie n’était pourtant pas vilaine, mais elle se rapprochait de la catégorie dite des « enfants difficiles ». D’après quelques psychologues experts dans le suivi d’enfants de sa situation, il n’y avait rien d’étonnant à cela. Un modèle familial chaotique et une enfance instable suffisaient à perturber ces humains miniature qui n’avaient rien demandé à personne. Ainsi, elle faisait face à un constant sentiment d’abandon. Ce n’était pas qu’elle y mettait de la mauvaise volonté, elle avait réellement essayé de s’intégrer dans les premières familles, mais tout se passait toujours mal et les catastrophes semblaient la poursuivre. À l’école d’abord on se plaignait d’elle. Dyslexie, déficit d’attention, hyperactivité, il s’agissait d’une sorte de trio cauchemardesque pour l’ensemble de ses professeurs. À la « maison », ce n’était jamais mieux. Malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à se sentir à sa place et finissait toujours par faire quelque chose qui désespérait sa famille d’accueil du moment et la poussait à « l’échanger », comme une vulgaire marchandise, contre un enfant qui leur causerait moins de problèmes.

La famille de Lisbeth avait été la neuvième à l’accueillir en quatre ans et représentait en quelque sorte sa dernière chance. Elle n’en était pas uniquement consciente à cause de cette assistante sociale qui disait vouloir son bien, lui offrant de temps à autre un sourire de réconfort avant de s’en retourner voir sa famille parfaite. Non, elle le savait parce qu’elle n’avait plus le courage de revivre toute cette peine une fois de plus. Pourquoi son père n’était-il pas capable de s’occuper d’elle ? Pourquoi sa mère était-elle inconnue ? Tout cela était injuste, elle était fatiguée d’en payer les frais.  Les larmes lui remontaient aux yeux tandis qu’elle s’éloignait de la maison, doucement d’abord, priant pour ne pas se faire remarquer, en courant ensuite, désireuse de mettre le plus de distance possible entre elle et cet endroit. Elle s’arrêta aussi essoufflée que désespérée quelques rues plus loin. Elle faisait une piètre fugueuse. Le pire c’est que, passées ses premières réticences ainsi que celles des autres enfants placés sous la garde de Lisbeth, elle s’était réellement laissée à penser que les choses pourraient être différentes cette fois-ci, du moins jusqu’à ce qu’à ce jour à l’école, où elle fut attaquée par une adolescente qui aurait eu l’air adorable sans sa jambe d’âne et si elle n’avait pas essayé de la griffer à mort. Personne ne l’avait crue bien entendu, et c’en avait été fini de ce nouveau cocon familial qu’elle commençait tout juste à apprécier.

Les catastrophes la poursuivaient et elle n’avait sa place nulle part. Elle ruminait ces éternelles pensées noires lorsqu’une voix la tira des méandres de ses réflexions. « - Eh toi ! » Elle sursauta d’abord, passant en revue la rue déserte. Aucun doute, c’était à elle que la voix s’adressait. Sa première réaction, bien naturelle, fut la peur. Elle était seule, la nuit commençait à tomber, elle n’avait nulle part où aller et une voix mystérieuse s’en prenait maintenant à elle. Elle aurait pris ses jambes à son coup si elle n’avait pas été intriguée en découvrant celui qui continuait de s’adresser à elle « - Charlotte, c’est ça ? » Elle ne savait pas si le plus surprenant était que le propriétaire de la voix ne connût son prénom ou bien si c’était son apparence. Il s’agissait d’un adolescent, âgé d’à peine quelques années de plus qu’elle. Il avait l’air mal à l’aise dans sa posture et s’appuyait sur une paire de béquilles un peu trop grandes pour lui. Mais le plus extraordinaire, c’était la naissance de deux minuscules cornes au milieu de sa chevelure. Fascinée, elle fut incapable de bouger bien que le souvenir de la fille à la jambe d’âne lui criait de s’échapper le plus vite possible. Elle réussit