Éris marchait lentement dans les rues, en ce matin de novembre. Tout semblait si tranquille, les lierres qui s'étirent, engourdis, ou bien ce voile de lumière dorée qui ravivait doucement chacun des immeubles de la grande ville. Elle portait aujourd'hui des doc Martins noires, un jean bleu foncé déchiré au niveau des genoux, un long manteau noir et un bonnet de la même couleur. Elle aimait se promener le dimanche. Tout était si paisible et tranquille que cette utopie étrange semblait irréelle. Elle n'avait revêtit que très peu de maquillage, un simple trait rouge sur ses lèvres et une fine trace de khôl sur ses paupières.

Les mains dans les poches, elle marchait, silencieuse et furtive. Cet automne naissant était si plaisant à ses yeux qu'elle ne pouvait le quitter une seconde. Elle poussa un petit soupir satisfait. Elle mit ses mains dans ses poches et continua à marcher. Elle ne travaillait pas, aujourd'hui, ce qui était plutôt bien car elle avait besoin de calme, en ce moment, d'un instant pour souffler.

Elle regarda un instant un oisillon sautiller d'un toit à l'autre, faible et gauche, il n'était pas encore habitué à la vie en ville. Décidement, c'était presque comme une secte. On y vient, et on a ce sentiment d'appartenance étrange, on ne peut plus quitter cette cité comme ça, si facilement.

Elle marchait lentement, si apaisée qu'elle pensait à tort que rien ne pourrait changer cet état parfait. Mais bien sur, elle vit son fils, Matthew. Elle lança :

" Ça faisait longtemps que l'on ne s'était pas vus, hein ? "

C'était vrai. La dernière fois que fils et mère s'étaient aperçus, c'étsit à l'enterrement de Mitchel Schaeffer, son jumeau. Elle avait bien compris que ce jeune homme n'était autre que sa progéniture, son fils adoré. Elle se souvient encore de sa tenue, de ce voile noir qu'elle avait sur ses yeux, de sa longue robe de jais qui venait toucher le sol, ou bien de son regard triste qu'elle posait sur chacun des membres de la famille.

 

I hate my son

Matthew & Eris

Matthew franchit la porte en maugréant. Il aimait cette saison, mais étrangement, aujourd’hui, l’automne lui paraissait triste et sans saveur. Il avait la curieuse impression que les feuilles qui tombaient sur le sol, que le vent qui sifflait à ses oreilles essayaient juste de le prévenir du massacre à venir. Mais, comme l’automne, il était inévitable. Matthew ne pouvait que se contenter de regarder les feuilles tomber.

Comme souvent ses jours-ci, il quittait le QG de mauvaise humeur, et cette fois-ci, il laissa son pouvoir s’exprimer. En slalomant dans les rues de New York, les gens commençaient à se battre sur son passage, influencés par son aura. Il ferma les yeux, légèrement apaisé. Combien de temps qu’il n’avait pas fait cela. C’était idiot et immature. Il fuyait une guerre en en provoquant une autre. Futile.

- Ça faisait longtemps que l'on ne s'était pas vus, hein ? 

Matthew releva la tête avec surprise, prêt à dégainer. Interloqué, il fixa la femme qui venait de l’interpeller. Il ne se rappelait pas l’avoir déjà vu, pourtant, elle lui disait immanquablement quelque chose. Il se plongea dans ses souvenirs alors que des images lui revinrent. Et il se souvient. Cette femme, il l’avait déjà vu. A l’enterrement de Mitchel. Il ne gardait que peu de souvenirs de ce jour-là. Seulement de la tristesse et de l’incompréhension. Et de la douleur aussi. Beaucoup de douleur.

Mais la véritable question était : qu’est-ce que cette femme foutait à l’enterrement de son jumeau. Il ne pensait pas la connaître. Elle ne faisait pas parti de la famille Schaeffer. Pourtant, elle lui était si familière… Las de tous ces questionnements, il choisit de poser directement la question :

- Quelques années, si mes souvenirs sont bons. Qui es-tu ?

Il avait parlé froidement, ne ressentait pas le besoin d’être poli. A vrai dire, son instinct lui criait de partir tant la femme ne lui inspirait pas confiance. Mais quelque chose de primaire en lui, lui intimait de rester. Comme si une partie de lui avait absolument besoin de connaître cette femme. Si seulement il avait su…

Code by Marcelo

Matthew était comme un fauve prêt au combat, avec cette lueur de folie qui scintillait profondément loin dans son oeil. Il était... Différent. Étrange. Particulier. Elle se souvenait de manière limpide de lui à l'enterrement. Il avait ce regard torturé et sombre, empli de toute la tristesse du monde. Et Éris s'en voulait, elle s'en voulait d'être une mère horrible, de faire tant souffrir ses enfants. Rebecca, Matthew et Hero étaient à la résistance, et y'a une raison pour ça. Chaque fois qu'elle pense à eux, elle a un pincement au coeur. Elle veut les voir, elle doit les faire. Mais l'Olympe l'en empêche. Foutue Olympe.

