Se changer les idées, voilà de quoi avait besoin ce bon vieux Léo. Il se sentait coupable d’exister, il avait besoin de changer d’air. Alors en voyant son ami et colocataire au fond du trou, Hero lui avait conseillé de sortir un peu s’amuser, histoire de s’aérer la tête. Donc, le voilà dehors, à la merci de l’ambiance torride que New York offrait tous les soirs à ses habitants. Le fils d’Eris lui avait conseillé une de nuit peu réputée de la ville et qui se trouvait surtout dans un quartier assez éloigné du centre où de nombreux bandits cohabitaient. En sortant du métro, une odeur pestilentielle à base d’urine et de sang faillit faire perdre la tête à l’italien. Il n’avait pas vraiment l’habitude de traîner dans ces endroits mais il n’avait pas peur. Il avait affronté un tas de monstres - humains ou mythologiques - dans sa vie, ce n’était pas quelques cris et coups de couteau qui allaient le déstabiliser.

Grâce aux indications de son ami, le jeune homme finit par trouver la boîte de nuit. Elle avait l’air plutôt grande et surtout fréquentée malgré le quartier. Quelques femmes - qu’il soupçonnait être des prostituées - se tenaient à l’entrée et proposaient leur service à d’autres hommes ivres. Léo ne fit pas attention à toute cette horde de misère et après avoir montré sa carte d’identité, pénétra dans la boîte de nuit où une ambiance de folie semblait être au rendez vous. En se dirigeant vers le bar, le fils de Notos se sentait déjà très seul. Il aurait bien aimé que Rheïma l’accompagne, ils auraient pu bien s’amuser. Mais en se rappelant de tout le mal qu’il lui avait fait, il hésitait franchement à l'amener ici et faire semblant d’être heureux. Il était tenté de prendre une cigarette mais le gérant de la bar l’en dissuada en montrant du doigt le panneau “INTERDIT DE FUMER”. Le résistant déchu rangea ses clopes à contre coeur et commanda un verre d’alcool.

Léo se changeait les idées en regardant les autres s’amuser. Il voyait des tas de couples se bécoter sur la piste de danse ainsi que des hommes qui se tenaient à l’écart pour admirer les jeunes femmes seules, qui étaient venues entres amies dans le simple but de fêter quelque chose. Ses yeux se portèrent soudain sur une femme de grande taille qui semblait être seule mais qui avait envie tout de même de s’amuser. Il hésita de lui demander de danser mais il ne trouva pas la motivation pour le faire. Alors il se contenta de l’observer. Une taille fine mais pas trop, un visage enjôleur et des yeux foncés et malins, il trouvait en cette femme une beauté différente des autres.

Quand elle se tourna vers l’italien, sentant peut être qu’elle était observée, Léo ne put réprimer un petit sourire. Cette scène lui rappelait la première fois qu’il avait rencontré Rheïma.
Rheïma … son doux visage qu’il devait essayer d’oublier ce soir revenait pour le hanter. Il essaya de se perdre dans son verre. Soudain, il aperçut le reflet de la brune qu’il avait observé quelques minutes plus tôt et leva les yeux pour lui faire face.

On pouvait faire passer tellement de messages à travers un seul regard. Comme un miroir, les yeux reflétaient les moindres émotions d’une personne. Léo n’avait pu voir le regard de cette fille qu’une seconde à peine. Elle ne lui avait pas laissé le temps d'interpréter ce qu’elle voulait vraiment. À vrai dire, depuis quelques semaines, il n’arrivait plus à calculer ses interlocuteurs. La vie douloureuse qu’il menait, l’empêchait de voir le monde tel qu’il l’était. Son âme tourmentée changeait son regard sur le monde. New York était devenue trop polluée de mondes et grouillait de travailleurs désabusés mais qui continuaient tout de même à mener leurs vies. Les gens étaient froids à la vue du garçon, l’italien avait l’impression que ses yeux ne partageaient aucune gaieté que les personnes peinaient à rechercher ; sûrement pour se rassurer du fait que l’existence n’était pas aussi pénible que cela. Ainsi, Léo ne voyait en face de lui qu’une image fabriquée de toutes pièces et mal interprétée par son malheur.

Mais cette fille était fantastique. Elle ne lui avait pas laissé le temps de partager un de ces regards qui entaillent profondément l’âme meurtrie du garçon. Elle se jeta sur lui, déposa un baiser fougueux sur ses lèvres de pierre. Le fils de Notos fut surpris par ce geste. Les yeux grands ouverts, il se demanda pourquoi cette fille avait envie d’embrasser un débris comme lui. Au fond, c’était peut être cela le secret, arrêter de chercher à connaître les pensées des autres, il fallait juste se lancer. Alors, il fut étonné de trouver du plaisir à goûter ces lèvres inconnues et à se laisser toucher par les mains de la jeune femme. Rheïma quittait doucement les pensées du jeune homme, il avait des remords mais le simple fait de toucher à un peu de bonheur le rendit totalement égoïste.

Le baiser se rompit presque instantanément. Une fois le bonheur parti, Léo se maudit d’avoir été si bête de s’être laissé faire comme ça. Si sa copine apprenait ce qu’il venait de se produire, elle ne lui pardonnerait jamais. Déjà que leur relation était tendue, cet acte n’allait certainement aider. Il regarda bêtement la jolie brune qui avait violé l’idée qu’il n’était pas du tout consentant. Et là, il vit son regard affamé. Elle ressemblait à une véritable tigresse. Ce n’était juste qu’un surnom flatteur qu’on donnait aux femmes séductrices, et pourtant, la brune correspondait parfaitement à la description. Léo se rendit compte que dans le jeu de l’amour, il était devenu pour la première de sa vie, une proie.

“Oh...Excuses-moi, je... je suis vraiment désolée, c'est vraiment pas mon genre de faire ça... mais y'avait ce sale type la-bas et je crois qu'il me voulait du mal... J'avais besoin de le faire fuir et j'ai trouvé que ça comme idée. Pardon.” Le jeu digne des plus grands comédiens, l’italien connaissait bien cette technique d’attaque. Il l’avait expérimenté à plusieurs reprises sur des personnes en état de faiblesse comme cette Jade ou même Neven. Alors, la vie l’avait réduit en état de faiblesse lui aussi ? Assez pour se laisser faire séduire par une fille comme lui à l’origine ? C’était pathétique. Pourtant, il avait envie de se laisser prendre au jeu, effleurer en quelque sorte l’interdit. Il sortit son poignard de la poche, ignorant le fait qu’il pouvait dévoiler ses origines divines. “Décris-moi ce type. S’il t’as fait du mal, il va le payer alors.”

Léo sortit aussi de sa poche, son paquet de cigarettes. Ce baiser volé l’avait tellement stressé qu’il avait une envie irrépressible de fumer. Il était au courant du mensonge de la fille, il savait très bien qu’il n’aurait pas besoin de tuer ce soir. Alors, il la traîna hors du bar et fuma tranquillement sa clope. “Se faire embrasser comme ça … C’est inhabituel. Dis-moi, j’espère que tu n’es pas une de ces filles qui trainent dans le coin à la recherche d’un homme avec qui passer la nuit. Je te le dis tout de suite, c’est pas mon truc.” Il repensait au baiser et à la joie qu’il avait éprouvé. Le fils de Notos retrouva le sourire. C’était tellement bête d’aimer transgresser l’interdit. S’il n’était pas aussi fidèle, il se laisserait bien tenter. “Même si ce n’était pas désagréable... Sinon c’est quoi ton nom ?”