tout juste à balbutier quelques mots « -Qu’est-ce…qu’est-ce que tu veux ? » « - N’aie pas peur, je ne te veux aucun mal, je peux t’aider Charlotte. » Cette fois, c’en fut trop. La répétition de son prénom dans la bouche de cet inconnu la poussa à effectuer quelques pas en arrière. Elle se cogna contre le trottoir, manquant de peu de tomber parterre, elle ne s’était jamais sentie si vulnérable. « - Qui es-tu ? Et pourquoi je devrais te faire confiance ? Comment tu sais qui je suis ? » Des questions, encore, toujours. Sa vie n’était qu’un amoncellement de ces phrases interrogatives. Heureusement, celles-ci purent trouver des réponses. « - Je m’appelle Emile. Cela fait un moment que je t’observe, depuis ton accident à l’école, en fait. Tu n’es pas en sécurité ici, il faut que tu viennes avec moi. » Sa voix était étonnamment calme, assurée. Il avait une confiance en lui remarquable compte tenu de son âge. « - Pourquoi est-ce que je devrais te croire ? » La douce voix de Charlie produisait un contraste étonnant. A peine eut-elle prononcé ces mots qu’elle sembla se recroqueviller sur elle-même. La peur l’habitait depuis l’épisode dont cet Émile venait de faire mention et il semblait impossible pour elle de s’en détacher. L’inconnu -Émile- s’approcha d’elle en boitant. Il n’avait pas l’air menaçant, mais elle le fixait tout de même d’un air suspicieux L’adolescent se contenta pourtant de prendre sa main, et de planter son regard dans le sien. « - Tu peux me croire parce que je connais ta mère. Je peux te mener dans un endroit où tu seras en sécurité, où tu n’auras plus de soucis et de questions à te poser. Mais nous devons partir maintenant avant que ton odeur n’attire les mons… les policiers. Ils rodent la nuit, et une fille de ton âge, ça attire l’attention. »


L’apparition qui se profila sous ses yeux ne la fit même pas sourciller. Elle ne savait pas exactement combien de jours s’étaient écoulés depuis qu’elle avait décidé de fuir avec Emile, mais durant ce cours laps de temps, elle avait découvert que l’adolescent possédait des jambes de chèvre (le terme politiquement correct, c’est « satyre » d’ailleurs, on ne rigole pas avec cela, c’est blessant), avait failli se faire tuer par une femme ailée et griffue (elle en portait encore les entailles sur ses bras), puis par un espèce de taureau géant. Ils avaient ensuite ramassé en cours de route une autre fille d’à peu près son âge qui semblait tout aussi paumée qu’elle. Elle s’appelait Azha et elle était jolie avec sa longue chevelure rousse et ses yeux brillants. Mais le plus envoutant chez elle, c’était sa voix. Douce, mélodieuse, chacun des mots qu’elle prononçait était un ravissement aux oreilles de Charlie. Elle buvait ses paroles et aurait été prête à faire tout ce qu’elle lui demandait, même si c’était sauter dans une rivière alors qu’elle ne savait pas nager. C’était sa présence qui avait rendu la traversée du pays, semée d’embûches, à peu près supportable. Mais à présent, elle était épuisée. Son seuil de tolérance avait été dépassé depuis longtemps, et la… bête mi-homme mi-cheval qui leur faisait face ne semblait pas décidée à faire d’eux son prochain repas. Lasse, elle se contenta de rester immobile, observant ce qui l’entourait d’un regard absent. Elle ne rêvait que de dormir. « - Tu leur as déjà expliqué ? » La bête s’était approchée d’Emile, le ton était calme, un brin inquisiteur. « - Non… Je pensais que vous seriez plus à même de le faire… J’étais d’abord venu pour la rousse, elle dégage une odeur forte à vous attirer tous les monstres dans un rayon de quelques kilomètres. Ça doit être l’enfant d’une divinité majeure, Aphrodite peut-être, qu’on me coupe les cornes si elle ne possède pas un pouvoir d’enjôlement. Quant à la deuxième je l’ai trouvée par hasard, je n’ai pas trop d’idée sur son ascendance… Enfin, on