" Quelques années, si mes souvenirs sont bons. Qui es-tu ? "

Éris déglutit, ferme les yeux un instant. Elle est déconcertée. Que doit-elle faire ? Rien, surement, partir et laisser Matthew là, avec ses questions. Mais elle prend la décision de prendre un visage doux, quoiqu'un peu froid, et de déclarer :

" Tu as changé. Tu me connais mieux que n'importe qui, Matthew Schaeffer. Tu me détestes plus que personne, aussi. "

Elle esquisse un  très léger sourire, et elle met ses mains dans ses poches. Elle voulait lui parler, s'excuser. Ça ne serait pas efficace, jamais ça ne le sera, mais au moins elle l'aura fait. Quelle mère de merde elle est, toujours à fuir. Et il y avait le ton que Matthew avait utilisé, cette froideur dans le timbre de sa voix. Éris voulait le prendre dans ses bras, lui sourire, s'excuser et repartir ensuite. Lui répéter combien il avait changé et combien il lui avait manqué, tant il était important pour elle. Passer sa main dans ses cheveux, et se sentir comme une mère, fière de son enfant.

Jamais ça n'arriverait, jamais elle n'aurait de vie normale. Jamais elle ne se marierait avec un homme parfait, aurait deux enfants. Et le dimanche midi, ils iraient manger en ville, faire du shopping, rore ensemble. Regarder des films, partager des bons moments. Pourquoi n'était-elle pas comme ça ? À cause de l'Olympe, à cause des dieux. Si seulement elle était mortelle, tout serait plus simple. Et pourtant elle adorait ce poste, elle adorait tout de même la discorde...

 

I hate my son

Matthew & Eris

La femme sembla réellement intimidée. Matthew l’observa avec une méfiance calculée. Il ne voulait être intimidant néanmoins, cette femme était une ennemie. Il le sentait jusqu’au plus profond de ses tripes. Elle déglutit cherchant visiblement ses mots et pour la première fois, il en fut déconcerté. Cette femme semblait contradictoire. Il suffisait de voir son visage doux, trahi par son regard froid pour s’en rendre compte. Presque intimidé par son regard, il resta stoïque à sa réponse.

- Tu as changé. Tu me connais mieux que n'importe qui, Matthew Schaeffer. Tu me détestes plus que personne, aussi. 

Son sourire faisait froid dans le dos et il eut toutes les peines du monde à rester impassible. Au stade où ils en étaient, Matthew aurait été stupide de ne pas deviner qui se trouvait en face de lui. Une boule se forma dans sa gorge alors qu’elle mettait nonchalamment ses mains dans ses poches. Sa nonchalance le mettait en rage.

Il plongea son regard dans le sien, et il essaya de lire en elle. De lire le moindre regret auquel il aurait pu se raccrocher pour la détester un peu moins. Mais, il n’y lut qu’un profond contentement. Après tout, que pouvait-on attendre d’autre de la part de la déesse de la Discorde, dans un monde de guerre ? Rien d’autre qu’un intense contentement.

Il la regarda et parvint à esquisser un sourire. Parfaitement maître de ses émotions, il sortir une cigarette et l’alluma avant de tirer une grande bouffée de nicotine.

- Oh Eris ! Excuse-moi, je ne t’avais pas reconnu !

Il lui sourit avec sarcasme.

- Tu veux qu’on parle ? Ou je peux y aller ? Je veux dire, je suis assez pressé.

Code by Marcelo

Éris fut alors vidée de toute envie de montrer ses sentiments. Elle avait envie de rester froide, de marbre. Après tout à quoi bon tenter de se faire pardonner, puisque cela n'arriverait jamais ? Elle esquissa un sourire en coin, glaciale, impassible. Matthew voulait voir quelque chose dans les yeux d'Éris. Surement n'allait il rien trouver, comme toujours. Elle n'était pas un livre ouvert, elle était un vrai grimoire scellé à tout jamais. Pourquoi les Dieux étaient-ils si compliqués à comprendre ? Leur nature divine ne semblait pourtant pas être un facteur influençant leurs pensées. Et pourtant, tous ceux qui pensaient ça se trompaient. Un Dieu est arrogant. Froid. Vil. Matthew voulait s'attacher à quelque chose en elle, un semblant de regrets. Mais rien ne fut, seulement les longs cils noir qui cachaient la peine ensevelie.

Pourquoi est-ce qu'elle le voyait, qu'il avait du mal à soutenir cette situation ? C'était compréhensible, après tout. La haine le consumait, et malgré elle, Éris adorait ça. Elle adorait voir chacun de ses membres déchiré par la rage la plus profonde. C'était la Déesse de la Discorde, qui pourrait lui reprocher d'adorer ça ? Et pourtant. C'était son fils. Elle voulait se faire pardonner, en vain ! Ça lui paraissait inconcevable. Matthew était perdu. Il souriait, lui aussi, pour cacher que finalement il avait juste envie de l'abattre. Il prit une cigarette qu'il alluma et commença à fumer.

La haine est comme la fumée que la cigarette de Matthew dégageait. Certaines personnes passent à côté et ne la voient pas, tandis qu'elle est la chose la plus évidente du monde pour d'autres. Et d'autres, même, agitent leurs mains dans l'espoir de la faire disparaître, mais elle finit toujours par revenir, sans exception.


" Oh Eris ! Excuse-moi, je ne t’avais pas reconnu ! "

Rien, toujours rien. Impassible. Froide. Matthew esquisse un sourire empli de sarcasme.

" Tu veux qu’on parle ? Ou je peux y aller ? Je veux dire, je suis assez pressé. "

Éris commence à apprécier de moins en moins le sarcasme de son fils. Elle prend un air assez sévère, sachant tout de même que Matthew n'en aura rien à faire, et déclare :

" Viens. Je paye le café. "

 

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Matthew & Eris

La déesse sembla se refroidir encore plus. Matthew avait la désagréable impression de n’être qu’un vulgaire jeu pour elle, et il n’aimait pas cela. Il avait aussi l’impression, qu’en dépit des apparences, elle pouvait lire en lui. Force était d’admettre qu’elle restait sa mère. Lui, il ne pouvait qu’observer elle, et ses longs cils noirs qui le fixaient avec indifférence. La rancune le frappa de plein fouet. Elle admirait l’homme brisé qu’il était. Prenait son pied à voir la haine le consumer. Pourquoi était-il surpris ? Elle était la déesse de la Discorde. A quoi s’attendre d’autre ? Mais il restait son fils. Il s’attendait à ce qu’elle veuille le raisonner. Pas à ce qu’elle se réjouisse de sa rage.

Elle lui adressa un regard si sévère qu’il eut envie de rire. Quoi ? Elle n’appréciait pas son sarcasme ? Elle s’attendait à ce qu’il la serre dans ses bras ? Il n’arrivait pas à cerner Eris, et cela l’agaçait profondément. Il avait toujours cru de ne pas en vouloir plus à Eris qu’aux autres dieux mais il se trompait. Il la haïssait si fort. Si profondément.

- Viens. Je te paye le café.

Ce n’était pas une demande. Plutôt un ordre. Il écrasa sa cigarette et la suivit donc, comme un gentil petit enfant à sa maman. Ils entrèrent dans le premier café venu et il laissa Eris payer les cafés. La serveuse qui les déposa sur leur table lui dit avec un sourire moqueur :

- Ce n’est pas à l’homme de payer les cafés normalement ?
- C’est ma mère, répondit-il très sérieusement.

La serveuse s’éloigna avec un petit rire et Matthew plongea le regard dans celui de sa mère. Un regard semblable au sien par bien des égards. Un point commun qu’il avait en horreur. Il ne voulait pas ressembler à sa mère. Elle était tout ce qui était vil dans ce monde.

- Enfin, mettons-nous d’accord tout de suite. Tu n’es que la femme qui m’a mise au monde. Ma mère est Anna Clifford. Maintenant que ce point est clair et que tu es consciente de n’être personne pour moi, je t’écoute. Parle-moi.

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Les yeux de Matthew semblaient se durcir. Éris voyait bien que cette apparition soudaine n'était pas la plus brillante des idées. Elle aurait surement dû être là avant, en tant que mère et en tant que personne. Abandonner quelqu'un ici, Divinité ou non, il aurait fallu qu'elle s'occupe de son fils. Mais non, elle l'avait laissé seul et c'était plutôt compréhensible qu'il se soit enrôlé dans la Résistance après cela. En tout cas. Elle croisa les bras et entra dans le café. Une serveuse arriva pour leur demander ce qu'ils voulaient.

" -Deux cappuccino s'il vous plait. "

La serveuse arriva quelques minutes après, les deux cafés posés sur un petit plateau. La Déesse de la Discorde posa un billet de cinq dollar sur la table en guise de payement. Avec un petit sourire moqueur, la serveuse lança à son fils :

" -Ce n'est pas à l'homme de payer les cafés normalement ? "

Elle s'apprêtait à répliquer lorsque Matthew répondit :

" -C'est ma mère. "

La serveuse fronça les sourcils et repartit avec un petit rire narquois. Éris resta d'un calme de marbre, mais elle aurait aimé lui donner une leçon. "Petite arrogante", pensa-t-elle. Alors qu'elle était concentrée sur cette histoire de serveuse, elle ne remarqua pas avant quelques secondes Matthew qui la fixait. Elle le regarda à son tour, toujours aussi froide et calme.

" -Enfin, mettons-nous d’accord tout de suite, ", lança Matthew. " -Tu n’es que la femme qui m’a mise au monde. Ma mère est Anna Clifford. Maintenant que ce point est clair et que tu es consciente de n’être personne pour moi, je t’écoute. Parle-moi. "

" -Que veux tu que je te dise ? "Désolée" ? Elle avait conscience d'agir de manière complètement horrible. " -Je veux dire, j'aurais aimé t'aider, faire quelque chose pour toi mais jamais tu n'accepteras après ce que j'ai fait. Je voulais juste que tu saches contre qui tu te bats actuellement, et...

Elle marqua un temps d'arrêt.

" -Je voulais te voir, aussi."