verra bien. » Charlie jeta un coup d’œil à Azha, elle était livide et ne semblait pas comprendre plus qu’elle la conversation qui se déroulait sous leurs yeux. L’animal hocha sa tête d’humain d’un air entendu. « - Tu as fait du bon travail Emile. Vas te reposer, je prends le relais. » Le satyre s’éloigna au petit trot. Elle aurait voulu le retenir, mais son corps semblait incapable du moindre mouvement. Elle sentit simplement chacun des muscles de son corps se tendre lorsque la bête se tourna vers sa nouvelle amie et elle. La même lueur de peur brillait dans leurs deux regards. Qu’est-ce que c’était que cette histoire et qu’est-ce qui allait encore s’abattre sur elles ? « - Je m’appelle Chiron, je ne vous veux aucun mal. » Un sourire ponctua ses paroles, mais les gamines eurent malgré tout un mouvement de recul. « - Je suis un centaure. Est-ce qu’on vous a déjà parlé de mythologie ? » Cette fois-ci, Azha, la plus téméraire des deux, osa un hochement de tête en signe de négation. Charlie n’était pas plus avancée. Où aurait-elle bien pu entendre parler de mythologie ? Certainement pas de son père qui, même quand il possédait encore sa garde, se contentait de lui adresser le minimum de paroles possible. Certainement pas non plus dans les nombreuses familles d’accueil qui suivirent et devaient faire face à suffisamment de problèmes pour s’occuper d’elle. « - Et bien… » Chiron sembla d’un coup pensif, cherchant sans doute la meilleure façon d’amener les histoires dans la réalité. « - Il existe une montagne, l’Olympe, où vivent des dieux qui étaient jadis adorés par le peuple. On leur offrait toutes sortes de cadeaux et de sacrifices afin qu’ils maintiennent la paix dans le monde des humains et empêchent les monstres de tout saccager. Vous comprenez ? » Les deux gamines eurent un mouvement de tête affirmatif. Cependant Charlie n’était pas sûre de bien comprendre. Ce qu’il racontait ressemblait surtout à une histoire que les parents normaux racontent à leurs enfants avant de leur souhaiter bonne nuit. Elle ne voyait pas le rapprochement avec sa situation mais elle était trop épuisée pour poser des questions. « - A notre époque, la majorité des hommes ne croient plus en ces dieux, et racontent que ce ne sont que de très vieilles histoires inventées par nos ancêtres. » Le centaure fit une pause respectueuse, comme si l’idée que ces dieux dont il parlait puissent ne pas exister le déroutait totalement. Enfin, il reprit. « - Parfois, ces dieux descendent sur terre pour s’accoupler avec des humains. Il en résulte alors ce que l’on appelle des demi-dieux, des humains dotés de pouvoirs surnaturels. » Le visage d’Azha sembla s’illuminer. Sa petite voix retentit dans un étrange contraste face à la voix grave et assurée du centaure. « - Alors ça veut dire que je peux vraiment demander aux gens de faire tout ce que je veux comme le disait Émile ? » Ces paroles firent réfléchir Charlie. Se pourrait-il qu'elle ne soit pas folle et qu'il existe un même genre d'explication au fait que parfois, certains objets se mettaient à voler autour d’elle ? Un sourire passa rapidement sur le visage de Chiron. « - Je pense effectivement que tu tiens ce pouvoir de ta mère et que vous êtes toutes les deux des demi-déesses. Puisque personne dans votre famille ne peut confirmer votre ascendance exacte, il faudra attendre que vos parents divins respectifs se manifestent. En attendant, vous pourrez séjourner dans le bungalow d’Hermès. Bienvenue à la Colonie des Sang-Mêlés. »


Le bonheur est éphémère lorsque l’on est un demi-dieu. C’est quelque chose que Charlie avait fini par apprendre au fil des années. Elle se souvenait encore de ses premières nuits dans le bungalow d’Hermès, s’émerveillant de tout dans ce nouvel univers et pensant naïvement que le pire était à présent derrière elle. Elle avait enfin trouvé sa place, un endroit dans lequel elle se sentait appartenir. Elle s’était trouvé une famille bien avant même que sa mère,  Athéna, ne la reconnût. En apprendre plus sur sa mère, lui avait cependant permis d’en apprendre plus sur elle-même. Elle comprenait à présent que sa dyslexie découlait du fait que ses yeux étaient formatés pour lire le grec ancien et que l'hyperactivité était un symptôme répandu chez les rejetons des Olympiens. Elle comprenait aussi qu’elle n’était pas folle et que les voix qu’elles entendait constamment était les pensées des autres. Lorsque votre mère s’avère être la déesse de la sagesse, plus grand chose n’est improbable. Athéna avait cependant d’abord été rancunière à l’égard de sa divine mère. Elle lui en voulait d’avoir attendu plus de dix ans pour lui envoyer un simple signe, d’avoir été toujours absente, de n’avoir pas pu lui parler une seule fois. Et puis l’enfant qu’elle était en arrivant à la Colonie, trop heureuse de découvrir cet endroit, avait décidé qu’elle lui pardonnait. Après tout, être une déesse constituait une excuse d’une plus grande validité que le fait de ne pas résister à l’alcool. Elle s’était sentie plus à son aise en quelques joues à la colonie qu’en dix ans au sein du monde des mortels. Pourtant, elle avait toujours du mal à aller vers les autres, et à part Azha, elle n’avait pas vraiment de véritable amie. Leur arrivée commune avait très vite tissé des liens entre les deux gamines et la fille d’Aphrodite avait été la seule personne à laquelle Charlie réussit à s’ouvrir. Mais lorsqu’on est un demi-dieu, le bonheur est éphémère.

Le cri s’étrangla à la frontière de ses lèvres lorsqu’elle s’éveilla en sursaut, le souffle court, désorientée. La chaleur menaçait de l’étouffer, les pulsassions de son cœur affolé se répercutaient dans chacune de ses cellules, lui faisant presque oublier la sensation désagréable de son corps en sueur contre les draps blancs. Lorsque ses yeux se fermaient, sa vision ne laissait non pas place aux ténèbres mais à l’image agonisante. Elle déglutit, tentant de chasser la désagréable impression de nausée qui lui tiraillait la gorge et l’estomac. Elle se força à rester immobile. Plusieurs minutes furent nécessaires à la reprise d’un rythme cardiaque normal, à la recouverte de ses sens. Elle rejeta les draps au bout du matelas, s’assit dans un parfait silence, passa une main sur son visage avant de rejeter ses cheveux en arrière. Elle ne parvenait pas à penser distinctement. Les pensées morbides et les scénarios d’horreur se succédaient, impitoyables, l’un après l’autre, sans répit. Elle se prit la tête entre les mains, la serra avec une force dont elle ne se pensait pas capable dans l’espoir vain de faire taire le vacarme. L’envie de hurler lui tiraillait les entrailles, tout n’était plus que douleur. La douleur des autres qu’elle percevait partout, tout le temps. Ce don offert par sa mère était ainsi devenu un véritable fardeau. Mais également sa douleur à elle, lorsqu’elle s’éveillait d’un cauchemar où l’attaque de la colonie par les résistants s’était rejouée sous ses yeux. Heureusement pour elle, ce cauchemar se faisait plus rare que les premiers jours, mais lorsqu’il frappait c’était avec une terrible intensité. La vision du corps sans vie d’Azha la hantait. Elle ne parvenait pas à se pardonner de n’avoir pas été présente pendant le combat, d’avoir été impuissante face à la mort d’une des personnes qu’elle aimait le plus au monde. Elle se sentait vulnérable comme jamais. Elle était démunie, incapable de protéger ceux qu’elle aimait. Pour toute défense face à cet ennemi destructeur, elle possédait un modeste poignard. C’était ridicule, et ça la mettait en rogne. Malgré tout, elle était prête à se battre, pour venger Azha, et pour défendre le bonheur qu'elle avait trouvé à la colonie depuis neuf ans.